De la participation des citoyens à la vie publique
Lors du 33e Forum de la communication publique de Rennes, la question de la participation des citoyens a animé les échanges dans plusieurs ateliers et plénières. La synthèse réalisée ici permet de retisser le lien entre participation et communication.
Synthèse croisée de la plénière d’ouverture « L’impératif participatif : comment ranimer une démocratie qui s’effondre ? » et des ateliers « Empowerment, les nouvelles formes de participation inclusive » et « La communication médiatrice de la culture », rédigée par Abigail Blanc, Anaïs Dandrieux, Brigitte Lespes-Roman, Jeanne Martorello, Maxime Joubert, étudiants du master 2 communication des territoires de l'université Toulouse III.
La crise civique et démocratique est là, et la confiance de citoyens qui participent à la vie publique et à l’élaboration de décisions est atteinte. Les groupes sociaux ont le sentiment d’être mal représentés et, lors la crise des gilets jaunes, il y a trois ans, des revendications pour une autre forme de démocratie se sont fait jour. Ainsi, l’exemple de la Convention des citoyens sur le climat nous dit que le fait démocratique peut trouver d’autres espaces ou d’autres formes. La participation citoyenne est entendue comme « l'ensemble des dispositifs politiques et démarches qui visent à associer les citoyens au processus de décision politique. Cette participation peut être plus ou moins directe, plus ou moins inclusive, plus ou moins structurée, mais elle vise globalement à renforcer la légitimité et l’efficacité de l’action publique », explique Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
La question de la participation citoyenne se pose, en particulier et de manière accrue, pour les citoyens « empêchés », ceux qui ne se sentent pas légitimes ou ne sont pas invités dans le débat public. Parmi eux, une multiplicité de catégories, depuis les citoyens « isolés » pour des raisons diverses jusqu’aux jeunes, a priori peu ou pas intéressés par des questions loin de leur quotidien.
Empowerment, les nouvelles formes de participation inclusive
La participation des « publics isolés » à un débat citoyen pose également plusieurs questions. La première tient à la grande diversité des publics concernés : des précaires, des sans-abri, des travailleurs du sexe, des étrangers, des personnes âgées ou handicapées... Ce sont tous des citoyens « empêchés », précise David Prothais, directeur de mission chez Eclectic Experience, spécialiste de la concertation et de la participation citoyenne, mais pour des raisons différentes. La question de leur représentation interroge. Doit-on la penser en termes de quotas ou à partir de déterminants sociologiques et « jusqu’à quelle granulométrie de diversité peut-on aller ? » s’interroge Sylvie Barnezet, responsable de l’axe participation citoyenne de Grenoble Alpes Métropole. Il faut en outre se garder de tomber dans l’injonction à la participation. Le chemin reste long pour offrir des dispositifs, à la jonction entre communication publique et participation citoyenne, qui s’adaptent à l’hétérogénéité des publics.
Au-delà de l’empowerment, deux logiques se dégagent. Celle de l’adaptation, qui concerne le domaine de l’éducation populaire et où il s’agit d’accompagner les publics en difficulté et de les inviter à s’exprimer dans la sphère publique ; et celle de l’incapacitation, qui consiste à adapter une ingénierie participative pour qu’elle puisse entendre des publics qu’elle ne voit pas spontanément. « Face à cette hétérogénéité des publics, on n’a pas affaire à des dispositifs forcément équivalents », explique David Prothais.
La médiation est essentielle pour établir un lien de confiance entre des institutions parfois intimidantes et un public méfiant.
Cependant, le dénominateur commun qui émerge de toutes les expériences qui travaillent à l’inclusion des divers publics au débat est la médiation. Elle est essentielle pour établir un lien de confiance entre des institutions parfois intimidantes et un public méfiant. Les associations sont les mieux placées pour tenir ce rôle d'intermédiaire et faire adhérer les publics isolés, pour les faire venir et revenir dans le jeu. Cela signifie aussi aller à la rencontre des publics dans les lieux qu’ils fréquentent (et ne pas penser qu’ils vont venir vers nous). Il faut travailler avec les acteurs qui connaissent les problématiques de ces publics pour définir les modalités d’information et de participation les plus adaptées. L’enjeu est de rendre accessibles l’information et la participation en variant les supports mais aussi en trouvant les bons canaux (pas seulement techniques) pour que le message atteigne son but et ses cibles, et de donner au public qu’on interpelle des perspectives sur les questions débattues. Institutions publiques, associations, publics concernés, c'est en mettant les compétences de chacun en commun que la mise en place de dispositifs a du sens et crée de la cohésion.
