Comme un désir de communication publique « conversante »
Les communicants publics voulaient être entendus par les citoyens, eux veulent être écoutés ! À quelques jours du prochain EuroPCom, Philippe Caroyez, fort de son expérience dans le service public belge, nous interroge : comment faire pour que l’exercice de la communication publique soit un humanisme ?
Par Philippe Caroyez, sociologue, conseiller au sein de la Direction générale communication externe de la Chancellerie du Premier ministre belge, ancien directeur au Service fédéral belge d'information. Membre du Club de Venise (communicants publics des gouvernements européens) depuis 1992, éditorialiste et secrétaire de rédaction de sa revue Convergences. Membre de l’advisory board d’EuroPCom, dont il fut l’un des fondateurs en 2010.
Les communicants publics ne répondent qu’indirectement à la « demande sociale », soumis qu’ils sont à la commande politique. Et c’est bien ainsi, dans un système démocratique où les autorités élues ou mandatées veillent à ce qu’elles tiennent pour être l’intérêt général (qui ne se confond pas avec celui du plus grand nombre) et à ce qu’elles perçoivent et retiennent (ou veulent bien percevoir et retenir) des demandes et signes qui émergent de la société et de ses composantes.
Il serait, toutefois, bien pauvre et désincarné, le métier de communicant public, si ceux qui en ont l’exercice et la responsabilité n’avaient pas à cœur de s’intéresser à la demande sociale, aux manières de la faire émerger et de la rendre intelligible (1), d’être à son écoute et d’aider à la rencontrer par des propositions et solutions dans son champ de compétences et d’actions professionnelles. Les communicants seront à cet égard d’autant plus performants (ou dérangeants, parfois) qu’ils rempliront leurs tâches avec professionnalisme et déontologie et qu’ils sauront tirer parti des recherches sociologiques et des expériences pratiques de leurs pairs et homologues.
Cet essentiel se fonde, notamment, sur :
- l’engagement pour le service (au) public et la recherche de sa constante amélioration ;
- la volonté de comprendre et de connaître les pratiques sociales et les besoins qu’elles portent d’être informé et entendu sur les demandes sociales ;
- le retour réflexif et critique sur nos actions de communication ;
- une communauté et un réseau professionnels et le partage de connaissances et d’expériences.
Nourrir une pleine conscience humaniste pour nos métiers de communicant public.
Chacun le vit et le fait vivre à sa manière, avec ses moyens, à son niveau, avec plus ou moins de contraintes ou de soutien, mais il y a là pour qui le veut (ou le peut – soyons de bon compte) de quoi nourrir une pleine conscience humaniste pour nos métiers de communicant public.
Pour paraphraser Jean-Paul Sartre, il faut que (le bel exercice de) la communication publique soit un humanisme…
Ce qui change c’est que rien ne change, ou si peu…
Au-delà de nos actions, dans nos métiers et services, tous (tant bien que mal) opérons une « veille des tendances », tendances à l’œuvre ou qui se dessinent…
Ces tendances se donnent également à voir dans les actions innovantes qui sont introduites par des homologues ou, il faut bien le dire, dans des secteurs commerciaux, comme le marketing ; elles font aussi l’objet de recherches spécifiques, que mènent des universitaires ou ces homologues. Il est, par exemple, question de sciences du comportement et de la « logique » décisionnelle (avec ces nudge, budge, boost, etc.) autant que d’intelligence artificielle, des chatbots, de la stratégie de contenu et de son design, et de la communication « conversante » entre autres tendances notoires.
Il y a de cela quelques années, nos homologues néerlandais nous ont montré la voie, en quelque sorte : saisissant l’occasion d’un débat officiel sur la communication publique dans leur pays, ils ont mené une recherche pour dégager des tendances évolutives qu’ils ont veillé à intégrer dans leur politique. Là où d’autres auraient mis l’accent sur les « attentes des citoyens » (ce qu’ils ont également fait), un accent particulier a été réservé finalement aux conditions de la communication publique et de son évolution.
Vinrent aussi dans nos actions la tendance au « tout au web » et l’effet quasi magique des réseaux (dits) sociaux, allant jusqu’à concevoir une « diplomatie digitale » pouvant faire triompher McLuhan, quand le médium devient le message. L’évolution technologique, ici dans les moyens de communication, est certes (de tous temps) un facteur évident de changements sociaux. Mais, comme souvent (voyez l’évolution des radios libres et des télévisions communautaires), elle n’est pas la panacée qui résout la question ultime de la relation entre les citoyens et entre les citoyens et les autorités publiques. L’essentiel n’est donc pas un assujettissement servile à des technologies mais l’intégration évolutive qu’on doit en faire dans nos politiques de communication et de débat public, en lui donnant un nécessaire cadre de valeurs. Et au moment où l’intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives en la matière, l’impératif reste bien le même.
