Au Forum de Lille, les communicants ne perdent pas le Nord
Il était crucial que la communication publique donne un signal fort à la fin d’une année pleine d’élans contradictoires, de l’optimisme des JO aux doutes et aux échecs de l’action publique, avec en toile de fond la tentation de l’autoritarisme. C’est donc avec un sentiment d’urgence, mais aussi avec une soif renouvelée de se réunir, que les communicants publics et territoriaux ont convergé vers la 36e Forum Cap’Com de Lille. Et ils y ont trouvé l’énergie et les ressources pour se projeter dans l’avenir.
Avec une fréquentation record de 1 400 participants, le Forum 2024 a envoyé des signes de bonne santé de notre profession, de solidarité de ses membres, d’énergie collective. Le format de cette convention évolue pour offrir de nouveaux modes de formation et d’échanges, comme avec les fablabs qui, pour leur deuxième année, se sont tournés vers les nouveaux horizons de la concertation, ou avec les conseils à la coque ou les conférences hop, chacun aux deux extrémités de l’éventail des ateliers proposés, depuis le conseil individualisé jusqu’aux méga-présentations à plus de 300 participants. Mais le Forum restera toujours un terrain d’expérimentation et un moment d’intelligence collective avec un programme exigeant, comprenant aussi des plages entièrement tournées vers le réseau et les échanges informels.
Un prologue belge
Dès le mardi 10 décembre, le Forum s’est déployé en une foultitude de destinations pour découvrir les communications publiques sur le terrain, dans le Nord, dans la métropole et la ville de Lille, mais aussi de l’autre côté de la frontière. Car il n’était pas imaginable, du fait des profondes et anciennes relations de notre réseau avec ses partenaires belges, de tenir cette édition sans se tourner vers eux et leur ouvrir son programme de visites pro. Ce sont quatre visites qui se sont faites en dehors de la France, pour la première fois de notre histoire, trois à Bruxelles et une à Tournai. En convergeant dans le lieu de réception des services de la Chancellerie belge, le Résidence palace, les visites bruxelloises ont été accueillies par Catherine Lombard, de la direction générale de la communication externe du gouvernement, qui a brossé un tableau de leurs enjeux et évoqué quelques-unes de leurs actions, exemplaires comme souvent. Puis, retrouvant à Tournai une autre visite, les participants ont été chaleureusement accueillis par l’ancienne ministre Marie-Christine Marghem, toute nouvelle bourgmestre de Tournai, qui a eu lors de son premier discours officiel (dont Cap’Com fut le bénéficiaire) des mots particulièrement forts pour nos professions, parlant de « métiers d’art » en entrant dans le détail de ce qui, dans leur exercice, demandait plus que des compétences techniques. Ce fut l’occasion de remercier comme nous le devions l’association WBCOM’ et le Service public de Wallonie, qui ont amicalement coproduit ces visites.
Un programme qui reflète nos préoccupations
Les contenus de ce temps collectif de formation furent élaborés au fil de l’année avec ses partenaires institutionnels (la région des Hauts-de-France, le département du Nord, la métropole et la ville de Lille) et par le Comité de pilotage et sa centaine de membres, toutes et tous représentant les professionnels en collectivités et administrations publiques (université, organismes nationaux, mais aussi agences et experts). Un programme marqué par plusieurs préoccupations majeures : les questions d’éthique et le positionnement face aux défis sociaux et environnementaux, la mutation numérique, la lutte contre la défiance ou l’accessibilité, distillés dans plus de 50 propositions comme apprendre à dompter le prompt !
Mais les débats ont démarré le mercredi avec une autre thématique, majeure : « L’information au cœur d’une société au bord de la crise de nerfs », qui se révélait d’une actualité crue. Elle partait du constat suivant : nous faisons face à des contre-courants plus puissants dans un contexte qui se détériore sur le plan de la défiance citoyenne comme sur celui de la confusion dans l’espace de l’information.
Même si nous avons gardé une vision positive, il a fallu embrasser les dysfonctionnements de notre écosystème.
Même si Cap’Com a su garder une vision positive (et le Forum s’est fait l’écho de nombreuses initiatives efficaces et inspirantes y compris sur ces sujets) et a pu s’appuyer sur les chiffres encourageants du Baromètre de la communication locale, il a fallu embrasser les dysfonctionnements d’un écosystème devenu obèse où les citoyens s’éloignent des sources vérifiées. Comme dans tout organisme ou toute famille dysfonctionnelle, nous assistons à une radicalisation des discours, à la rupture d’une écoute sereine, à la multiplication des comportements violents, à des abus, à des manipulations.
Et finalement, tout le monde vit mal sa relation aux autres et s’enferme dans son rôle et ses convictions. Notre espace est devenu le théâtre d’opérations de désinformation de masse, de simulation de mouvements spontanés et populaires sur les réseaux sociaux.
S’ouvrir aux autres acteurs de l’information
Ce sont des sujets qui ont été débattus par Louis Dreyfus, président du Groupe Le Monde, et Céline Pigalle, directrice de l’info à Radio France et directrice de France Bleu, tous deux président et vice-présidente de l’ESJ Lille et incontournables dans le système informationnel. Chacun de son côté a pu avancer son analyse et parler des solutions qu’ils portent. L’un avec le positionnement exemplaire et d’avant-garde du Monde, un média mixte, qui a fait des choix radicaux lui conférant une place aujourd’hui unique et solide dans le paysage médiatique français, l’autre avec la conviction qu’une information de proximité utile est attendue et suivie, portant une union entre France Bleu et France 3 pour donner Ici, l'actualité en direct, « pour vous et près de chez vous ».
