Les communicateurs québécois en pointe sur l’intégration
La nouvelle présidente de l’Association des communicateurs municipaux du Québec, Annie Lafrenière, passe en revue les enjeux de notre profession en Amérique du Nord. Elle nous explique le contexte d’une communication locale plus apaisée que dans d’autres territoires. Une source d’inspiration mais aussi une attitude exemplaire lorsque l’on connaît les épreuves que nos collègues canadiens traversent en ce moment avec les feux de forêt géants qui ravagent plusieurs provinces.
Qui est Annie Lafrenière ?
La directrice du Service des communications et de l’expérience citoyenne de la ville de Blainville, Annie Lafrenière, a été nommée présidente de l’Association des communicateurs municipaux du Québec (ACMQ) en juin 2023 à la suite du colloque annuel de cette association, à Saint-Hyacinthe, près de Montréal.
Impliquée au conseil d’administration de l’ACMQ depuis 2020, elle présidera cette association qui existe depuis 1978 et dont la mission consiste à développer les compétences de ses membres en matière de communication publique, et à agir comme lieu d’échange et de rencontre.
Point commun : Comment définir la communication publique au Québec ?
Annie Lafrenière : Elle est différente de celle de l’Europe et de la France. Ce qui nous a frappés en participant au Forum Cap’Com à Strasbourg, c’est que cet événement regroupe tous les communicants publics, tous ceux qui agissent sur les territoires, dans le cadre des services publics, et pas seulement en collectivité. Alors que, chez nous, le réseau, ce ne sont que des municipaux. Au niveau de la communication publique, les défis sont grands car nous n’avons pas les mêmes budgets que les entreprises privées, ni ceux de certaines collectivités en Europe. Lorsque je suis revenue de ce déplacement en 2022 en Europe, je me suis dit : « Mon Dieu, on n’a pas assez d’argent ! » C’est comme si on n’avait pas compris l’importance de la communication publique au Québec. Notre défi, c’est donc d’avoir les bons outils pour travailler, mais avec peu de moyens financiers.
Point commun : C’est un peu le défi pour nous tous, aujourd’hui… Justement, comment faites-vous ?
A. L. : Chez nous, il y a des villes qui n’ont pas de communicants. Ce n’est pas normal. Dans ces cas-là, la communication devient une part du travail du directeur général (pour les villes de 10 000 habitants et moins, c’est même la très grande majorité). Et pourtant, les besoins sont là. En ce moment, ce qui est très populaire en communication publique dans les territoires, c’est de contribuer à augmenter la participation citoyenne, avec les budgets participatifs, les sondages. On veut que les citoyens donnent leur opinion. Ce n’est pas parce que quelqu’un habite dans une grande ville que son opinion est plus importante. À Blainville, où nous recensons 60 000 résidents, nous effectuons de plus en plus de sondages, en plus de faire participer les citoyens de diverses façons. Par exemple, nous avons créé deux comités consultatifs : un avec des personnes handicapées, avec l'objectif de chercher ce que l’on peut améliorer pour leur qualité de vie, l’autre c’est avec les Blainvillois d’origine étrangère, les immigrants.
Point commun : Justement, cette question semble propre à l’Amérique du Nord et aux politiques d’intégration de nouveaux habitants/immigrants. Comment communiquez-vous avec eux ?
A. L. : Ce n’est pas aussi simple que ça. Nous nous rendons compte, à Blainville, que depuis environ trois ans il y en a de plus en plus. C’est un public qui devient plus important. On l’a mesuré lors du brunch des nouveaux résidents qui a lieu annuellement en septembre. C’est d’ailleurs l’événement d’accueil par excellence, où on leur présente les services de la ville. Il y a vraiment beaucoup de nouveaux visages, des minorités visibles, des personnes de toutes origines. Sans avoir fait des recensements spécifiques, nous avons fait le constat que, parmi les nouveaux habitants, il y avait de plus en plus la barrière de la langue. C’est parce que l’on a constaté cela que l’on a mis en place le comité consultatif que je viens d’évoquer.
Point commun : Qu’est-ce qui fonctionne le mieux avec ce comité ?
A. L. : Ils nous ont donné une cinquantaine d'idées, on en a gardé huit et nous les avons mises en œuvre dès cette année. Ce sont, par exemple – et vous serez étonnés –, des cours de patinage ! Cela fonctionne super bien, autant pour les adultes que pour les enfants ; des personnes qui n’ont jamais connu l’hiver.
