Aller au contenu principal

Marketeurs territoriaux, mettez vos "E" dans le même panier !

Publié le : 22 mai 2017 à 12:43
Dernière mise à jour : 20 mars 2018 à 14:36
Par Marc Thébault

J'ai pu proposer, par le passé, une approche du marketing territorial fondée sur le concept dit, dans le secteur privé, du "marketing mix". À savoir, 7 pistes à suivre, 7 "P", pour renforcer la puissance d'une démarche : prix, produit, publics, personnel, promotion, partenariats, et un dernier pour faire bonne mesure, les "plus" à inclure.

Par Marc Thébault

À peine mes conclusions écrites, voilà que je me fais traiter de "So XXème siècle" et qu'une nouvelle approche, celle des "4 E", vient faire la fanfaronne en déclarant que désormais il s'agit de construire autour de 4 piliers :** émotion, expérience, exclusivité et engagement** ! À noter que Joël Gayet en ajouterais un cinquième : « E comme excellence » !

Ainsi, si les "P" formaient une approche quantitative et ouvraient "l'ère de la marque", voilà qu'on nous propose une approche plus qualitative et, cette fois, centrée sur le client. En somme, il s'agit d'ouvrir "l'ère du consommateur" et de remettre l'humain au cœur du marketing. Pour bien comprendre, regardez comment The North Face, en Corée du Sud, révolutionne l’approche de sa marque :

Vidéo supprimée... !

Maintenant, détaillons donc ces 4 "E" fraîchement pondus …

E comme émotion : on va vous mettre les poils !

Ce qui motive maintenant l'acte d'achat ? Le frisson ! D'accord, on peut avoir l'impression que cela fait des décennies que certains produits sont achetés principalement pour des raisons relevant de l'émotion que va procurer leur acquisition puis leur utilisation (surtout si celle-ci est ostentatoire) : voitures sportives, montres luxueuses, vêtements coup de cœur, voyages rares, smartphones dernier cri ou autres gadgets connectés … Néanmoins, il n'est sans doute pas inutile de rappeler que l'on n'achète pas seulement un produit d'une marque donnée. On achète l'univers qui va avec, depuis l'histoire narrée par la marque, les promesses de bénéfices (de tous ordres) à venir, etc … On se déciderait donc aussi grâce à la "personnalité" de la marque et à l'émotion qui sera déclenchée par cet acte d'achat en forme d'adhésion.

Comment transposer cela en marketing territorial ? Pour le coup, ce n'est sans doute pas le plus difficile. En effet, nombre de territoires ont déjà construit leurs communications en introduisant un registre émotionnel : en 2012 le Pérou, en abandonnant volontairement les synopsis classiques (pour ne pas dire éculés), par un film, disponible sous ce lien, exclusivement évocateur de promesses d'émotions. Et, merci de jeter un œil (ici) sur Québec Original qui renouvelle grandement également l'exercice et envoie son lot d'ondes positives !

E comme Expérience : l'essayer c'est (peut-être) l'adopter

Nous sommes ici dans le champ du marketing expérientiel, défini comme une « forme contemporaine de marketing qui vise – dans la prolongation de l’achat du produit ou service offert par la marque – à engager le consommateur dans une relation avec la marque, et de le plonger dans l’univers de la marque à partir d’une expérience particulière complète. ».

Se centrer sur l'expérience, c'est donc prendre en compte la rencontre "consommateur/marque" pour, à la fois tenter d'anticiper le déroulement de cette expérience en concevant un cadre de rencontre en lien avec la personnalité de la marque et en tentant de la rendre mémorable, et à la fois analyser ce qui a été vécu pour améliorer, ensuite, produit ou service.

Sur ce registre, le marketeur sait que ce qui sera vécu et perçu lors de cette "expérience de la marque et de son univers" va déterminer le degré de satisfaction du consommateur, sa fidélisation et, peut-être, son envie de recommander autour de lui la marque.

Quid du marketing territorial ? Certes, beaucoup de campagnes promotionnelles ont pu mettre en œuvre, sur le registre testimonial, des personnes ou des entités qui, ayant fait l'expérience de choisir tel ou tel territoire, ne peuvent s'empêcher de dire toute leur joie et leur satisfaction. Ici, on posera peut-être la question de la crédibilité de témoignages forcément "sélectionnés". Mais, pour mieux illustrer l'intention, prenons l'exemple d'une campagne de promotion touristique (2014) de l'Auvergne. Le parti pris, dans ce cas, dépasse de loin les traditionnels enjeux de la promotion de sites touristiques. C'est une initiation qui est proposée, pas un vulgaire produit !