Il est d’ailleurs singulier de relever comment l’évolution récente s’est opérée (y compris bien sûr dans nos cénacles) partant d’un engouement enthousiaste pour finalement – parfois frileusement, mais de plus en plus sûrement – replacer l’intérêt (la tendance) sur les problèmes de désinformation et la difficulté de les contrer et de légiférer en la matière, le data mining et l’exploitation des données personnelles avec l’introduction très fébrile du RGPD et – sur ces bases – la manipulation de nos opinions et du débat public.
Si tout cela est bien ainsi, nous restons persuadés que les « vraies » questions de la communication publique sont et restent plus profondes (et, peut-être, trop peu abordées) :
- en amont – l’indispensable éducation civique et aux médias, avec le soutien public à des médias indépendants et de qualité ;
- au centre – privilégier la relation entre le citoyen et l’État sur la base de valeurs humanistes et mériter la confiance ;
- toujours – garder et approfondir (parfois avec, parfois face à ces nouvelles tendances) l’engagement pour une communication de service public… et être performant.
Ce dernier impératif demande, dans un contexte de restriction budgétaire dont nos services font généralement partie des premiers touchés, une organisation dynamique et capable de faire face et/ou d’intégrer les changements ou les tendances.
Les citoyens veulent être écoutés !
L’évolution de la communication publique est intimement liée à l’évolution même des politiques publiques (et, parfois, réciproquement). Il en est ainsi des consultations mises en place par les pouvoirs ou les services publics dans le cadre de la prise de décisions ou de l’orientation à donner à celles-ci. Ces consultations publiques « modernes » remontent aux années 1980 et ont conservé jusqu’à aujourd’hui leur caractère initial : formel et limité, souvent garanti par la loi, organisé comme un processus administratif ou législatif, dans des cas spécifiques de domaines particuliers (aménagement du territoire, équipement public, environnement, etc.). Dans ce contexte, le rôle des communicateurs publics et de la communication publique est resté instrumental, à tort, et souvent avec des effets préjudiciables pour les pouvoirs publics eux-mêmes.
Au fil du temps, la fracture constatée entre le politique, les institutions publiques et les citoyens, qui s’est manifestée par des phénomènes notoires (abstentionnisme, montée de l’extrême droite, perte de confiance dans le personnel politique et les institutions) a conduit à essayer de mettre en place des mesures visant à rapprocher les autorités des citoyens. Là encore, la communication publique a été convoquée, en parallèle avec des dispositions (souvent normatives) telles que la transparence de l’administration, l’accès aux documents administratifs, les services de médiation, la publicité « active » imposée aux institutions publiques, les « guichets publics » (point unique de contact, boîte postale, call center et numéros de téléphone dits « verts »), et la supposée mutation induite du « citoyen » en « client du service public » ! C’est aussi l’âge d’or des grandes (et coûteuses) campagnes d’information dans les médias traditionnels et l’affichage.
Même si on tendait – en principe – à vouloir enrichir la démocratie représentative d’une dose de démocratie participative, rares et souvent laborieuses ont été et sont encore (!) les initiatives de réelle participation. Elles ont, de plus, toujours été cantonnées aux (seuls) niveaux territoriaux, certes les plus « proches » des citoyens et des associations mais, aussi, les plus réduits. Si on excepte le référendum (d’ailleurs pas présent dans tous les pays de l’Union), rares sont les initiatives de consultation des citoyens prises par les autorités publiques et qui portaient sur des sujets d’importance nationale : seule nous vient à l’esprit la consultation britannique sur la réforme du système national de santé.
À cet égard, pour reprendre la sentence sans appel de Pierre Rosanvallon : la démocratie est inachevée. Et, ainsi, de plus en plus de voix (en dehors et au-delà des corps intermédiaires et des groupes de pression traditionnels) s’élèvent aujourd’hui, qui demandent à être entendues et à participer à la prise de décision face à une taxe sur le carburant (à l’origine du mouvement des « gilets jaunes ») ou en faveur de mesures radicales face aux enjeux environnementaux (à l’origine de nombreux mouvements, notamment lycéens, non structurés en Europe).