Ils ont pu débattre avec Dylan Buffinton, prospectiviste et consultant en stratégie, auteur d’une étude publiée récemment par la Fondation Jean-Jaurès, « France 2040 », et qui a spécialement préparé un focus pour les communicants publics à partir de ses travaux, passionnants. Il pointe du doigt trois tendances :
- l’une qui conduit à une « guerre affinitaire » (question essentielle du vivre-ensemble, la convivencia, évoquée l’an dernier au Forum Cap’Com de Toulouse) ;
- une autre qui traite du combat contre ce qu’il appelle la « commodité technologique » (questions d’accessibilité et de société de l’information à deux vitesses) ;
- et enfin la dernière qui porte sur la nouvelle polarisation de notre société (question des narratifs).
Se projeter dans un futur désirable
Il a été d’ailleurs demandé aux participants de voter sur ces trois items sur l’application du Forum, qui se révèle à nouveau un formidable outil de dialogue pendant ce genre d’intervention en plénière. Le résultat fut pour la première question – « Sur quel enjeu allez-vous vous engager en priorité ? » – une réponse plutôt répartie : à 40 % sur le vivre-ensemble, suivi à parts égales de 30 % par le combat contre la commodité technologique et les narratifs. Cela montre encore s’il le faut que les communicants publics se sentent investis d’une mission en matière d’égalité d’accès et de pédagogie de l’information.
Autres chiffres intéressants, ceux qui portaient sur la deuxième question (largement évoquée par le capitaine du Monde, venant de signer un accord avec OpenAI) : « L’IA constitue-t-elle un progrès ou un recul pour l’information ? » Les répondants ont modérément voté – à 46 % – pour le progrès, montrant là aussi un engagement fort et positif. Enfin, à la question concernant la vision de l’information de proximité – « Quels devraient être les atouts de l’information de proximité ? » –, les participants ont dû choisir parmi quatre propositions :
- elle aide à résoudre les problèmes ;
- elle nourrit une soif d’information locale ;
- elle est claire et compréhensible ;
- elle peut débusquer les manipulations.
Et les communicants publics ont très nettement désigné les deux propositions centrales, à plus de 70 %, relevant là encore d’un esprit missionnaire, positif, pétri des principes du service public, qui doit répondre aux besoins citoyens de façon utile et compréhensible.
Le danger de devenir inaudible du fait d’une austérité qui pourrait aller jusqu’à mutiler aveuglément les canaux de communication que nous avons quelquefois mis tellement d’énergie à construire et à rendre fiables !
Comme pour l’ensemble de ce Forum, qui s’est avéré très riche et dense, les plénières furent des moments de réflexion et de lucidité sur un environnement qui devient de plus en plus complexe, voire toxique, mais sans pour autant sombrer dans le sentiment d’impuissance. Avec l’intervention d’Adrien de Blanzy, président de L’ADN tendance & mutations, président du 36e Grand Prix Cap’Com, accompagné pour l’occasion par sa rédactrice en chef Béatrice Sutter, les participants ont pu lever les yeux au-delà des crises pour détecter les grands mouvements de société auxquels ils feront face et auxquels ils se sont justement préparés pendant trois jours.
À l’image de cette terre d’accueil lilloise, qui fut il y a 20 ans exactement Capitale européenne de la culture pour enclencher une nouvelle dynamique. Cette dynamique qui se poursuit encore, montrant la pertinence de ce basculement culturel et de la force du collectif lorsqu'on sait où on va. Un commun fait de partage également (vécu en vrai par les participants au Forum, mercredi soir dans la splendide CCI au centre de Lille). C’est sans doute là une des conclusions qu'on tirera de cette puissante et régénérante 36e édition, alors qu’il nous faudra affronter un autre danger : celui de devenir inaudibles du fait d’une austérité qui pourrait aller jusqu’à mutiler aveuglément les canaux de communication… que nous avons souvent mis tellement d’énergie à construire et à rendre fiables !
En mode braderie de Lille
Ce Forum fut aussi une grande occasion pour le réseau de partager des moments dans la convivialité lilloise, avec un foyer organisé en braderie, ou l'on prenait un café au comptoir, avec une cantine façon brasserie avec ses moules-frites, avec des espaces conviviaux et ludiques qui ont rendu cette fréquentation record chaleureuse et fluide, avec un karaoké mémorable et le fameux StarCom59 pour accueillir tout le monde en soirée.
Dans l’épreuve, il faut maintenir le dialogue
Lorsque, justement, il faut consentir à de nouveaux sacrifices, la puissance publique doit redoubler d’efforts pour s’assurer que toutes et tous comprennent ce qui se passe.
C’est ce que Cap’Com portait comme discours auprès des maires réunis le mois dernier à Paris : si on accepte facilement de financer 100 mètres de voie publique lorsqu’il faut raccorder un équipement au réseau routier, est-ce qu’on a le même souci lorsqu’il faut donner accès à la voix des habitants et à celle des collectivités pour que chacun comprenne les enjeux et soit correctement informé ?
Alors que le sentiment de crise permanente se répand, les territoires les plus résilients sont ceux où on sait qui on est et où on va. Les épreuves sont ainsi mieux traversées, à condition que les efforts soient équitablement répartis.
Et pour réussir cela, il faut se parler, partager les diagnostics et les objectifs, dans la transparence. C’est toute la noblesse et l’exigence de nos métiers.