« Responsabiliser les citoyens plutôt que les séduire »
Ruedi Baur, président du jury du 31e Grand Prix de la communication publique et territoriale, répond à nos questions. Enseignant à la Haute École d’art et de design de Genève, à l’Ensad à Paris ainsi qu’à l’université de Strasbourg, et directeur de création et fondateur de l’atelier de design Intégral, il donnera une conférence plénière au Forum Cap'Com de Bordeaux.
Graphisme, signalétique, scénographie de l’espace public, comment selon vous évolue la communication publique ?
Ruedi Baur : Les tendances me semblent aller dans des directions très contradictoires qui reflètent bien l’état des opinions politiques et qui montrent aussi que la communication est politique. Si la raison et un certain civisme semblent régner en certains lieux, bien d’autres jouent encore la réclame de bas étage, voire la propagande affligeante. Là où je suis inquiet, c’est de constater par exemple comment se voient traités aujourd’hui les transports publics nationaux. Si je compare la manière dont l’Allemagne, la Suisse et même l’Italie respectent leurs passagers, et le monde à la Oui-Oui [chauffeur de taxi] dans lequel on nous oblige à circuler en France, je dois dire que nous sommes encore loin d’une communication institutionnelle qui respecte le citoyen et qui l’incite à prendre les transports publics plutôt que sa voiture.
Votre jugement peut apparaître sévère. La communication publique n’est-elle pas plus professionnelle, plus créative ?
R. B. : Je ne souhaite pas juger ici du professionnalisme de la communication publique, ni de sa créativité, mais plutôt interroger son dessein et surtout questionner nos méthodes. Face aux réalités écologiques qui se révèlent à nous de manière de plus en plus évidente, le théâtre de notre société semble de plus en plus ridicule. Nous jouons la concurrence au lieu de travailler la solidarité et les liens.
La communication publique doit à présent aborder ce nouveau civisme planétaire, rendre intelligibles les transformations nécessaires au niveau local, responsabiliser les citoyens plutôt que les séduire.
Nous représentons chaque territoire comme s’il était indépendant et non affecté par les réalités du monde. Il me semble que la communication publique doit à présent aborder ce nouveau civisme planétaire, rendre intelligibles les transformations nécessaires au niveau local, responsabiliser les citoyens plutôt que les séduire. Bref, mettre en œuvre ce gigantesque chantier qui permettra qu’en quelques dizaines d’années nous ayons retrouvé une vie plus raisonnable, conforme à la capacité d’absorption de notre planète.
Mais que peut donc faire le communicant public face à cet immense chantier sociétal ?
R. B. : Pour ce faire, il nous faut travailler sur du design d’information qui nous permet de rendre intelligibles les problématiques sur le plan local. Je pense que les citoyens seraient prêts à participer activement à cette transformation à partir du moment où elle ne se construit pas sur des stratégies et de la gestion de foule, mais sur de la responsabilisation. C’est au niveau local que ce travail doit être effectué. Il s’agit donc de transformer les services de communication en des espaces d’information et de design.
Vous dénoncez un langage visuel des organismes publics trop enclin à copier des approches marketing. En quoi est-ce préjudiciable ?
R. B. : Je pense que le citoyen ressent lorsqu’il se voit respecté et lorsqu’on essaie de le manipuler. Les approches marketing dans le domaine public nuisent à la démocratie. Mais au-delà, c’est tout l’esprit de concurrence sous-jacent à cette idéologie dépassée bien que dominante qu’il faut questionner à nouveau. Le citoyen doit pouvoir faire confiance à ces institutions qui relèvent de son pouvoir civique. Confiance veut dire qu’on ne lui cache pas les problèmes, que l’on partage les objectifs, que l’on se solidarise pour parvenir à résoudre les difficultés. La stratégie, la séduction par évitement, la valorisation, la médisance ne permettent pas d’aborder ce que nous devons traiter de toute urgence.
Crédit illustration principale : © Intégral.
Le Grand Prix Cap'Com 2019
Le Grand Prix Cap'Com récompense les campagnes de communication des collectivités locales, institutions publiques et associations d'intérêt général. Au-delà de la reconnaissance de la qualité du travail des professionnels de la communication publique et territoriale, le Grand Prix Cap'Com est un véritable observatoire des tendances du secteur. Le palmarès est présenté lors du Forum Cap'Com, qui aura lieu à Bordeaux du 3 au 5 décembre.