Pour une écologie de la communication publique
Si nous plaçons le champ de la communication publique à l’intersection entre le pouvoir d’État et le corps social qu’il représente, administre et domine (pour une part), ce qui n’est qu’une vue (d’ailleurs fausse, mais parlante) de l’esprit – sur le modèle canonique de la communication –, nous induisons que la formation comme l’évolution de celle-ci sont tributaires de ces deux pôles, de leurs états et de leurs évolutions. Et ce, plus fondamentalement qu’elles ne seraient tributaires, comme on le lit trop souvent, du seul développement (ou plutôt de la transformation) des technologies et techniques dites de communication. Ces dernières – comme la fusion du numérique, de l’audiovisuel et d’une certaine mise en réseau mondialisée – jouent certes un rôle important, mais, pris par l’idéologie techniciste (présente dès le début de l’étude des phénomènes communicationnels), nous y mettons trop l’accent soit comme seuls phénomènes explicatifs, soit (pire) comme seules solutions à envisager, par exemple, dans le cadre de la réflexion sur l’évolution de nos services.
C’est ce que résume parfaitement Dominique Wolton, lorsqu’il écrit « Finalement dans la communication, le plus simple reste du côté des messages et des techniques, le plus compliqué du côté des hommes et des sociétés », dans son livre au titre comme un (r)appel, Informer n’est pas communiquer (2). Plutôt que de solliciter la technologie et d’y investir si largement, il faudra plus modestement, mais plus fondamentalement, que les communicants publics (toujours sous la conduite et au service de leurs autorités) questionnent la relation entre pouvoir et administrés, et asservissent la technologie et leurs actions au renforcement de ce lien.
Un instant sortons du carcan de ce que nous faisons le mieux, mais aussi le plus aisément.
À l’heure où on met en avant (dans nos sociétés) la nécessité d’une démocratie participative et d’un développement durable, les communicants publics doivent avoir le courage de faire ces constats, d’en tirer des enseignements et d’aider leurs autorités à concevoir une véritable transformation de la communication publique et des métiers et services qui en ont la charge ; de basculer de l’information à la communication, d’être créateurs de liens. Un instant sortons du carcan de ce que nous faisons (le mieux, mais aussi le plus aisément) – producteur, relayeur et diffuseur d’informations – pour (re)partir d’une feuille blanche. Mais, même si nos services y ont un rôle moteur à jouer, par principe, les choix en la matière ne peuvent être faits qu’au travers d’un dialogue à vouloir et à mener entre le politique (l’autorité) et les citoyens, entrepreneurs, corps intermédiaires et associations. Quelque part entre l’évidence, la nécessité, l’utilité sociale et une certaine utopie… si nous faisions ce que nous ne faisons pas (ou bien trop peu), comme :
- associer les citoyens, les entrepreneurs, les corps intermédiaires et les associations à la définition et à l’évaluation des politiques, objectifs et moyens de communication ;
- introduire des indicateurs de performances fondés sur la compréhension, la rencontre des besoins, la prise en charge et la satisfaction des demandes, l’utilité sociale, la notion de value for money… Passer du résultat à l’impact ;
- évaluer toutes actions de communication (de très près) comme toutes politiques publiques ;
- privilégier une communication inclusive, sans stéréotype ni discrimination (y compris d’accès à l’information) ;
- faire du métier et de la fonction de communicateur public l’un des « métiers du lien » ;
- aucune information sans communication effective (capacité de dialogue, engagement de répondre aux demandes, assistance, pas de fracture numérique, relais et suivi vers les autorités concernées, etc.) ;
- dépolluer la communication, dont la communication publique. Tendre vers une communication éco-responsable et contribuer au débat sur la limitation de la publicité commerciale et de la pollution publicitaire ;
- ne rien produire qui n’ait pas été préalablement avalisé par un panel représentatif des concernés (selon des mécanismes de consultation à mettre en place) ;
- soutenir la définition d’une politique générale de communication au niveau central et d’un cadre législatif, éthique et déontologique clair ;
- …
Et si nous commencions demain ?
Retrouvez lors du prochain EuroPCom (13e conférence européenne sur la communication publique, organisée par le Comité européen des régions) des thématiques sur lesquelles Philippe Caroyez a travaillé. Cet événement en ligne (avec interprétariat) aura lieu le 28 octobre 2022.
(1) Voir notamment : Robert Castel, « La sociologie et la réponse à la demande sociale », revue Sociologie du travail, n° 2, vol. 42, avril-juin 2000, p. 281-287.
(2) Dominique Wolton, Informer n’est pas communiquer, CNRS Éditions, Paris, 2009, p. 11.