Des repères européens pour nos métiers en mutation
Organisé à Toulouse, les 16 et 17 février, par Cap’Com et le Club de Venise, le séminaire international « Citoyenneté et participation dans les territoires » a éclairé le chemin de la communication publique.
De notre envoyé spécial, Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
L’Ukraine : impossible de n’y pas penser aujourd’hui en rendant compte d’un fécond échange d’informations et d’idées animé par les valeurs de l’Union européenne. Et probablement, aussi, inspiré par la convivencia, l’art de vivre ensemble dans le respect des différences, un des traits de la culture occitane. Dans l’Europe compliquée – c’est peu de le dire –, pouvons-nous trouver des idées simples, mais fortes ? Réponse positive, à Toulouse, dans l’hémicycle du conseil régional d’Occitanie, qui a accueilli la rencontre.
Depuis plusieurs années, Cap’Com s’est rapproché du Club de Venise, rassemblement informel, mais actif, né en 1986, de professionnels européens de la communication gouvernementale. Ce rendez-vous à Toulouse était une première : il a été conçu et organisé par les deux partenaires. Il a donc donné toute sa place à la communication territoriale. Une trentaine de chercheurs, d’experts et de communicants – ou plutôt « communicateurs », vocable qui prévaut ailleurs qu’en France – ont brossé de larges perspectives ou focalisé leurs propos sur des enjeux particuliers. De ce vivifiant panorama, dessiné par des intervenants italiens, néerlandais, lithuanien, estonien, roumain, autrichien, belge, britannique, français ou responsables de structures européennes, extrayons ce qui concerne directement nos métiers. Une feuille de route pour les communicants.
Dans le croisement d’analyses et de présentation de pratiques, pas de révélations phénoménales, mais des confirmations, solidement argumentées : des repères pour nous permettre d’avancer. En présentant les conclusions du rapport de l’OCDE « La communication publique. Contexte mondial et perspectives », Émilie Cazenave, analyste des politiques publiques, a brossé le tableau d’une communication « plus efficace » :
- le renforcement de sa gouvernance, disposant d’un mandat appuyé sur des objectifs stratégiques clairs, pour donner tout son potentiel à la communication ;
- la professionnalisation et l’institutionnalisation de la communication, avec des compétences adéquates plus spécialisées, en particulier en communication de crise, et des ressources humaines, financières et techniques adaptées ;
- une communication fondée sur des éléments probants, des données appuyées sur la recherche et sur les sciences comportementales ;
- l’évaluation de la communication pour mesurer ses effets, à la fois sur l’action publique et sur les citoyens ;
- la nécessité de faire face à la mésinformation, à la désinformation ;
- l’active contribution à la participation citoyenne, avec la capacité à nouer le dialogue, l’aptitude à transformer les remontées d’informations en échanges ;
- l’exploitation des leviers numériques, notamment des réseaux sociaux, de manière plus stratégique, en tirant parti de ces technologies de manière optimale.
Engager la conversation avec les citoyens
Cette ambitieuse mais stimulante feuille de route a coïncidé avec les approches de beaucoup d’intervenants. Ils ont notamment mis en relief un contexte particulièrement complexe : la polarisation des opinions, la tension au sein de la société, la perte de confiance, voire la défiance à l’égard des institutions, les dérives de certains médias, les ravages des infox.
Face à ces puissants phénomènes, dont la France est loin d’avoir l’exclusivité, le président du Club de Venise, Stefano Rolando, invite à « la lutte contre un analphabétisme fonctionnel » et souligne la nécessité de « garder une communication scientifique de haut niveau ». Toute sa place, donc, à la raison, à l’objectivation, pour faire obstacle aux passions tristes. Il rappelle que la communication, autrefois verticale, est progressivement devenue horizontale. Il propose des objectifs : « Se distancier de la propagande, utiliser la centralité de la mutation technologique pas comme une fin, mais comme un moyen, prendre en compte la demande sociale par une culture de l’explication et de l’accompagnement. » Cela, sans oublier que « la hiérarchie du débat reste verticale ».
Ce n’était pas un propos de circonstance, un chapitre imposé, mais l’expression d’une conviction, quand un grand nombre de contributeurs ont souligné l’impérieuse nécessité d’écouter les citoyens, « d’engager la conversation », de consolider et d’authentifier les diverses formules de participation. Cela non pas comme de simples outils, mais comme les voies pour « restaurer la confiance », en évitant un consensus de façade, et pour « favoriser l’engagement des citoyens, avec, au-delà des « like », une mobilisation plus active. Émergent alors les objectifs de « transparence » de la décision publique, « d’humilité », « d’intégrité », « d’inclusion » et apparaît la visée d’un engagement réel des citoyens.
