UX éducation
Et si on parlait d’expérience utilisateur ? Vous savez, l’UX et tous ces trucs tendance, du genre : « Notre vécu face à des services forcément géniaux conçus pour nous faciliter la vie et augmenter notre perception d’une incroyable expérience qui va nous laisser des souvenirs uniques. » Ou comment réenchanter l’expérience des impôts, du paiement des amendes et forfaits post-stationnement, du suivi de notre compte client ou usager, de nos démarches administratives… Bref, ces fabuleuses applis et plateformes dont nous vantons les mérites à longueur de com et de mélioratifs : facilité, rapidité, flexibilité, contenus centrés sur l’utilisateur, liberté d’esprit… Et surtout de l’émotion ! Car que serait l’expérience utilisateur si elle ne créait pas de l’émotion, hein ?!
Par Bruno Lafosse, directeur de l’agence Boréal et ancien dircom de la ville de Dieppe. Membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
Reconnaissons-le : quand ça marche, c’est formidable ou à tout le moins pratique. Payer la cantine des enfants à 23 heures au lieu de se déplacer, surveiller sa consommation électrique, recharger les abonnements de bus à distance : adieu files d’attente éprouvantes et guichets aux sourires aléatoires. Même si, l’air de rien, il faut quand même se farcir une partie du travail sans gratification : et que je me recense en ligne, et que je scanne mes justificatifs et que je déclare mes revenus, et que je signale les dysfonctionnements de mon vélo en libre-service. Qui tire bénéfice de ce temps non compté, transféré du côté client/usager, sans qu’on s’en aperçoive ?
Pas grave, car tout cela fonctionne à merveille… tant qu’il n’y a pas de problème. Mais dès que votre situation n’entre plus dans les cases, bonjour les dégâts ! Vous n’étiez pas illectronique ? Vous le devenez ! Heureusement, il vous reste la tournée des plateformes d’appels où vous poireautez avant qu’un opérateur ne puisse répondre à votre demande parce que son périmètre d’action et d’initiative est réduit à l’intelligence d’un vote par téléphone dans une émission de téléréalité, tapez 1. Ne vous aventurez pas, malheureux, jusqu’à un guichet en espérant régler votre problème. La personne vous renverra d’un air désolé vers un service téléphonique de réclamation qui traitera votre demande… dans les deux ou trois mois, tapez 2. Et tant pis si votre réclamation porte sur une facture prélevée automatiquement tous les mois : avancez l’oseille, on vous remboursera plus tard, si vous avez encore un compte en banque, tapez 3.
Des exemples ? La SNCF qui m’invente un abonnement non sollicité et me prélève deux fois, EDF qui met quatre mois à ajuster ses prélèvements à ma consommation réelle – on pensait naïvement que le compteur Linky servait à ça –, le remboursement du passe Navigo à demander sur un site qui est mis en service avec trois semaines de délai alors que vous êtes déjà prélevé. La Sécu qui met deux mois à verser des indemnités journalières. Le privé n’échappe pas à la règle : la vente en ligne vous débite avant d’avoir expédié l’objet convoité, mais tarde à vous rembourser quand finalement les stocks sont épuisés… J’ai fait mes comptes : à la fin de l’année, au moins un bon millier d’euros m’a ainsi été temporairement soustrait, ajoutant à mes fonctions d’auxiliaires du service public celle de banquier, au bénéfice de la trésorerie de nos grandes entreprises publiques et privées. Et là, une vague pensée complotiste m’assaille : tout ce bazar ne serait quand même pas volontairement organisé pour me faire renoncer à mes droits ? En tout cas, il y parvient parfois.
Vous qui modernisez l’action publique à coups d’applis, entendez ma requête : arrêtez de nous vendre de la fausse simplification. Dématérialisez tant que vous voulez, mais faites-le sans chercher l’économie à tout prix. Impliquez les usagers et, de grâce, rendez-nous un peu d’humanité et de proximité ! Inventez des médiateurs capables de dénouer les situations complexes « en présentiel », comme ils disent. Donnez aux agents un pouvoir d’agir et de régler les cas complexes. Alors là, on fera une expérience humaine formidable. Et nous, communicants, on aura l’impression de faire œuvre utile en contribuant à des services faits pour faciliter la vie des gens. Parce que oui, vous savez, les vraies gens, ça existe encore.