Il faut trouver des idées pour sortir de la boîte !
Point commun : Quels sont les défis pour les communicateurs québécois de demain ?
A. L. : Ces défis sont les suivants :
- Valoriser notre profession de communicateurs municipaux. Un métier qui n’est pas assez valorisé auprès des directeurs généraux.
- La multiplication des portes d’entrée : dans toutes les villes nous faisons face à la multiplication des plateformes. C’est difficile à gérer, surtout pour les collègues qui sont seuls.
- Et une série de petits défis :
• TikTok, car c’est un enjeu si on n’a plus le droit d’y aller (le gouvernement du Canada a demandé que l’on se retire). On avait pourtant le vent dans les voiles avec nos comptes TikTok ;
• la participation citoyenne, car il faut trouver d’autres façons d’aller chercher l’opinion des gens sans passer par les sempiternels sondages ;
• diversifier les façons de communiquer, car si on se contente de produire un communiqué de presse, une affiche, une page internet et une plaquette, c’est plate. On fait toujours la même chose. Il faut trouver des idées pour sortir de la boîte !
Point commun : Ici, au Canada, les gens parlent facilement, on sent moins d’agressivité. Est-ce bien le cas ?
A. L. : Oui, il y a moins de confrontations, les gens sont plus bienveillants. C’est un mot qui revient souvent : la bienveillance. Pour nous cela veut dire « écouter l’autre ». Ce n’est pas pour rien qu’ici la participation citoyenne est si importante. Nous, on veut écouter les citoyens. Ce mot-là est important. Nos politiciens le disent, les gens le disent. On prône également une plus grande bienveillance sur les réseaux sociaux.
Ici on est d’emblée porté à aller vers l’autre. Sans être intrusif. On lui demande juste s’il a besoin d’aide.
Point commun : Pourquoi est-on moins agressif dans ces territoires ?
A. L. : Tout est dans l’écoute. Nous, les Québécois, nous sommes réputés pour être accueillants. Ici on est d’emblée porté à aller vers l’autre. Sans être intrusif. On lui demande juste s’il a besoin d’aide. C’est dans la nature profonde du Québécois. Ce n’est pas scientifique.
L’hiver, les gens sont plus souvent à l’intérieur. Ça rapproche. Par conséquent les gens sont profondément gentils à la base. Quand je croise quelqu’un, il y a une chance sur deux qu’il me dise bonjour.
C’est donc plus facile de communiquer.
Comment les communicateurs sont-ils impliqués dans la gestion de la crise des incendies géants ?
Point commun : La communication publique québécoise a-t-elle des exemples de sensibilisation à la question des feux de forêt ?
Annie Lafrenière : Les municipalités touchées de près par les feux de forêt sont de petites localités de moins de 5 000 habitants. Elles n'ont souvent aucune ressource en communication ou parfois une seule. Le défi est de taille parce que ces municipalités basculent en mesures d’urgence. Le communicant est au cœur de la crise et doit faire des communications d’urgence pendant plusieurs jours consécutifs. Les incendies majeurs de forêt sont habituels à ce temps de l’année dans le nord du Québec, à la différence que, cette année, les feux se sont dangereusement approchés des villes. Les communicants doivent se concentrer sur l’essentiel des communications d’urgence :
- publiciser l’état de la situation sur leur site internet de façon quotidienne : l’évolution des incendies (chaque incendie a un numéro), météo attendue, résumé du travail des pompiers forestiers, consignes du jour, routes fermées, état de la qualité de l’air, ressources disponibles, rappel des interdictions et des bons comportements, etc. ;
- communiquer les informations d’évacuation ou de halte fraîcheur pour les personnes incommodées par la fumée. Dans le cas d’une évacuation, chaque citoyen évacué doit s’enregistrer pour que la municipalité sache qui a évacué et qui n’a pas encore évacué ;
- relayer les messages vidéo du maire ou de la mairesse de leur municipalité – il est plus facile ainsi pour les élus de communiquer rapidement les messages à leurs citoyens.
Beaucoup de sensibilisation a été faite par le gouvernement du Québec, en appui aux Québécois habitant plus au nord : les feux à ciel ouvert ont été interdits dans toute la province et la grande majorité des villes ont annulé les feux d’artifice qu’elles avaient prévus le 24 juin dernier, à l’occasion de la Fête nationale du Québec. Cela allait de soi !