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Communication publique et résilience

Publié le : 10 juillet 2024 à 16:34
Dernière mise à jour : 18 juillet 2024 à 18:42
Par Monia Maouche

Pour Kristina Plavšak Krajnc, correspondante internationale indépendante et directrice de Media Forum, la clé pour renforcer la résilience démocratique réside dans une communication publique efficace. Forte de plus de 20 ans d'expérience, elle œuvre pour élever les standards professionnels dans la communication des institutions publiques et sensibiliser aux bonnes pratiques.

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Kristina Plavšak Krajnc est la directrice de Media Forum, Center for Public Communication, une ONG basée à Ljubljana. Elle a aussi été directrice au sein du Bureau de la communication du gouvernement de Slovénie et a travaillé pour le Conseil de l'Europe. Actuellement, elle collabore avec des organisations internationales comme l'OCDE pour promouvoir des pratiques de communication publique de qualité en Europe et au-delà. Commonality l’a rencontré lors du deuxième séminaire international organisé conjointement par Cap’Com et le Club de Venise, avec le soutien de la Ville et de l’eurométropole de Strasbourg, les 23 et 24 mai 2024.

Commonality : Vous êtes établie en Slovénie, mais votre action s’inscrit pourtant dans l’espace européen.
Kristina Plavšak Krajnc
: Oui, je dirige Media Forum, Center for Public Communication, une ONG établie à Ljubljana, qui a été fondée il y a un peu plus de 20 ans. C’est une petite ONG, que je mène essentiellement en solo. Cependant, au fil des années, nous avons réalisé de nombreux projets qui ont notamment mis en avant l’importance d’avoir des standards professionnels dans le domaine de la communication publique et qui nous ont aussi permis de passer en revue les pratiques des médias, et plus spécifiquement la réglementation et la publicité dans cet univers.

Je travaille actuellement avec des organisations internationales, en particulier l’OCDE, pour essayer de renforcer les pratiques en matière de communication publique, non seulement en Europe, mais aussi dans les régions voisines. Des projets ont ainsi été menés en Jordanie et en Égypte. Je suis une membre très engagée du Club de Venise […]. J’ai travaillé pendant plus de 20 ans au sein non seulement d’institutions gouvernementales, mais aussi d’organisations internationales.

Commonality : Vous avez été modératrice et avez animé une des conférences du séminaire international de Strasbourg. Qu’en avez-vous retenu ?
Kristina Plavšak Krajnc :
Je le répète à l’envi à chaque rencontre du Club de Venise, en dépit des défis et des difficultés rencontrés, et des avancées dans les domaines des technologies, des médias, etc., nous devons revenir aux fondamentaux de la démocratie. Je veux parler de la communication publique des institutions publiques, qui est le sujet de notre rencontre. Il faut trouver des moyens adéquats pour communiquer avec les citoyens, mais aussi pour susciter leur engagement, les mobiliser, et également pour leur apporter des réponses. En effet, étant donné nos rôles et nos fonctions, nous ne devrions pas agir comme certains acteurs du privé ou du monde de l’entreprise, en ce sens où il existe un corpus spécifique de pratiques professionnelles et de connaissances, que les institutions publiques se doivent de suivre. Dans une démocratie constitutionnelle, nous sommes responsables des citoyens et nous devons agir pour le bien commun, qui est de moins en moins présent. Les politiques copient de plus en plus les pires pratiques, en raison de la concurrence féroce exercée par les personnes qui diffusent des discours négatifs ou par celles qui travaillent dans le monde de l’entreprise […] Nous devons préserver notre façon de faire, en raison de la défiance qui s’instaure et qui représente le problème le plus saillant. Pire nous faisons, ou plus nous nous plaçons au même plan que d’autres acteurs, moins on nous fait confiance. Et, sur le long terme, c’est une situation catastrophique, car les citoyens ne font plus confiance aux politiques ou aux institutions, ni non plus à la justice, à la police, etc.

Nous devons nous connecter davantage à la société civile, aux médias, aux gens, aux institutions académiques, et travailler main dans la main avec eux. De même, au niveau international, régional, local...

Et avec la montée de l’illettrisme, les gens lisent moins. En parallèle, il y a une inflation de l’information et des sources, il devient impossible d’avoir des certitudes. Cette situation a empiré, et au bout du compte, c’est dangereux, pour la santé, pour la vie des gens [ndlr : voir épisode Covid]. Et il n’est pas possible de l’inverser de manière immédiate. Cela demande beaucoup de temps, ainsi qu’un effort et une coopération systémiques. D’où notre présence ici. Les gouvernements n’ont pas fait leur travail. Par ailleurs, leurs ressources sont limitées en dépit de la technologie, c’est comme si nous étions dans une impasse et, de ce fait, nous devons nous connecter davantage à la société civile, aux médias, aux gens, aux institutions académiques, et travailler main dans la main avec eux. De même, au niveau international, régional, local, les instances gouvernementales doivent être davantage tournées vers les citoyens. Nous avons besoin, face à cette société de l’information au rythme effréné, de prendre le temps de la réflexion, d’analyser davantage et aussi d’investir plus dans nos capacités intellectuelles, et non dans ces discours négatifs. Ce qui m’étonne, c’est comment les gens, en dépit de leur réflexion, de leurs capacités intellectuelles vitales, adhèrent aux discours négatifs. En tout cas, la responsabilité des institutions publiques est d’essayer de répondre de manière adéquate et de communiquer de façon à ce que les gens adhèrent, en adoptant un discours clair, de confiance, explicatif, visuel et agréable. Elles doivent s’efforcer de faire mieux. C’est pourquoi ce séminaire à une telle valeur, car il nous permet de partager nos espoirs et nos doutes, et au final de garder notre motivation.

Nous devons revenir aux fondamentaux de la démocratie, notamment en ce qui concerne la communication publique des institutions.

Commonality : Selon vous, quel rôle les institutions européennes doivent-elles jouer face à l’évolution de la désinformation ?
Kristina Plavšak Krajnc
: C’est une question difficile mais très importante. Nous connaissons le rôle de la Russie, de la Chine, de ces fameux agents de l’étranger – mais aussi en interne, on voit certains acteurs nationaux se présenter aux élections parlementaires européennes, fonder leur campagne sur un discours négatif, en martelant que rien ne va, et une fois élus, faire un travail de sape des institutions. Ils attaquent la politique des institutions de l’intérieur, ce qui est encore plus dangereux, car auparavant, nous étions surtout confrontés à une opposition aux institutions. Et, en ce sens, je ne peux pas être optimiste, car tous les sondages montrent que le soutien apporté à ces candidats va être bien plus important que lors des dernières élections européennes [interview réalisée avant les élections du 9 juin 2024]. Et du côté officiel, du côté des grandes institutions, le Parlement ou la Commission, le travail n’est pas fait, car elles ne sont pas capables d’écouter ni de se mettre à la place des électeurs. Je suis particulièrement préoccupée par les jeunes électeurs, la jeunesse qui va voter pour la première fois. Il faut savoir que le Parlement européen façonne directement notre environnement direct, il adopte plus de 80 % des décisions et des règlements qui influencent nos vies. Il a un rôle plus large que purement législatif. Par ailleurs, l’Union européenne n’est pas une entité externe, c’est un acteur interne, nous faisons partie de cette alliance [...]. Elle nous apporte des avantages très concrets comme Erasmus, la liberté de circulation, une monnaie commune. Bien sûr, je pense qu’il reste encore énormément de travail à effectuer, mais qu’il ne faut pas rendre les armes.

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