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Pages de com : « Le totalitarisme informatique » par Christopher Pollmann

Publié le : 19 septembre 2024 à 07:18
Dernière mise à jour : 19 septembre 2024 à 14:30
Par Yves Charmont

Il a mis le mot « totalitarisme » sur ce cadre universel et tentaculaire qui régit, inclut, transforme nos vies et nos métiers. Loin d’être un manifeste réactionnaire, ce petit livre met en garde et éclaire ce qui nous rend « superflus » dans le monde qui advient (avec l’IA bien sûr mais aussi avec les racines binaires d’une révolution plus ancienne). Résultat : c’est sans doute un des ouvrages les plus utiles à lire en ce moment. (D'ailleurs il va être réédité !)

L’auteur annonce qu’il mettra un peu de lui dans cet ouvrage et on retrouve quelques expériences à la première personne dans le troisième chapitre (page 110 et suivantes). C’est tellement humain et si proche de ce que nous vivons au quotidien. Christopher Pollmann suggère alors que 10 à 15 % de notre temps passé sur nos machines numériques est perdu par des dysfonctionnements, des erreurs, des processus altérés, mais qu’on n’en parle pas par technophilie, fascination, déférence. On prend cela pour une part du feu, alors que c’est la part irréductible de la non-adaptation entre l’humain et le binaire. Car le binaire est totalitaire et ne s’adapte pas vraiment à l’humain. C’est franchement bien dit, même si les déboires de l’auteur feraient rire les programmeurs. En leur rendant un chien de sa chienne, Christopher Pollmann peut rétorquer, en s’appuyant sur une étude précise, que les programmeurs sont souvent incapables d’expliquer le fonctionnement de leur programme.

Un point sur l’état de l’art

D’ailleurs c’est la principale qualité de cet ouvrage court et accessible : il compulse des réflexions philosophiques, des ouvrages de sociologie, des enquêtes journalistiques, des traités d’économie… Il remet en perspective nombre d’alertes et de descriptions tout à fait pertinentes à l’appui de sa démonstration. On y retrouve, par exemple, sans surprise, La Pensée PowerPoint de Franck Frommer qui avait pris, avec un angle très précis, le même chemin, il y a douze ans. Plus que cela, il qualifie une adaptation de l’humanité à une logique binaire qui ne crée rien et qui standardise (on le savait, mais il le dit très bien). « La quête de puissance et la perte de sens : une spirale vicieuse », dénonce-t-il page 39. Il reprend le concept de « société-troupeau » chez Alexis de Tocqueville (décidément, cet homme de la première moitié du XIXe siècle était un visionnaire) et le décline en citant Bernard Stiegler.

Une forme générale de littératie digitale

Christopher Pollmann consacre de longues pages aux débats sur le développement des jeunes et cela constitue une alerte dans l’alerte. Là encore il cite un auteur, Thierry Venin : « De nombreuses études pointent l’incompréhension profonde des coulisses et des enjeux du web par des digital natives dont l’éducation numérique aura été particulièrement déficiente sur ce plan. » En cela, il découvre une forme particulière de littératie digitale qui montre des individus, certes très agiles dans l’utilisation d’applications et autres outils numériques, mais ignorants de leurs ressorts et de leur construction. Et si l’on ajoute à cela qu’aujourd’hui il existe des applications permettant de construire des programmes sans connaître le langage binaire, cela montre la déconnexion progressive qui s’opère entre la machine et l’homme.

En conclusion, l’auteur, plutôt pessimiste, décrit les téléphones intelligents comme des concentrés de tout ce qu’il éclaire dans les chapitres précédents. Il y a une incidence inévitablement nocive du recours massif à l’informatique. Qu’on se le dise !

Le Totalitarisme informatique
Christopher Pollmann
Le Bord de l'eau
Février 2024
147 pages

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