Les primaires, définitivement entrées dans la cour des grands ?
Lancé par la gauche en 2011, le système des primaires s’est inscrit dans notre système démocratique avec l’instauration du même processus électoral à droite en 2016. Sont-elles pour autant une garantie de succès pour leur vainqueur ? Perdureront-elles à coup sûr dans les échéances du futur ? Les succès enregistrés dans la participation font penser que oui… l’analyse des chiffres soulève cependant quelques limites...
Par Yann-Yves Biffe - Prospective, management, numérique et communication publique : retrouvez d'autres chroniques illustrées sur www.yybiffe.com et via twitter : @yyBiffe.
Bonne nouvelle, la démocratie n’est pas morte, elle est même bien vivante et les primaires, issues du système électoral présidentiel américain, font souffler un nouveau vent de fraîcheur sur l’exercice électoral.
Ça donne à apprécier, pour les électeurs, la possibilité de faire entendre son choix
Les élections passaient presque plus pour un devoir que pour un droit. Il fallait aller voter, comme on devait faire une corvée. Dans l’exercice totalement volontaire et facultatif des primaires, un grand nombre de Français ont montré qu’ils étaient attachés à donner leur avis.
Ils ont même prouvé qu’ils étaient prêts à payer pour cela, entérinant le fait que choisir ses élus, c’est un droit qui a une valeur au-delà d’un prix de 2 ou 4 €.
Les Français ont surtout montré qu’ils étaient intéressés à se déplacer pour voter, voire à faire la queue longuement pour glisser leur papier dans l’urne, bref à faire un effort parce que les primaires leur offrent une opportunité de décider. Beaucoup d’électeurs de droite se sont déplacés avec la conviction qu’ils étaient en train de choisir le prochain président de la République. L’abstention n’est pas une posture politique mais un manque de perspective d’utilité du vote, comme le montrent les bonnes participations lors des scrutins à véritable enjeu.
Ils ont goûté dans les primaires à un véritable choix. Souvent, ils se sentent à l’étroit, sans véritable alternative au sein des grandes cases qui leur sont proposés entre PS, UMP/Les Républicains et le Front National.
Avec les primaires, l’offre de personnel politique a été élargie en présentant de multiples nuances d’une même base idéologique. Surtout, elles ont offert la possibilité de renouveler qui n’était plus désiré pour représenter sa tendance, et Nicolas Sarkozy en a fait les frais en premier lieu.
Sans changer la constitution, les primaires renouvellent la Ve république et un système présidentiel bipolaire et cadenassé par les partis.
Pour la fin de la bipolarité, c’est surtout le FN qu’il faudra « remercier ».
Pour la remise en cause du système des partis, bon, il ne faut pas s’illusionner non plus, ce sont quand même eux qui organisent les choses, même s’ils ouvrent grand la porte aux petits partis affiliés. Ce d’autant plus que leurs représentants n’ont aucune chance de gagner. Il faudra d’ailleurs peut-être poser un jour prochain la question de la légitimité de ces Poisson ou Pinel, qui représentent au mieux quelques centaines de milliers de militants et n’ont pas l’obligation de présenter les parrainages imposés à leurs concurrents du PS ou des Républicains.
Les primaires ont montré que les votants pouvaient passer outre les organisations des partis et ainsi, imposer un candidat quand bien même un autre tenait les rênes du parti. Avec le système de désignation préalable, le PS aurait-il présenté François Hollande ? Les Républicains François Fillon ? On peut en douter.
Ce sont pourtant les décideurs des grands partis qui font la valeur de la primaire, par leur capacité à s’y soumettre pour faire passer avant leur intérêt personnel celui de leur tendance politique.
En effet, les primaires n’ont aucune valeur constitutionnelle. Leurs vainqueurs ne peuvent s’en prévaloir pour éliminer les autres candidats de leur famille politique. Ils peuvent juste s’appuyer sur la légitimité donnée par des milliers voire millions de votants, à mettre en balance avec les votes de délégués d’un parti voire micro-parti.
