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Un langage commun contre la désinformation

Publié le : 10 juillet 2024 à 16:34
Dernière mise à jour : 19 juillet 2024 à 16:46
Par Monia Maouche

Pour Saman Nazari, le « conte de fées » de réseaux sociaux comme une agora libre et utile est derrière nous. Avec son organisme Alliance4Europe, il agit concrètement pour rendre ces espaces plus sûr en proposant un langage commun et une éducation nous permettant de comprendre et de gérer le flot des infox.

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Saman Nazari est analyste en renseignement de sources ouvertes (OSINT), spécialisé dans les interférences étrangères émanant de Chine, mais aussi dans la désinformation. Il établit des méthodologies à cette fin, et coordonne par ailleurs différents projets, tout en essayant de construire une communauté de chercheurs, d’enquêteurs, de journalistes et de fact-checkers (les spécialistes de la vérification des faits). Commonality l’a rencontré lors du deuxième séminaire international organisé conjointement par Cap’Com et le Club de Venise, avec le soutien de la Ville et de l’eurométropole de Strasbourg, les 23 et 24 mai 2024.

Commonality : Tout d’abord, pourriez-vous nous présenter votre organisation et son champ d’action ?
Saman Nazari :
Alliance4Europe est une ONG engagée dans des activités de renforcement de la résilience, des activités qui visent à renforcer la société civile contre la désinformation et d’autres menaces, et qui essaie de créer une unité au sein de la société civile et de promouvoir les valeurs et l’unité européennes. Nos activités sont très larges et vont de l’organisation de matchs de football entre des enfants réfugiés et les populations locales, à l’éducation aux médias et aux formations en journalisme. Nous construisons aussi des cadres et faisons de l’incubation. Nous avons incubé le cadre DISARM, qui est un cadre qui nous permet d’adopter un langage commun lorsque nous discutons des comportements en matière de désinformation [...] et aujourd’hui nous coordonnons un effort européen visant à surveiller les menaces à l’égard des élections européennes. Nous sommes également signataires du Code de bonnes pratiques contre la désinformation qui est une initiative européenne, et nous sommes aussi membres de FIMI-ISAC, que nous espérons intégrer à notre initiative pour les élections. Voilà.

Commonality : Lors de votre intervention lors de ce séminaire international à Strasbourg vous vouliez faire passer un message. Quel est-il ?
Saman Nazari :
Le grand message que j’essaie de faire passer, c’est que nous avons besoin de créer un langage plus commun lorsque nous discutons de la désinformation et l’analysons, afin d’élargir nos échanges et nos collaborations. Nous avons besoin de créer des collaborations entre des acteurs comme moi-même, c’est-à-dire les analystes, les journalistes, les enquêteurs, les personnes qui font des recherches fouillées, et les acteurs qui font de la communication, etc., afin de permettre à cette large communauté de collaborer.

Commonality : À votre avis, quand le « conte de fées » des médias sociaux s’est-il transformé en cauchemar ? Quand cela a-t-il basculé ?
Saman Nazari :
C’est une bonne question, à laquelle il est très difficile de répondre. En ce qui me concerne, j’ai rejoint la sphère politique sur Internet très jeune, j’ai participé au Printemps arabe, qui a été une période d’espoir qui nous a laissé penser que nous pourrions amener la démocratie au Moyen-Orient, vous voyez ? Le but était d’aider les gens à se défendre contre les régimes de terreur, à aider les journalistes à obtenir des informations auprès du public, etc. Ensuite, à un moment donné, je pense que c’est au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, lorsque le Donbass et tous ces événements se sont produits, nous avons vu que la désinformation de masse commençait à avoir véritablement un effet réel. Je pense que c’est à ce moment-là que je me suis dit qu’Internet n’était plus seulement un lieu ouvert qui nous permet d’engager des actions positives, mais qu’il était aussi un terreau propice à de très mauvaises choses et que les gens pouvaient être manipulés. Il me semble bien que ce soit autour de cette période, lors de la première attaque de la Russie contre l’Ukraine, que nous avons constaté cela. Commonality : Dans quelle mesure les nouvelles technologies sont-elles responsables de la désinformation ? Saman Nazari : Je ne pense pas que ce soit une question de technologie. Oui, la technologie permet la désinformation. Mais, c’est davantage le fait des acteurs qui choisissent d’utiliser cette technologie et des fournisseurs de cette technologie qui ne prennent pas les mesures qu’ils devraient prendre. En elle-même, la technologie est comme un couteau. Vous pouvez faire des choses formidables avec ou vous pouvez tuer des gens.

Saman Nazari lors de son intervention au séminaire international de Strasbourg.

La désinformation a des effets physiques en ce sens où les gens sortent de chez eux et se livrent à des actes vraiment problématiques.

Commonality : La désinformation est-elle un problème majeur, selon vous ? Sur une échelle de 1 à 10 ?
Saman Nazari :
Je pense que la désinformation dans son ensemble est effectivement un problème majeur, je la placerai à 7 sur votre échelle. Pour moi, elle est arrivée à un point où elle a véritablement des répercussions sur le quotidien. J’irai même jusqu’à 8, car elle est devenue un outil, un outil très puissant utilisé par tellement de personnes et d’acteurs différents pour nuire si profondément. Et elle a des effets sur le monde réel – non, ce n’est pas le bon terme, car Internet fait également partie du monde réel – elle a des effets physiques en ce sens où les gens sortent de chez eux et se livrent à des actes vraiment problématiques, comme c’est le cas des partisans du mouvement QAnon, qui est responsable de plusieurs décès et qui s’inscrit aussi dans le cadre de la désinformation même s’il applique une théorie conspirationniste. Il y a également les émeutes qui se produisent dans des contextes différents, mais qui sont alimentées par la désinformation, bien qu’il ne soit pas toujours facile de déterminer précisément le rôle spécifique de la désinformation jouée par tel ou tel acteur. Il est très difficile d’établir ce lien de causalité. Je la placerai donc à 8 sur l’échelle.

Commonality : Pensez-vous qu’il soit possible d’éliminer la désinformation ?
Saman Nazari :
Non, je ne pense pas que cela soit possible. Je pense que nous devons apprendre à la gérer. Nous devons apprendre à la comprendre et à ne pas en être affectés. Il y aura toujours des acteurs qui essaieront de nous influencer par des moyens malveillants. Et, pour être honnête, je n’aime pas utiliser le terme « désinformation ». Je préfère parler d’« opérations d’influence ». Car il ne s’agit pas toujours d’informations fausses, mais très souvent de comportements manipulateurs.

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