La communication médiatrice de la culture
La participation des jeunes a longtemps été mise de côté. Le constat n'est pas tant qu’on ne sait pas s’adresser à la jeunesse mais que, généralement, les jeunes sont totalement exclus du débat. Pourtant, certains acteurs de la communication territoriale, notamment culturelle, proposent des dispositifs innovants avec pour objectif de créer une place toute particulière à la jeunesse. Petit tour d’horizon à travers deux expériences décryptées lors du Forum Cap’Com.
La ville de Villeurbanne a souhaité placer les jeunes au centre de sa communication dans le cadre du label Capitale française de la culture 2022. Sachant que 50 % de la population de la ville a moins de 30 ans, ce n’est pas un hasard si elle a choisi de laisser cette place aux jeunes. Elle propose donc de nombreuses offres culturelles construites avec et pour la jeunesse, en établissant une communication inclusive, innovante et participative. Parmi les différents dispositifs, un festival entièrement dédié aux jeunes est organisé par une centaine de volontaires âgés de 12 à 25 ans : le Festival de la jeunesse se déroulera du 3 au 5 juin 2022 dans le parc naturel de la Feyssine.
L’Opéra de Rennes propose également des dispositifs de démocratisation culturelle en direction des jeunes. La communication s’organise autour de quatre axes : ouverture, démocratisation, accessibilité et innovation. Des projets d’études avec les étudiants de la ville sont organisés mais des dispositifs sont aussi proposés en direction des enfants et des familles, et des jeunes qui « n’approchent pas ou n’osent pas approcher » l’opéra, précise Nicolas Audeguy, directeur de l’agence Giboulées. En mêlant réalité virtuelle et extraits audio d’opéras cachés à plusieurs endroits dans la ville, deux objectifs sont poursuivis : permettre aux jeunes de découvrir cet art qu’ils n’osent pas d’ordinaire approcher, et réinvestir l’espace public.
Se former à la participation citoyenne : un impératif pour les fonctionnaires territoriaux ?
Dans un rapport remis au gouvernement en février dernier, l’ancien président du Conseil économique, social et environnemental Patrick Bernasconi recommande d’accélérer les dispositifs de participation locale pour restaurer la confiance des Français dans la vie démocratique. En s’inspirant des dispositifs existants et probants notamment en matière d’environnement. Conventions citoyennes, référendum local, budgets participatifs : ces dispositifs projet sont plus adaptés aux attentes citoyennes et moins formalisés que les conseils de quartier, de développement, etc. Mais ils nécessitent la maîtrise d’une nouvelle technicité : le rapport recommande que les élus et les fonctionnaires soient mieux formés dans ces domaines et suggère un engagement de l’INET, l’Institut national des études territoriales.
La voie du local de la participation citoyenne
Un fourmillement d’idées, des dispositifs innovants, de la créativité et l’implication des communicants et des élus dans les collectivités territoriales : la crise sanitaire n’a finalement qu’un effet d’accélérateur sur ces initiatives.
« L’aspiration à la démocratie est présente et il y a une disponibilité pour une démocratie participative, notamment chez les jeunes », souligne Loïc Blondiaux. Une envie de « démocratie du faire », de contribuer véritablement, par l’action. Il y a aussi un retour de l’imagination et de l’expérimentation démocratique, et même une sophistication des outils. Tout est là. Et il faudrait s’en servir, souligne Loïc Blondiaux. Et c’est par la voie du local que les politiques participatives prennent forme, d’autant plus que, contrairement à ce qui se passe pour les institutions étatiques, « la relation de confiance des citoyens s’est accrue envers les institutions publiques locales », rappelle Bernard Deljarrie, président de la coopérative Cap’Com.