30 ans de com publique vus par Jean-René Martel
Jean-René Martel est un homme de fidélité : 18 ans au service de la même banque et 13 ans au service de la même ville, Le Havre. À l'occasion des 30 ans du Forum Cap'Com, il nous parle de son expérience de communicant et des évolutions passées et à venir du métier.
Directeur marketing au Crédit Agricole de Haute Normandie de 1977 à 1981, Jean-René Martel dirigea la com de la banque jusqu’en 1995. Cette année là, il entra en communication publique à la ville du Havre et l’anima jusqu’en 2008 : 32 agents avec lui pour servir 193.000 Havrais et quelque 4.000 agents pour la com interne. A partir de 2008, il tente l’aventure du consultant et fait bénéficier de son expérience la presse normande, des agences de communication, de l’immobilier, de l’automobile, du transport, de l’environnement,.. Il accompagne aussi la construction du nouveau stade du Havre où joue le plus ancien des clubs professionnels de France,
Cette interview est issue d'une série d'entretiens de communicants publics "30 ans de com publique vus par..." menés à l'occasion de la 30e édition du Forum Cap'Com par Pierre Geistel, ancien chargé de communication, et par Philippe Lancelle, directeur du tourisme de la région Bourgogne Franche-Comté, tous deux membres du comité de pilotage de Cap'Com.
La com publique a beaucoup évolué depuis 30 ans. Quels sont les changements qui, pour vous, ont marqué le métier durant ces années ?
En 1981 m’a été confiée la direction de la communication au Crédit Agricole de Haute Normandie : pas de la communication publique, non, mais une communication globale d’entreprise.
La banque mutualiste avait fixé trois objectifs à cette mission :
- La communication interne envers les salariés du siège et des agences et aussi en direction des conseils d’administration des caisses locales, où siégeaient maires et conseillers généraux, plus de 400 élus locaux…
- La communication institutionnelle auprès des prescripteurs et leaders d’opinion : décideurs locaux, départementaux, médias…
- La communication commerciale informative liée au consumérisme naissant, une avancée par rapport à la promotion-publicité utilisée jusque-là.
Les personnels n’étaient pas formés à la communication. Il a fallu souvent improviser et utiliser des moyens empiriques car les études ou analyses d’impact manquaient. On a mis en place les premiers panels pour éviter les écueils et tester nos principales actions au préalable. On « tâtonnait » afin d’adapter les messages aux différentes cibles tout en préservant la cohérence du discours global.
Les principales évolutions de la communication publique depuis trente ans : un professionnalisme renforcé et la multiplication des moyens et supports d’intervention.
L’évocation de l’époque des pionniers de la Com, faite de réussites parfois inattendues mais aussi d’échecs frustrants, permet de mieux cerner les principales évolutions de la communication publique depuis trente ans. Elles sont essentiellement de deux ordres :
- Un professionnalisme renforcé : des structures de formation de haut niveau permettent aux communicants de bénéficier d’outils, de méthodologies et de moyens adaptés à leurs fonctions. Le personnel des structures de communication a cessé d’être généraliste pour se spécialiser dans des domaines précis. Des études solides, basées sur des années d’observations, guident les responsables dans leurs choix de stratégies et de supports avec des mesures d’impact fiables.
- La multiplication des moyens et supports d’intervention : le temps est un facteur déterminant dans la transmission des messages de communication publique. De l’époque du tout papier, il ne reste pratiquement plus rien. Les administrés peuvent désormais obtenir, en temps réel, les informations qu’ils réclament, sur le support de leur choix, où qu’ils se trouvent. Les messages ont ainsi gagné en impact car ils peuvent répondre avec précision aux besoins exprimés.
Dans les 10 prochaines années, quels sont pour vous les défis auxquels la communication publique risque d'être confrontée ?
La loi de l’évolution est simple : l’exigence d’être plus et mieux informés augmente naturellement chez les individus qui obtiennent déjà des informations. Ce besoin croissant va de pair avec la volonté que ces informations soient utiles et vraies.
Premier défi à venir pour la com publique : conserver la mesure de la réelle utilité des informations transmises.
Le premier défi auquel la com publique risque d’être confrontée sera donc de conserver la mesure de la réelle utilité des informations transmises.
Ce n’est pas au récepteur de faire le tri dans les informations que l’émetteur lui adresse. Il doit trouver rapidement l’information qu’il demande et uniquement celle-ci. Le flot continu des messages reçus nuit à leur impact. Les outils informatiques actuels permettent déjà d’obtenir la réponse à une question, cette exigence va devenir de plus en plus prégnante.
