Les réseaux sociaux, révélateurs de médiocrité
Après une période estivale de sevrage numérique, est-il raisonnable de se reconnecter pour affronter ses concitoyens sur les réseaux sociaux, toujours aussi en forme ? Où comment se réinterroger sur l’évolution d’un certain service (au) public en ligne.
Par Marc Cervennansky
@Cervasky
Allongé dans mon hamac : j’admire le ciel bleu, j’écoute gazouiller les oiseaux, je sens un petit vent léger sur ma peau. J’ai laissé sur la table de la cuisine mon smartphone, éteint… Je suis déconnecté ! Ça fait du bien non, pour un communicant numérique ?
Mais à un moment, il faut rentrer, il faut rebrancher le cordon dans la prise. D’abord pour poster ses photos de vacances et faire baver ses amis, puis pour aussi reprendre le service public numérique de sa collectivité.
Coucou les abonnés de Twitter et de Facebook, le service public est là ! Et ils sont là aussi les abonnés, pas tous partis en vacances. Ou alors ils s’y ennuient.
C’est d’abord Gilberte (les noms ont été changés) qui exige la démoustication de sa rue, parce qu’elle en a marre que ses enfants et elle se fassent piquer. Nous lui expliquons les mesures à prendre pour éviter la prolifération de ces vilains insectes. Très vite Gilberte nous rétorque que notre réponse ne répond pas à ses attentes et qu’elle ne peut plus profiter de sa terrasse. Elle nous intime donc de procéder à un traitement massif dans sa rue.
Nous lui signalons aussitôt que ce type de traitement est interdit par la réglementation en vigueur et de plus jugé inefficace. Gilberte n’en a que faire. Nous lui envoyons les arrêtés en question et autres informations réglementaires.
Cela ne calme en rien Gilberte, qui aimerait bien bronzer tranquille dans son transat. La suggestion d’utilisation d’anti-moustique naturel à base d’huile essentielle de citronnelle, hélas, ne calme pas Gilberte, qui continue de nous harceler, tel un moustique assoiffé de sang.
Si nous voulions créer de l’engagement, c’est réussi
Le même jour, nous avons le malheur d’annoncer sur Facebook, l’organisation de visites pédagogiques du crématorium - équipement intercommunal - afin d’expliquer les services funéraires proposés. Certes, cette proposition peut étonner, mais de là à imaginer le flot de réactions et commentaires : «* Sortie en famille youhou : dégustation de cendres à la sortie non ?* », les expressions avec « ça chauffe, j’en brûle d’envie, rafraîchissant… », allusions aux camps de concentration… Si nous voulions créer de l’engagement, c’est réussi.
Et voici que Météo France lance une alerte Orange. Aussitôt, nous relayons l’information sur le site web, Facebook et Twitter. Au fur et à mesure de la journée, les prévisions s’affinent et nous mettons à jour l’horaire probable d’arrivée des premiers orages. Et c’est Monique qui nous reproche : « 17h, 18h, et maintenant 20h ! il faudrait savoir ! ». Mince, la collectivité n’a pas encore pris la compétence pour décider de l'horaire exact des orages.
Et puis Arthur qui s’énerve et publie tous les jours des photos sur Twitter, parce que des déchets sauvages encombrent sa rue. Ils ont bien été ramassés la veille par les services de collecte, mais de nouveaux déchets aussitôt ont été déposés par des riverains visiblement peu soucieux du bien-être d’Arthur. « Les services de propreté sont incompétents. C’est une honte! » mitraille Arthur à coups de tweets.
« Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles »
J’arrête là. Certes, rien de nouveau dans ce type de réactions ou de messages. Beaucoup d’entre vous y sont confrontés chaque jour. Mais cette période de rentrée, après une saine coupure numérique, remet en perspective la qualité des échanges que nous pouvons avoir avec certains de nos concitoyens.
Ces relations ne révèlent-elles pas l’évolution de la perception du service public à travers les réseaux sociaux : un service pour le bien commun, qui pour certains devient un service pour le bien individuel particulier ? Et quand ce dernier n’est pas aussitôt satisfait, ça dérape. Améliorer le service en ligne au public, qui de plus en plus, se transforme en service client, n’est-ce pas quelque part renoncer au service public, dans le sens s’adresser à tous pour le bien de tous ?
Et je repense à cette citation d’Umberto Eco : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui avant, ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel ».
Quoi qu’il en soit restons professionnels : toujours être poli, garder son calme, remercier ses abonnés pour leurs messages. Gérer les réseaux sociaux, c’est un apprentissage de la patience, de la maîtrise de soi. Le sens de l'abnégation ?
Mais déjà une certaine lassitude me gagne, à peine rentré de vacances. Vite retourner faire la sieste dans son hamac et se déconnecter.
Bonne rentrée à toutes et à tous.
Illustration : montage d’après des photos de Pickwizard