C’est suffisamment puissant pour faire passer une tardive initiative personnelle de Michèle Alliot-Marie comme une blague de fin d’année. Mais pas suffisamment pour décourager un Mélenchon ou un Macron de se lancer indépendamment des primaires.
Leurs justifications sont valables : Mélenchon ne participe pas aux primaires de la gauche car il considère qu’elles ne représentent pas la gauche. À l’inverse, Macron n’y participe pas car il considère qu’il parle plus largement qu’à la gauche.
Ils ont tous les deux raison : la primaire citoyenne dite de gauche n’est pas la gauche. En 2011, François Hollande a remporté les primaires avec 1,6 millions de voix. Il lui en a fallu 10,2 millions (et 9,7 à Nicolas Sarkozy) pour passer au second tour, et 18 millions pour l‘emporter ! On voit bien en rapprochant les deux chiffres que la primaire ne fait pas la présidentielle.
Ça donne à relativiser la représentativité des électorats des primaires
De même, on a pu croire que l’élan impressionnant qui a désigné François Fillon avec 66,5 % des voix de la primaire en fait le représentant d’une écrasante partie de la droite. Il n’en est rien.
Tout d’abord, de nombreux apports extérieurs ont participé à la primaire de droite.
Il est admis par les instituts de sondage Elabe et Harris Interactive qu’environ 15 % des électeurs de la primaire de droite étaient des sympathisants de gauche, et que 8 % étaient des sympathisants d’extrême-droite. Soit au total près d’un quart des votants, c’est à dire plus d'un million de votants !
Il y avait là de quoi mettre largement à mal la légitimité du résultat dans le cas d’un résultat qui aurait été plus serré ! Ainsi, si un candidat avait été battu de 2 points, il aurait tout à fait pu dire « le vainqueur ayant été désigné grâce aux voix de la gauche (ou de l’extrême droite), je suis plus légitime que lui à représenter la droite. »
L’avance de François Fillon a été telle que ce type de débat n’était pas d’actualité. Mais il peut tout à fait se présenter une prochaine fois et remettre en cause la légitimité des primaires.
Parallèlement, comme à gauche, le corps des votants de la primaire de droite, même s’il était deux fois plus important que celui de primaires de gauche de 2011 et de celui attendu en 2017, avec 4,4 millions de participants, ne constitue qu’une petite partie des 17,4 millions de suffrages exprimés nécessaires pour l’emporter en 2012. Avec 2,92 millions de voix rassemblées sur son nom, il n’a dans son escarcelle que 16,7 % des voix nécessaires pour gagner les présidentielles.
On en conclut donc que remporter les primaires est un atout énorme pour s’emparer de la légitimité de son camp, de droite ou de gauche. Mais c’est en soi loin d’être une garantie, tant il existe un fossé entre la profondeur du corps électoral des primaires et celui des présidentielles, les vraies. Harris Interactive montre ainsi que les primaires de droite ont surtout mobilisé les seniors les plus favorisés. Mais l’élection présidentielle ne se jouera-t-elle pas plutôt sur la capacité des candidats à s’adresser aux classes populaires et périphériques qui se sentent délaissées et en manque de repères par rapport à l’évolution de l’économie et de la société, ressentant une peur de relégation sociale ?
Il sera également intéressant de voir comment se positionneront les électeurs au 1er tour à gauche, entre le candidat issu de la primaire et les alternatives Mélenchon/Macron. En cas de score inférieur du vainqueur de la primaire face à un seul de ces challengers, le principe des primaires pourrait là aussi être remis en cause.
Bref, si on a pu penser que voter aux primaires, c’était choisir le président de la république, il n’en est rien. Les élections présidentielles gardent tout leur enjeu et c’est tant mieux. Nouvel épisode de la greffe des primaires en France, renouvellement de l’offre, mais surtout un véritable choix à effectuer : l’année 2017 s’annonce passionnante pour la démocratie !