La « convention citoyenne » de l’Occitanie en référence
Exemplaire, la participation des habitants façon région Occitanie ? En tout cas référence digne d’intérêt. Olivier Roméro Gayo, l’élu chargé de la démocratie participative, a exprimé la volonté politique : « Donner aux citoyens les moyens d’expression et de concrétisation de leurs aspirations et avoir confiance dans l’intelligence collective pour construire nos politiques publiques. » Il a inventorié le dispositif : charte de la citoyenneté, site participatif, instances de dialogue (assemblée des territoires, parlement de la mer, parlement de la montagne, conseil régional des jeunes, comité consultatif handicap, comités d’usagers), grandes consultations (nom et logo de la région, états généraux du rail, concertation sur l’alimentation), budgets participatifs.
Volet majeur de cet ensemble : la « Convention citoyenne », destinée à alimenter le « Pacte vert ». Anna Pagès, nouvellement nommée directrice adjointe de la communication, en a présenté les caractéristiques. « Une démarche inédite et réelle d’élaboration de ce plan d’actions », avec 100 citoyens tirés au sort sur liste électorale et indemnisés, informés sur les compétences de la région et éclairés par l’intervention d’experts, des propositions concrètes dont certaines soumises à une votation en ligne (20 000 participants), 45 des 52 mesures jugées prioritaires et 150 actions intégrées dans le Pacte vert votées par l’assemblée régionale et un comité de suivi, composé d’élus et de citoyens.
Alerte et tendances du numérique
Face aux questions actuelles, le rôle à donner au numérique a été scruté. « Les pouvoirs publics sont à la traîne. Ils ne tiennent pas assez compte des réseaux sociaux, notamment pour gérer les risques, alors que la révolution numérique change fondamentalement le métier de communicant », a alerté Elizabeth Wiltshire (spécialiste des politiques publiques et technologiques ; associée au Tony Blair Institute for Global Change). De son côté, Susanne Weber (cheffe de la communication numérique à la chancellerie fédérale d’Autriche) confirmait six tendances connues : place prépondérante des vidéos, redécouverte des newsletters, gains en compétences sur la lutte contre la cybercriminalité, croissance du cyberharcèlement et des discours haineux, influence croissante de TikTok à analyser.
L’innovante newsroom de la ville d’Utrecht
Ce n’est pas la rédaction, mais un dispositif central et une équipe, au cœur de l’organisation de la municipalité. Les informations arrivant par tous les canaux, notamment les réseaux sociaux, y convergent. En temps réel, elles permettent de prendre le pouls de la situation. Les expertises s’y croisent : analystes, communicants et autres spécialistes de la conduite de l’action de la ville. L’écoute et le dialogue sont prioritaires. Les recommandations de la newsroom sont transmises aux décideurs qui déclenchent les actions.
Le portrait des professionnels de demain
Des problématiques particulièrement complexes et des réponses à ce jour insuffisantes, mais identifiées : ce séminaire international a été stimulant pour les communicants publics français. Il n’a pas effacé les difficultés. Il a esquissé les nouveaux progrès à accomplir, cerné les voies de l’engagement des citoyens, tracé le portrait des professionnels de demain : véritablement stratèges, spécialistes en veille et en intelligence de l’opinion, médiateurs dans une société souvent fracturée… et experts en communication. Bref, maintenons le cap de la montée en connaissance, en compréhension et en compétences.
Une approche transversale de la communication environnementale
Céline Pascual Espuny, professeure à l’université Aix-Marseille, co-directrice de l’IMSIC (Institut méditerranéen en sciences de l’information et de la communication) et membre du Comité de pilotage de Cap’Com, a présenté analyse et orientations sur la communication aujourd’hui dénommée « transition écologique ». « Voies discursives » d’une communication trop technique ou trop moralisatrice, concomitance de mutations (sociales, économiques, écologiques, territoriales et communicationnelles) fournissent des pistes pour une communication publique repensée. Des points de repère ici très brièvement résumés. À revoir, donc.
Probable, le constat est apparu clairement : les enjeux de la communication des gouvernements et des institutions européennes et ceux de la communication des pouvoirs locaux sont souvent les mêmes. « Les dynamiques nationales et les dynamiques locales étaient séparées. Elles doivent se conjuguer », a souligné Stefano Rolando, tandis qu’Yves Charmont a rappelé combien « dans le respect des idéaux, communicants et citoyens sont alliés dans la défense des valeurs démocratiques ». Convergence, donc, entre le président du Club de Venise et le délégué général de Cap’Com. Vague blabla protocolaire ? Non. Mais, comme on l’a ressenti dans l’hémicycle… et dans les restaurants toulousains, des aspirations partagées, une même idée de nos métiers, une communauté de pensée. À Toulouse, le vent d’autan vibrait de bienfaisants effluves d’Europe.
Un retour sur le séminaire dans la langue de Shakespeare
L’annonce a été faite en séance : Cap’Com diffusera certains de ses contenus éditoriaux en anglais dans une newsletter nommée Common Point afin de resserrer les liens avec les communicants publics territoriaux, au-delà de la francophonie. Dans sa première édition, naturellement, il y aura des retours sur l’événement de Toulouse (article, interviews).