Communication publique : leurre du crime ?
J’ai longtemps cherché à expliquer, si possible simplement, pour moi comme pour des interlocuteurs curieux, à quoi pouvait bien servir la communication publique ? Et, en aval de cette réflexion, à quoi elle ne devait pas être utilisée (pensée émue pour la récente campagne des chasseurs de France (1), modèle de propagande pour toutes les écoles de comm et de journalisme), histoire de conserver un minimum de déontologie. Ou de conscience professionnelle, pour faire moins pompeux et pour être plus en phase avec le côté parfois artisanal de nos métiers.
Par Marc Thébault
N’ayant pas toujours le goût pour les grandes envolées lyriques à déclamer face au soleil couchant, le regard tourné vers Marianne, une main sur le CGCT (Code général des collectivités territoriales), le regard humide en évoquant l’intérêt général, la participation citoyenne, l’amour des gens, le goût de servir la collectivité, … J’ai longtemps recherché un léger décalage pédagogique.
Et puis, un rangement récent dans des livres m’a fait vivre un instant de sérendipité salvatrice en me mettant face à un ouvrage que j’avais totalement oublié, lui comme son adaptation cinématographique, le célèbre roman Catch 22 de l’américain Joseph Heller, mis en image en 1970 par Mike Nichols. Les pages d’Heller, savant dosage de satire, d’humour noir et d’absurde, dépeignent des aviateurs américains qui, au cours de la seconde guerre mondiale, refusent d’aller au front en tentant de simuler la folie. Or, leurs chefs ont mis en place le fameux "article 22" qui stipule clairement que « quiconque veut se faire dispenser de l’obligation d’aller au feu n’est pas réellement cinglé » … car seuls les vrais fous peuvent vouloir aller à la mort.
Voici l’extrait d’un dialogue entre deux des personnages de ce roman, Orr et le capitaine Yossarian :
« Quand j’étais gosse, répliqua Orr, je me promenais toute la journée avec des pommes sauvages dans les joues. Une dans chaque joue […]
- Pourquoi te baladais-tu avec des pommes sauvages dans les joues ? […]
- Je voulais de grosses joues. Et je m’y suis mis, exactement comme ces cinglés, dont on a parlé, qui serrent toute la journée des balles de caoutchouc dans leurs mains pour les muscler. J’étais d’ailleurs un de ces cinglés. Je me baladais moi aussi toute la journée avec des balles de caoutchouc dans les mains.
- Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi te baladais-tu toute la journée avec des balles de caoutchouc dans les mains ?
- Parce que les balles de caoutchouc …, dit Orr.
- … marchent mieux que les pommes sauvages ?
Orr ricana en secouant la tête. « Je faisais ça pour protéger ma réputation, au cas où quelqu’un m’aurait surpris à me balader avec des pommes sauvages dans les joues. Avec des balles de caoutchouc dans les mains, je pouvais nier avoir des pommes sauvages dans les joues. Chaque fois qu’on me demandait pourquoi je me baladais avec des pommes sauvages dans les joues, j’ouvrais simplement les mains et montrais qu’il s’agissait de balles de caoutchouc et non de pommes sauvages, et qu’elles étaient dans mes mains, pas dans mes joues […] »
Me sont alors revenu en mémoire les fois (pas si nombreuses, mais néanmoins marquantes) où l’on m’a demandé de surtout bien montrer des balles tenues au creux des mains pour tenter de faire oublier les pommes dans la bouche. Les nombreuses fois où l’on s’est adressé à moi en commençant par « Vous qui êtes un spécialiste de la communication … » pour solliciter une action savante de détournement d’attention, voire de focalisation sur un détail pour tenter d’empêcher de voir l’ensemble. Apologie de la communication cosmétique, orthopédique, magique, de la communication de l’illusion. Tout bonnement et plus trivialement, la communication publique vue comme un leurre, une diversion de charlatan, un vulgaire cache misère.
Reprenons maintenant la conclusion de Orr pour se souvenir que l’efficacité de ce genre de communication est loin d’être démontrée car « […] c’était un bon truc (montrer les balles au lieu des pommes – ndlr), mais je n’ai jamais su s’il avait marché ou non, car c’est assez difficile de se faire comprendre quand on parle avec deux pommes sauvages dans les joues […] ».
Illustration : Jérôme Bosch, L’escamoteur.