Deuxième défi : l'éthique pour se garantir de toute manipulation de l’opinion.
Le deuxième défi sera éthique parce qu’il faut se garantir de toute manipulation de l’opinion.
Les récepteurs ne sont pas tous égaux dans leurs capacités à distinguer la crédibilité de la source. Les réseaux sociaux peuvent diffuser des informations erronées car transférées sans contrôle, voire sciemment déformées pour influencer les destinataires.
L’éthique de la communication publique est d’informer avec le souci de préserver l’authenticité du message transmis. Le renforcement de l’impact sur le destinataire par l’utilisation d’outils nouveaux pourrait amener certains donneurs d’ordre à privilégier la forme sur le fond. Ce sera aux professionnels de rester vigilants pour ne pas atteindre la limite de la manipulation.
Quel est votre meilleur souvenir en communication publique ?
Au cours d’une (longue) carrière de communicant, on accumule bien évidemment d’excellents souvenirs. Je choisirai, sinon le meilleur, du moins le plus significatif : le discours demandé par le maire du Havre à l’attention des nouveaux détenteurs de la nationalité française.
Dans les grands salons, une centaine de personnes recevaient le diplôme de nationalité française et leur carte nationale d’identité. Je souhaitais faire prendre conscience de l’apport positif des étrangers que la France accueille et à qui elle donne sa nationalité.
J’ai mis en avant trois exemples du savoir-faire français apporté par des naturalisés :
- Le fils d’émigré autrichien Gustave Bonickausen dit Eiffel dont la tour est devenue le symbole de Paris et de la France.
- La polonaise Marie Sklodowska-Curie épouse de Pierre Curie, seule femme ayant reçu deux prix Nobel, de physique en 1903 pour ses recherches sur les radiations et de chimie en 1911 pour ses travaux sur le polonium et le radium.
- Zinédine Zidane, fils d’algérien devenu le 12 juillet 1998 héros national, avec l’équipe de France, championne du monde de football.
Ce discours a été beaucoup applaudi et, cerise sur le gâteau, le sous-préfet a demandé au maire de pouvoir le reprendre comme le sien dans toutes les cérémonies de ce type. Mon ego a été flatté, preuve s’il en est qu’il convient de faire simple pour être compris de tous, du carreleur africain à l’énarque de service…
Et le moins bon ?
L’annulation du feu d’artifice, un 13 juillet à la météo épouvantable. L’artificier m’alerta du risque de voir partir ces fusées dans la foule. A à quinze minutes du tir, j’ai informé le maire du danger et je suis monté sur scène pour annoncer l’annulation.
Il y avait foule sur les quais du port et tout le long de la plage. Le feu d’artifice venait conclure une grande fête navale. La foule a sifflé, les élus maugréaient, maudissant mon incapacité à gérer l’événement…
Je suis parti avec la police municipale pour informer les milliers de personnes restées sur la plage, qui n’avaient pas pu comprendre la sonorisation des quais. Quelques jeunes s’en prirent aux abribus pour montrer leur mécontentement. Je suis resté avec les forces de police qui patrouillaient dans les quartiers sensibles.
Le lendemain, je remettais un rapport au maire, avec des articles de presse relatant la mort de deux personnes assistant à des feux d’artifice sur la côte ouest du pays. Aucun commentaire des élus. Seule la presse havraise a écrit qu’une sage décision avait été prise par les organisateurs. Jamais je ne suis senti aussi seul que cette nuit du 13 juillet 1999.
Si vous aviez à conseiller un étudiant qui veut se lancer dans la com publique, que lui recommanderiez-vous et pourquoi ?
Je lui recommanderai de choisir plutôt une ville moyenne pour le faire, car pour débuter, il est préférable d’être accueilli dans une structure à taille humaine. Le contact avec les donneurs d’ordre que sont les élus et les membres de la direction générale est primordial.
En matière de communication, plus que dans les autres domaines, il faut expliquer et convaincre. Il est préférable alors pour le communicant de ne pas avoir trop d’intermédiaires entre le décideur final et lui.
Le dialogue est nécessaire car tous les acteurs se sentent compétents en matière de communication, plus que dans les autres domaines, informatique, urbanisme, affaires sociales… Tous ont des a priori sur le graphisme, les couleurs, l’esthétique, au détriment de l’impact réel recherché. Certains même, ne percevant pas bien la pertinence de l’utilisation d’un support en particulier, souhaite que le communicant utilise tous ceux qui sont disponibles.
Il faut donc expliquer et convaincre et il est préférable alors pour le communicant de ne pas avoir trop d’intermédiaires entre le décideur final et lui.