Texte publicitaire sur les bienfaits du voyage par rapports aux vacances sur une affiche tenue par quelqu'un sur fond de paysage d'Auvergne.
Le voyage vs les vacances par Auvergne Nouveau monde

Et, bien sûr, dans le tourisme, on ne vend plus des « séjours », mais on suggère des « expériences » :

E comme Exclusivité : vous êtes ici chez vous

Les enjeux de ce troisième "E" : faire en sorte que le client se sente unique, servi en parfaite exclusivité et ayant accès à des produits et des services absolument personnalisés. Il s'agit donc, ici, de transformer l'accès à la marque, par essence "de masse", par une expérience individuelle d'accès à des produits dédiés et parfaitement adaptés, au cas par cas, aux besoins spécifiques de chacun. Mieux, le client potentiel aura le loisir de participer à cette hyperpersonnalisation de l'offre en la coproduisant.

Coté public, Amiens, depuis 20 ans, l'a bien compris et propose un accueil totalement personnalisable aux nouveaux cadres fraîchement débarqués en Haute-Picardie (site sous ce lien).

E comme Engagement : un petit pas pour le client mais un grand pas pour la marque

Voilà un enjeu capital, cher au numérique, puisque la mobilisation des contacts et leur transformation en acteurs au service de la marque est une quête aux côtés de laquelle celle du Graal est une promenade de santé pour grabataires en déambulateur. Notons toutefois, dans le cas qui nous occupe, que l'engagement est fondé sur la réciprocité. La marque s'engage de son côté – ici, lire ABSOLUMENT cet article (sous ce lien) de l'excellent Hervé Monier sur l'engagement sociétal et éthique (si, si) des marques, avec de nombreux exemples très parlants – puis, et seulement "puis", elle va proposer à son client de s'engager aussi. Librement bien sûr. Et progressivement, car toute implication demande un enchaînement, un important engagement n'étant envisageable que si un plus modeste (ou "acte préparatoire") l'a précédé et a été accepté. L'idée est à la fois de créer une relation de confiance entre les deux protagonistes et d'offrir au consommateur la possibilité d'effectuer un geste qui servira la marque. Le tout, dans un climat favorable aux interactions et aux échanges et en développant le sentiment "d'utilité" du client.

Côté professionnel, un exemple par le jeu qui peut engager. L'Ardèche le sait bien en lançant un concours de jeux de mots sur le nom de ses villes :

Jeu d'engagement sur les noms de villages en Ardèche
Jeu d'engagement sur les noms de villages en Ardèche

En conclusion, bien sûr, les 4 E sont liés. Chacun s'alimente des fruits des autres et chacun se complète. D'où des campagnes regroupant ces 4 E, comme la pérenne et réussie démarche de Brive et de ses gaillards à réveiller en soi (saga en vidéo sous ce lien) ou le fameux « Guest of Honour » de Londres (voir sous ce lien).

Vue aérienne et nocturne de Londres avec Big Ben et le London Eye  et le texte Become London's official guest of honour
London Guest of Honour

Une autre idée possible : ces 4 E ne sont sans doute pas à opposer aux 7 P mais aptes, notamment, à renforcer le "P" de "Publics", consacré aux actions visant les cibles du marketing territorial.

Enfin, comment, communicants publics que nous sommes, pouvons-nous ne pas expérimenter ces 4 nouveaux champs, nous qui savons depuis belle lurette qu'il n'y a pas de communication sans envisager l'Autre, son fonctionnement, ses attentes comme ses besoins et s'y adapter. Et ici, nous avons de quoi faire sortir le marketing territorial de son égocentrisme (« Voyez ma marque, mes muscles, mes atouts, mes bons classements, mes richesses et … Aimez-moi ! ») pour l'ouvrir à ses cibles et à ce qu'elles attendent vraiment. De quoi regretter de ne pas avoir écouté mon grand-père qui rappelait qu'on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre et que l'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif. Mais il n'était pas marketeur territorial.