30 ans de com publique vus par Marc Thébault
D’Issy-les-Moulineaux à Caen, en passant par Saint-Étienne où on l’a vu arborer l’écharpe des « Verts », Marc Thébault a traversé près de 30 années de communication publique, en agissant à la fois au quotidien et en s’interrogeant toujours sur le sens de son action. Ses réflexions pertinentes et souvent percutantes ont d’ailleurs régulièrement alimenté les supports de Cap'Com. Pour ce professionnel aguerri, la polyvalence reste l’une des clés de l’efficacité du communicant public, qui doit aussi garder une part d’irrationnel et de créativité. À l'occasion des 30 ans du Forum Cap'Com, il pose un regard tour à tour rétrospectif, prospectif et personnel sur trois décennies de com publique.
Avant de devenir responsable de la mission attractivité de la Communauté urbaine de Caen la mer, poste qu’il occupe actuellement, Marc Thébault a été directeur de la communication de cet établissement public pendant 12 ans. Auparavant, il a été directeur de la communication de la Ville de Saint-Étienne et de la Ville d’Issy-les-Moulineaux. Il a aussi exercé plusieurs missions dans le domaine du marketing territorial et a travaillé dans une télévision locale à Télévision Loire 7.
Marc Thébault a commencé sa carrière à l’IFAC, une association nationale de formation et de conseil en communication sociale pour les collectivités locales, puis comme directeur de clientèle en agence de création. Il publie aussi de nombreux articles dans des revues spécialisées et des ouvrages professionnels. Depuis 2008, il signe des éditoriaux dans la newsletter éditée par Cap'Com. Il est chargé de cours dans plusieurs formations supérieures en communication publique et en marketing territorial.
Cette interview est issue d'une série d'entretiens de communicants publics "30 ans de com publique vus par..." menés à l'occasion de la 30e édition du Forum Cap'Com par Pierre Geistel, ancien chargé de communication, et par Philippe Lancelle, directeur du tourisme de la région Bourgogne Franche-Comté, tous deux membres du comité de pilotage de Cap'Com.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans la communication publique ? Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?
C’est le croisement de deux centres d’intérêt qui m’a conduit à la communication publique : les relations humaines et les collectivités publiques. J’ai commencé ma carrière dans l’animation sociale, au sein d’une association, où je formais de jeunes animateurs… Et j’ai fait mes premiers pas dans la communication de la Fédération nationale de cette association. Ma profession m’a ensuite amené à travailler pour des collectivités publiques dans les Yvelines et j’ai été intéressé par leur côté non marchand. J’ai ensuite intégré une petite agence de création à Paris qui avait des collectivités parmi ses clients, avant de rejoindre la SEM de communication Issy-Média créée par le maire d’Issy-les-Moulineaux André Santini. J’ai aimé me sentir utile pour les habitants de cette ville. J’y faisais de la communication et j’y agissais dans le sens de l’intérêt général.
La com publique a beaucoup évolué depuis 30 ans. Quels sont les changements qui, pour vous, ont marqué le métier au cours de ces années ?
Pour moi, la communication publique a vécu 5 grands changements :
- Par rapport aux élus, on est passé de la propagande à l’accompagnement. Le Dircom doit aujourd’hui mettre en place l’espace nécessaire pour l’expression du politique. On est passés de la « réquisition » des esprits à la « sollicitation » des esprits !
- On est aussi passés d’une institution « égocentrée » à une institution « territorialisée ». On parle aujourd’hui plus du territoire que de l’institution elle-même. L’institution se situe désormais au service de son territoire.
- Les outils ont changé bien-sûr ! Il y a 30 ans, la 1ère préoccupation était l’écrit. Le journal papier était le support phare. Aujourd’hui, on est sur un « social media management », avec un écosystème reposant sur 3 types de médias : les médias « propres », ceux de la collectivité (papier, web…) ; les médias « achetés » comme la publicité ou le sponsoring et les médias « gagnés » ou plutôt « gagnables ». Cette dimension est nouvelle, elle est liée à l’e-réputation et se développe sur les réseaux sociaux. La différence, c’est que vous ne la contrôlez pas. Attention aux bad buzz !
- Je note un grand changement avec le développement de l’intercommunalité. Les regroupements de communes ont changé de taille et « musclé » leurs compétences. Cela a permis un nouveau mode de gouvernance politique, qui dépasse les clivages politiques et les postures partisanes pour s’intéresser plus au territoire.
- Enfin, on est passé d’une relation avec « l’électeur » à une relation avec le « citoyen participant ». Des lois nous ont conduits à mettre en place des processus de concertation. Les habitants se sont eux-mêmes mieux organisés. C’est une évolution positive, mais qui comporte aussi un risque : celui de la notabilisation de quelques habitants qui interviennent systématiquement dans l’espace public, soit disant au nom de l’intérêt collectif.
Dans les 10 prochaines années, quels sont pour vous les principaux défis auxquels la communication publique pourrait être confrontée ?
Sans hésiter, le défi du numérique ! Les nouvelles technologies apportent une rationalisation des actions de communication. Attention à ne pas remplacer le Dircom par un robot ! Le communicant public doit conserver un droit à l’intuition, à la créativité, un droit au « pifomètre », pour mettre en place une action parce qu’il la sent. On doit conserver une part d’irrationnel dans nos prises de décisions.
Dans l’exercice de vos fonctions dans le domaine de la communication publique, quel est votre meilleur souvenir ?
L’accueil de la Coupe du Monde de foot en 1998 à Saint-Étienne ! La préparation de cet événement a donné lieu à 1 an de travail intense. Sur le plan de la communication interne d’abord avec 50 % des agents de la collectivité mobilisés. Sur le plan externe aussi avec un événement chaque jour avant et pendant la compétition, induisant des relations publiques, la création d’un stand, des animations. C’était intense, avec une grande ampleur. Je suis persuadé que cela a eu un effet positif sur l’image de Saint-Etienne et cela a redonné une vraie fierté aux habitants. D’ailleurs, cela a déclenché l’organisation de rendez-vous annuels avec la population après la Coupe du Monde.
Et le moins bon ?
Tous mes plus mauvais souvenirs sont liés à des actions de communication publique qui n’ont pu arriver à leur terme… Pour des raisons incompréhensibles souvent, des postures de type « j’aime » ou « j’aime pas » ou des a priori… J’ai eu à faire face à des actions de communication balayées d’un revers de main par des élus, pour une raison subjective. Ce que j’appelle « le fait du prince ». Cela m’a donné parfois le sentiment d’un immense gâchis.
Si vous aviez à conseiller un étudiant qui veut se lancer dans la com publique, que lui recommanderiez-vous et pourquoi ?
Il faut qu’il ou elle ait une triple culture : celle de la politique en général, qu’il soit sensible aux actions en direction des habitants. Il faut aussi qu’il ou elle s’intéresse aux institutions publiques, souhaite comprendre comment elles fonctionnent et quelles sont leurs compétences. Il faut enfin qu’il ou elle maîtrise les techniques de communication sur le plan théorique et opérationnel.
En com publique, c’est la polyvalence qui prime.
Dans ce domaine, c’est la polyvalence qui prime. Il faut à la fois penser et agir, être capable de bâtir une stratégie et de la mettre en place. Les budgets étant de plus en plus tendus, le recours aux prestataires extérieurs devient exceptionnel. Il faut donc être polyvalent.