En 2023, mieux nous raconter ?
Polyvalents, sollicités à tous les étages de la vie démocratique, les communicants publics ont eu besoin de s’accrocher à des bases professionnelles et de les faire reconnaître. Mais cette année ne devraient-ils pas faire le récit, ensemble, des devoirs de leur charge et ainsi prendre davantage soin d’eux-mêmes ? À la façon d’une prise de conscience collective salutaire ?
Par Yves Charmont. En 2022 plus de 2500 communicants publics sont venus débattre de leur métier lors des diverses rencontres organisées par leur réseau professionnel. De ces échanges, le délégué général de Cap’Com émet un vœu pour 2023 qu’il adresse à tous.
C’est à n’en point douter le mantra de la profession, il a servi de ciment aux premiers temps du réseau, puis de fil rouge, et il est régulièrement remis en avant, dans des messages sur les réseaux sociaux, des moments d’échanges, des bilans communs : « La communication est un métier. »
Il faudrait désormais le dire au pluriel, parce qu’il y a plusieurs formes ou niveaux de communication, et parce que les expertises pour les établir et les maintenir sont nombreuses. Mais l’idée est bien la même, après trente-cinq années d’argumentation auprès de nos collègues et nos dirigeants, notre travail reste fragile face aux injonctions, aux exigences du moment, aux « bonnes idées », aux lieux communs, à l’impression de facilité aggravée par le tout-numérique, au fameux « j’aime/j’aime pas ». On peut considérer les deux dernières années comme un révélateur de cette problématique. La tendance qui s’est dégagée est à la fois une nouvelle solidarité entre communicants mais aussi la mise au jour d’un sentiment commun de responsabilité mêlant l’attention, la probité et l’intuition. Ce sentiment trouve ses racines au cœur d’une profession habituée à s’interroger, à s’autogérer et à anticiper les épreuves.
Lors du Forum de Strasbourg nous avons eu l’occasion de le redire, la communication publique s’est imposée partout comme le liant indispensable pendant les confinements, autour de publics de plus en plus éloignés, face aux fièvres complotistes ou pour qualifier la parole publique d’où qu’elle vienne. Aujourd’hui, tous les guichets publics sont doublés d’une interface accessible numériquement. Ce recours généralisé à des outils sophistiqués, qui demandent de l’expertise, est d’autant plus fort que les collectivités souhaitent gouverner les territoires dans la transparence, afin de générer autant que possible une adhésion, après exposé et débat. Elles s’engagent dans des démarches participatives de leur propre initiative et construisent des dialogues citoyens qui impliquent de leur part d’avoir une capacité de recueil, d’écoute et d’analyse de ces expressions.
Le thème du Forum 2022, « La com à tous les étages », venait de là : la communication n’est plus un luxe ou une option, elle est nécessaire et attendue partout comme un service de base, comme l’eau ou l’électricité. Elle met en œuvre des outils de plus en plus complexes mais elle gère aussi une parole de plus en plus sensible, délicate.
Le constat d’une défiance vis-à-vis de la construction d’une décision collective à grande échelle.
Ce que l’on observe sur le terrain, cet ancrage dans le réel des territoires, a servi également de socle pour d’autres communications, à l’échelle nationale, qui, on le constate avec le plan France Relance mais aussi par exemple avec les communications de santé publique, s’appuient sur les conséquences locales des actions d’envergure, avec des exemples très précis, pour mieux soutenir leurs messages. Si la communication passe mieux de plus près, c’est aussi le constat d’une défiance vis-à-vis de la construction d’une décision collective à grande échelle. Et beaucoup de communicants publics locaux se sont sentis en responsabilité vis-à-vis d’enjeux qui relèveraient normalement de l’action publique à l’échelle nationale.
Plus de communication mais à moyens constants
Mais, car il y a un mais, cette nouvelle extension du domaine de la com se fait à moyens constants. La charge de travail, plus la charge mentale, plus le fait de batailler continuellement sur la reconnaissance du caractère professionnel de ces actions, usent. Et ceux qui soignent toutes les relations et jouent un rôle de médiateur sont épuisés, avec, en corollaire, une certaine démotivation alors que leur travail est important et relève de l’intérêt général. On le voit dans plusieurs domaines.
Sur la toile par exemple, où les communicants numériques ont noté un arrêt brusque des pratiques interactives, avec la fin de la pandémie. Alors qu’une certaine liberté avait permis des modérations vivantes des réseaux sociaux, plus d’échanges avec les internautes, par l’utilisation de fonctionnalités interactives, ces derniers mois ont vu un retour en arrière net, avec un usage des canaux numériques pour diffuser à nouveau des messages calibrés. Une communication reléguée au rang de porte-voix alors qu’en face, de l’autre côté de la toile, les commentaires et les expressions se font plus agressifs.
