« Nous devons être plus puissants face à l’hypertrucage »
À l’occasion du Séminaire européen sur la communication stratégique, qui s’est récemment tenu à Londres, nous nous sommes entretenus avec Alex Aiken, chef de file de la communication stratégique, chargé du développement des moyens et campagnes de communication dans les domaines des relations internationales, et de la sécurité nationale et régionale. Nous avons ainsi pu lui demander comment il œuvre à lutter efficacement contre les menaces en ligne avec ses équipes.
Alex Aiken est directeur exécutif de la communication du gouvernement britannique. Il a été nommé à cette fonction en décembre 2012 en vue de créer le Service de communication du gouvernement (Government Communication Service, GCS) et de développer des campagnes interministérielles.
Point commun : Quelles mesures avez-vous prises face à la propagation de fausses informations sur les réseaux sociaux ?
Alex Aiken :Nous avons élaboré un cadre baptisé « RESIST ». Il comprend une boîte à outils détaillant la marche à suivre pour lutter contre la mésinformation et la désinformation. Il aide les communicants à surmonter les difficultés qu’ils rencontrent de manière systématique et efficace, tout en préservant les principes démocratiques fondamentaux tels que la liberté d’expression. Nos équipes médias sont formées à l’utilisation de cette méthode pour lutter contre les formes les plus dangereuses de mésinformation et de désinformation.
Nous commençons par écarter la mésinformation fantaisiste mais inoffensive.
Tout d’abord, nous identifions la mésinformation et la désinformation sur les réseaux sociaux, en laissant de côté les informations cocasses et sans danger. Nous prenons ensuite des mesures pour combattre les éléments de mésinformation plus graves. Certains sujets sont particulièrement propices à la mésinformation, comme le débat autour des réseaux de télécommunication 5G.
Nous procédons en trois étapes :
- La première étape consiste à identifier les publications sur les réseaux sociaux qui représentent une réelle menace pour l’information du grand public.
- Nous décidons ensuite si nous devons y répondre ou réfuter l’information pour rétablir la vérité. Tous les messages que nous publions sont contrôlés et évalués.
- L’équipe médias combat la mésinformation à la source. Nous prenons contact avec les plateformes concernées, comme Google, Meta et YouTube, et leur demandons de retirer les fausses informations.
Nous entretenons une excellente relation avec les plateformes de médias sociaux, mais ce n’est pas simple de les pousser à intervenir. Nous y parvenons environ une fois sur deux.
Point commun : Quelle est la structure du Service de communication du gouvernement ? Quels grands changements a-t-il connus au cours de la dernière décennie ?
Alex Aiken : La fonction de communication au sein du gouvernement britannique a rapidement évolué vers une structure matricielle moderne. C’est un métier considéré comme essentiel au sein du gouvernement ; le directeur général et les membres du comité des directeurs de communication sont issus des 23 principaux ministères. Le gouvernement compte près de 7 000 communicants, dont le Service de communication du gouvernement. Pour que la communication soit efficace, il faut des personnes compétentes à travers toute l’organisation. Nous avons fait le choix délibéré d’accroître nos capacités numériques et de doter chaque équipe de communication des talents nécessaires, que le public soit international ou national. Les compétences tournées vers l’avenir sont indispensables dans tous les sous-domaines de la communication, de la communication interne aux affaires étrangères, en passant par les médias et le marketing.
Gardez à l’esprit que nous sommes un métier, et non une simple fonction.
Notre stratégie de renforcement des capacités concerne tous les membres du Service de communication du gouvernement, des grands ministères aux petits organismes indépendants. Les compétences numériques sont cruciales pour tous. La communication publique, c’est un métier, et non une simple fonction ; il est important de garder à l’esprit que les personnes et leur développement s’inscrivent au cœur de ce métier.
Outre le développement de compétences transversales, nous avons créé des domaines de spécialité : certaines équipes se consacrent exclusivement à la communication internationale ou à la communication sur la sécurité nationale. Notre orientation internationale nous a permis de coopérer avec d’autres pays pour lutter contre la désinformation, et nous avons conçu un vaste programme de formation à la mise en œuvre du cadre « RESIST ». Nous collaborons étroitement avec nos homologues, notamment français et européens, en vue de développer des campagnes renforçant la démocratie et combattant la désinformation à l’échelle nationale et locale.
Point commun : Comment considérez-vous personnellement la question de la désinformation pour les années à venir ?
Alex Aiken : L’hypertrucage (deepfake) va considérablement se développer, ce qui va malheureusement entraîner une hausse des divisions sociétales.
L’hypertrucage va tenter de diviser les populations.
Les personnes derrière cette forme puissante et complexe de fausse information tenteront de diviser les populations pour fracturer la société. La désinformation de demain sera beaucoup plus technique, beaucoup plus efficace et beaucoup plus difficile à combattre. L’intelligence artificielle crée déjà un réel impact : il suffit de voir ChatGPT pour comprendre mon point de vue sur l’avenir des fausses informations ! Mais, comme la plupart des outils d’IA, ce qu’il produit doit être utilisé avec prudence et ne pas être pris au pied de la lettre.
L’intelligence artificielle va tout complexifier, et ses conséquences sont imprévisibles. Nous devons être plus puissants face à la mésinformation, et les médias sociaux doivent être beaucoup mieux réglementés.
Un séminaire sur la communication stratégique à Londres (mars 2023)
Lors de cette seconde rencontre organisée par le Club de Venise et le Service de communication du gouvernement britannique, à laquelle Yves Charmont, délégué général de Cap'Com a participé, plus d’une cinquantaine de spécialistes européens ont partagé leur expertise sur les questions de la lutte contre la désinformation et de la coordination stratégique de la communication publique. À cette occasion, l’ambassadeur Pasquale Terracciano, directeur général de la diplomatie publique et culturelle au sein du ministère italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, a évoqué les nouvelles frontières de la diplomatie publique et le rôle de la communication stratégique dans un monde en proie à de grands défis géopolitiques. Il a insisté sur « l’importance d’élaborer une nouvelle stratégie de communication publique fondée sur la participation et la responsabilisation ». Il a également souligné le « rôle central des médias, qui doivent être soutenus par les pouvoirs publics », faisant référence à la situation actuelle et à la campagne de désinformation russe. Il a appelé les communicants publics à « tirer les enseignements de cette situation et aller plus loin ! C’est le grand défi de la communication publique aujourd’hui ».