Tourisme : la course marketing en tête ?
Et si, pour apprendre à travailler plus efficacement, on se penchait du côté de nos collègues du tourisme ? Et s’ils ne faisaient pas que vendre des visites guidées à des autocaristes et des mugs souvenirs à des clubs de 3ème âge en goguette ? Et si, dans notre sphère publique, ils étaient devenus les vrais (et seuls ?) pros du marketing territorial ? Avertissement : je vais faire court, donc pas dans la nuance.
Par Marc Thébault
C’est une chose acquise, le marketing territorial a obtenu ses lettres de noblesse dans les années 2004/2005, notamment lorsque les territoires, et leurs partenaires, ont pondu leurs dossiers de candidatures pour répondre à l’appel à projet « Pôles de compétitivité ». Pour faire court, rappelons qu’à cette époque ce nouveau champ d’action publique était plutôt entre les mains des intercommunalités et, en leur sein, dans celles des directions du développement économique ou des agences dédiées à cette thématique. Ainsi, le marketing territorial, « canal historique », a-t-il été d’abord un enjeu pour celles et ceux qui étaient en charge de l’économie et de l’emploi.
Puis, nos collègues du tourisme se sont emparés du sujet et, il faut bien le reconnaître, avec pertinence. Mieux, ils ont analysé, testé et théorisé afin de dessiner des grands principes, donc des nouvelles voies à emprunter. Et, visiblement, ils n’ont pas été les derniers à faire leurs les approches « marketing », donc professionnelles. Il faut dire que côté tourisme, l’évaluation des actions et les bilans quantitatifs et qualitatifs sont légions, tant les résultats peuvent se mesurer quasiment en temps réel. On ne peut pas se contenter de s’extasier devant 10 likes sur un post, on doit faire avec des couperets qui tombent avec une régularité impressionnante.
Confidence, c’est une belle leçon donnée aux communicants publics, notamment parce que lorsque l’on compte le nombre de nuitées ou le nombre de visiteurs, on est dans l’imparable et l’indiscutable, bien loin du doigt mouillé habituellement utilisé pour évaluer les campagnes de communication publique … Enfin lorsqu’il est utilisé, parce que la plupart du temps l’évaluation n’est pas du tout le sport le plus pratiqué dans les directions de communication des collectivités, la validation des élus ou le retour positif des cercles rapprochés faisant office de bons points distribués.
Idem pour l’attention portée par les professionnels du tourisme aux grandes tendances des marchés. Si, côté communicants, nous nous délectons des évolutions des algorithmes des réseaux sociaux ou si nous nous pâmons devant une campagne sur la propreté qui utilise un ton repéré comme « décalé » (pour mémoire, je déteste ce terme, celles et ceux qui me lisent depuis un certain temps le savent) sans prendre le temps de vérifier si le registre utilisé n’a pas déjà été emprunté par plusieurs collectivités auparavant, nous avons, il me semble, un peu oublié de faire comme n’importe quel pro de la publicité, ou du tourisme donc, à savoir suivre de près, et si possible anticiper, les évolutions des comportements et des attentes de nos cibles. En somme de nous intéresser aux tendances du marketing. Et en regardant, sans rougir de honte, ce que fait le secteur privé.
Est-il normal de constater que des campagnes actuelles de communication publique utilisent les mêmes ressorts, les mêmes mots, les mêmes tactiques que celles publiées il y a 10 ou 20 ans ?
Je le reconnais, ce qui a pu éclairer mes pratiques vient beaucoup du monde du tourisme, lui-même s’imprégnant des conclusions du marketing marchand. C’est le cas des 4 « E » (expérience, engagement, émotion et exclusivité) qui m’ont incité, bien sûr, à changer largement de points de vue et de priorités. C’est le cas du passage du storytelling au storymaking, largement évoqué dans le tourisme, qui a bien compris qu’il était temps d’arrêter de vouloir se contenter de raconter son histoire, pour aller en priorité vers la production de cette histoire par les visiteurs eux-mêmes. C’est enfin le cas de la notion « d’expérience » (voir plus haut) qui a donné lieu au marketing dit « expérientiel » et, quelques mois plus tard, qui a évolué vers le marketing « transformationnel » : il ne s’agit plus de vendre de la consommation de séjours, il s’agit de proposer de vivre une expérience de séjour et, cerise sur le gâteau, il ne s’agit pas de la vivre juste pour le fun, mais bien dans l’objectif d’en sortir transformé ! Comme nos collègues avaient compris qu’il fallait abandonner la vente du « mythique » pour aller vers de « l’authentique », ils ont saisi que la notion de vacances rime aussi avec « développement personnel » et « souvenirs exclusifs ». De tout cela, vous l’imaginez, des changements radicaux de lexiques, de visuels, de types de campagnes et de supports. Donc de stratégie ! Nous, on sait que les vidéos marchent mieux sur les réseaux sociaux que les textes ou les photos, mais qui sait comment doit se réaliser cette vidéo et quels ressorts (je ne dis pas « vulgaire copie ») doit-elle faire siens pour atteindre ses objectifs de visibilité et de force de conviction ? Peut-on arrêter de jouer à la marchande et élever notre niveau de jeu ? Peut-on enfin parler stratégie, au lieu de parler tactique et outils ?
Suis-je dans l’erreur en pensant que les communicants publics n’ont pas encore opéré cette révolution culturelle et que, s’ils ne réagissent pas, non seulement ils vont largement se faire distancés par les professionnels du tourisme, mais, plus grave, le fossé va continuer à se creuser entre les registres traditionnels de communication et les usages, attentes et besoins des populations concernées ? Dit plus trivialement, est-il normal de constater que des campagnes actuelles de communication utilisent les mêmes trucs (éculés), les mêmes mots (tant de fois répétés), les mêmes tactiques (consensuelles, donc impersonnelles) que celles publiées il y a 10 ou 20 ans ? Bien sûr, sauf quelques exceptions ... Restons positifs !