Sur le front de la com de crise également, car, c’est vieux comme le monde, les moyens sont réquisitionnés en cas de danger, on passe le message par tous les canaux (ces moments d’accélération ne doivent pas cacher le travail de fond de la communication publique. On ne dira jamais assez que ceux qui découvrent les vertus de la communication seulement en temps de crise sont à côté de la plaque). Et les communicants publics, qui sont envoyés pour sonner l’alarme, sont finalement vite assimilés à des porteurs de mauvaises nouvelles : utiles, mais pas bienvenus et vite démobilisés lorsque la crise est passée.
Le brouillage général des communications, par l’infobésité, le mélange des sources, la concurrence entre émetteurs qui se double d’une confusion orchestrée entre communication et publicité (les publicitaires disent désormais faire de la com, et cela entretient une méfiance envers toute diffusion d’information ou de messages).
Questions de conscience
Et pourtant l’heure est à une communication publique forte autour des restrictions, des enjeux climatiques ou énergétiques, des changements de modes de consommation ou d'usages comme le déplacement ou le chauffage. Il va falloir expliquer, dire des choses désagréables à entendre. Et avoir une expression claire, audible, compréhensible, identifiable, authentifiée. Cela relève du travail des communicants publics, comme l’ont souligné les élus strasbourgeois lors du dernier Forum.
Le Baromètre de la communication locale vient de le démontrer d’une façon magistrale : les outils de communication publique les plus traditionnels sont toujours reconnus par les citoyens comme fiables. Ils sont attendus et utiles. Mais leur élaboration n’a pas pour autant été simplifiée, et il s’agit souvent de les gérer parallèlement aux nouveaux médias numériques qui ont gagné du terrain. Ce qui alourdit considérablement la tâche des collaborateurs, souvent au point de rupture.
Tout cela sans compter sur un dernier point, qui vient peser de tout son poids : la conscience professionnelle. Elle ressort de la plupart des expressions de nos collègues. Que ce soit à propos de l’inclusion, et des publics que l’on sait ne pas joindre correctement, que ce soit à propos des règles de sobriété que nous nous imposons ou même sur la manière de bien accompagner les transitions socio-environnementales, c’est une évidence : les communicants publics s’ajoutent eux-mêmes des contraintes, se questionnent, s’impliquent, pour des questions de conscience.
La conscience des communicants publics n'est jamais au repos, elle est exposée, questionnée, sollicitée, piquée.
Ce dernier mot est d’ailleurs intéressant en lui-même car il peut à la fois couvrir le fait de prendre conscience, avec lucidité (car nous avons la responsabilité d’éclairer), comme il peut permettre d’identifier des cas de conscience, et nous y sommes évidemment soumis, par le choix des mots ou par le rapport à la gouvernance. On entend, dans les rencontres professionnelles, les communicants parler de leurs réflexions et de la conscience qu’ils ont de leur rôle. On entend évidemment des questionnements sur les limites, sur les bases sur lesquelles s’appuyer. Leur conscience n’est pas au repos, bien entourée et protégée par un cadre professionnel, non, elle est exposée, questionnée, sollicitée, piquée.
Faire un récit collectif
Ce qui est intéressant en ce début d’année, c’est de voir combien, justement, ces questions de conscience, révélées au cours de ces différentes périodes de surmobilisation, forment finalement une sorte de récit, qui rassemble. Les collègues parlent des années Covid et des changements qu’ils vivent de façon linéaire, en déroulant un fil narratif, confessant leurs doutes, confiant leurs succès, toujours se replaçant au cœur de l’action, comme s’ils étaient les témoins de leur propre histoire. Raconter la communication publique, peut-être même communiquer la communication publique, se fait plus facilement, plus couramment. Il s’agit d’une forme de prise de conscience collective. Et c’est salutaire.
Les communicants ont besoin de se raconter, comme on le fait lors d’une thérapie. Il faut nous écouter.
L’avons-nous déjà fait ? Peut-être pas autant, sans doute pas aussi collectivement et certainement pas de façon aussi solidaire. Les mutations technologiques que vit notre profession ont permis d’intégrer plus clairement des collègues venant des relations publiques, de l’événementiel, de l’attractivité, du patrimoine, de la culture, de la santé… Nous avons une identité commune, les mêmes préoccupations, et nous en sommes conscients. Cette année, nous pourrions travailler ce récit et mieux nous raconter, pour mieux nous rencontrer.
C’est le vœu que je formule au nom du réseau et que je vous adresse à chacune et à chacun.
Bonne année 2023.