Le « je » et le « nous »
« Quelles raisons te poussent à écrire régulièrement dans la newsletter ? » Anne Revol me demande de répondre. Oui, rédac chef ! Pas la rémunération ! Mais, à part le soin à donner à mon ego, quoi, en effet ?
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
D’abord l’idée que je pouvais rendre quelque service au lecteur. Pas tout à fait comme le font, avec leur sérieux et leur solidité, mes compagnons de rubrique. Mais, à ma manière, avec l’indécrottable idée que, pour reprendre une antique comparaison, nous sommes à la fois géomètres et saltimbanques. Donc s’essayer à la légèreté, à l’ironie, voire au sarcasme, n’est pas de trop, dans notre corporation qui, à mon goût, a un trop grand penchant pour l’autosatisfaction. Un pied en dedans du praticien, un pied en dehors de l’observateur. Sans la prétention d’être un imprécateur, ni un influenceur comme Marc Thébault, mais l’ambition d’être un questionneur, en faisant un pas de côté.
Le choix du sujet est déterminant. Marotte enkystée par un quart de siècle de journalisme, il faut dénicher une information inédite, significative même si anecdotique, une étude méconnue, une citation urticante, un fait qui agit comme la muleta devant le taureau, pour le rédacteur et peut-être le lecteur. Dans cette cueillette à l’issue incertaine, voire inaboutie, il y a aussi l’accès aux enjeux de nos métiers. Mais par des chemins de traverse.
Deuxième acte, sans abuser du privilège de la carte blanche qui m’est donnée : mettre une part de moi-même dans l’article. C’est un moyen de viser le plus intéressant : nouer une relation, même fugace, même agacée, avec le lecteur. C’est aussi une façon de ne pas se cacher derrière un propos convenu, mais de prendre parti, défendre une idée, affirmer une conviction. Tout sauf de l’eau tiède, en visant à débusquer une problématique de communication, à décrypter un phénomène de société, peut-être à exprimer une inquiétude.
Il faut donc y mettre du jus, avec l’idée que le plaisir d’écrire peut susciter le plaisir de lire. Il faut happer le lecteur et l’entraîner sur le chemin de crête, entre les écueils des coquetteries et ceux des truismes. Se débrouiller pour ne pas le perdre en route, par l’interrogation, l’interpellation, le clin d’œil, en tentant de créer une certaine familiarité. Quant à espérer laisser de véritables traces, ne rêvons pas. Le temps où les journaux servaient à emballer des épluchures s’achève. Mais, dans l’abyssal magma du Net, qu’est-ce qui surnage ?
Ce sont donc des propos éphémères, des points de vue personnels, pas des déclarations d’un porte-parole. Humilité paradoxale du « je » pour servir la cause du « nous ».