Forum de Toulouse : ensemble nous affrontons les défis
Le mot rassemblement est faible. Le Forum de Toulouse des 5, 6 et 7 décembre 2023 fut une convergence. Autour de constats partagés, de points d’intérêt, de personnalités, de collègues très nombreux et du terme Com’vivencia créé pour l’occasion et qui tombait tellement à pic. Un pic, une péninsule, non, un cap… com !
La ville rose, terre d'accueil de ce 35 e Forum Cap'Com, a dévoilé ses atouts patrimoniaux aux communicants participant à l'une des 10 visites professionnelles. Parcourez toutes les photos du Forum de Toulouse.
Dès les premiers échanges, dans l’hiver occitan, on sentait que cette édition serait différente. C’est avec dix visites pro que débuta ce 35e Forum. Des lieux surprenants, traités de façon responsable et durable, un territoire riche d’expériences et souvent exemplaire pour ses démarches, ont pu livrer leur savoir-faire en matière de compublique à plus de 500 participants, dont une bonne moitié à Toulouse même. Ceux-là convergèrent à pied vers la place du Capitole et la bien nommée salle des Illustres où les attendaient les communicants de la cité.
Jean-Luc Moudenc, maire et président de la métropole, leur a alors fait une adresse vibrante, car il fut communicant, mais aussi parce qu’il accorde de l’importance à la fonction communication, comme il l’a prouvé en passant en revue les grands défis de nos métiers : émerger dans le brouhaha informationnel ou savoir gérer avec égards les procédures de marchés publics dans une perspective de relations plus vertueuses avec l’écosystème de la communication. Il a eu ces mots : « Quand on est élu, on a l’impression, pour un dossier travaillé pendant des mois, que lorsqu’on en a parlé une fois, c’est dit. Alors qu’il faut répéter sans cesse et réexpliquer notre action. »
D’entrée de jeu, Dominique Wolton nous interpelle
Il y avait de la complicité, mais aussi de la véhémence, de l’agacement, des émotions : la plénière d’ouverture fut animée. Après une chorégraphie urbaine créée pour Cap’Com par la compagnie James Carlès – qui eut pour effet de placer d’emblée le curseur sur « intense » et le sujet sur la coexistence et la confrontation des gens, des cultures, des générations –, un tandem, micro en main, engagea très vite le dialogue avec l’immense salle d'un millier de communicants publics en utilisant un outil de circonstance, qui ne quittera d’ailleurs plus les participants pendant tout le Forum : l’appli Com’vivencia. Julie Hétroy, membre du Comité de pilotage et dircom de Suresnes, proposa à chacune et chacun de l’utiliser en direct pour poser des questions à Dominique Wolton et pour répondre à trois questions qui avaient déjà été posées à toutes les professions et aux Français.
Yves Charmont, délégué général du réseau Cap'Com, et Julie Hétroy, membre du Comité de pilotage et dircom de Suresnes, ont ouvert le 35e Forum de la communication publique à Toulouse par un échange avec Dominique Wolton, chercheur au CNRS et directeur de la revue Hermès.
C’est une séquence très interactive qui débuta alors, avec un retour sur l’étude sur l’état d’esprit des communicants publics (Point commun y reviendra début janvier 2024), montrant à la fois une confiance en leurs institutions et leurs métiers, mais aussi une vision pessimiste de l’avenir et un grand état de lassitude. Une autre étude, spécialement réalisée auprès des Français, pour l’occasion, fut également présentée, d’autant qu’elle avait fait l’objet d’une citation dans le message d’annonce du Forum sur France Inter. 52 % des Français y affirmaient que la compublique de leur ville les aidait à comprendre les politiques publiques. Chaque résultat fut donc expliqué puis commenté à chaud et de façon dynamique, montrant des allers-retours intéressants entre l’opinion publique, celle des communicants publics et les participants au Forum.
Dans son intervention, le délégué général de Cap’Com a fait le lien entre les travaux de l’universitaire, invité sur le plateau de cette grande conférence, et ce territoire toulousain, habitué depuis des siècles à la négociation.
S’entendre, c’est déjà communiquer, sans forcément partager les mêmes idées, mais au moins en s’accordant sur certains points.
Il s’attarda un instant sur le terme « s’entendre » qui signifie à la fois entendre le son de la voix, mais aussi se mettre d’accord, remarquant au passage que « s’entendre, c’est déjà communiquer, sans forcément partager les mêmes idées, mais au moins en s’accordant sur certains points ». Sujet que Dominique Wolton complétera quelques minutes plus tard : « Le problème, ce n'est pas de dire quelque chose à quelqu'un, c'est que quelqu'un, éventuellement, l'écoute. Je t'entends mais je ne t’écoute pas : phrase universelle. »
Coincés entre acommunication (le vide et la guerre) et incommunication (« on bute sur l’autre »), les professionnels de la communication publique ont aujourd’hui fort à faire. Et le Comité de pilotage Cap'Com, chargé d'orienter les contenus de cette édition, a fort à propos choisi le thème de ce Forum, établi sur la notion de « vivre-ensemble » (convivencia en occitan). Un choix validé par plusieurs mois de forte dégradation du dialogue dans notre pays.
C’est là que les paroles de Dominique Wolton, chercheur au CNRS et directeur de la revue Hermès, ont fait mouche ! « Vous faites de la com parce que tenir compte du récepteur, c'est exactement la définition de la communication. L'information c'est le message, la communication c'est la relation », a-t-il dit d’entrée de jeu, avant de poursuivre : « Les trois quarts du temps, ce qu'on appelle la communication, c'est simplement de l'expression. Mais si tout le monde s'exprime, qui écoute ? Et la tragédie, la grandeur, la difficulté de la communication, c'est justement de tenir compte de l'altérité. Donc, la rupture entre l'information et la communication, c'est le poids croissant du récepteur, c'est la réalité incontournable de l'altérité. » Et le courant passa. Dominique Wolton interpellant directement la salle : « Vous passez votre temps à gérer de l'incommunication, avec la difficulté de vous différencier par rapport à la communication politique. » Touchant une corde sensible. Il poursuivit : « Vous êtes le métier de l'incommunication. Et ce n'est pas du tout péjoratif, c'est au contraire très laudatif. Donc, par conséquent, il y a un renversement complet, il faudra rendre plus modeste la communication politique et plus être sensible à la communication publique. Si je résume la situation :
1. recherche d'intercompétence,
2. découverte d'incommunication,
3. négociation pour gérer cette incommunication. »
L’orateur fut ovationné, ce qui plaça d’emblée cette édition parmi celles qui marquent ; d’ailleurs il fut cité et cité à nouveau tout au long des deux jours qui ont suivi.
Une diversité de sujets, une même assiduité
La Com’vivencia, ce fut deux jours intenses au centre Pierre Baudis de Toulouse. Les grands formats désormais classiques du Forum, comme les Grands angles ou les conférences hop (six projets d’affilée) ont souvent fait salle comble. Mais comme le Forum était très fréquenté, les ateliers, tapis de paroles et même le nouveau format fab-lab ont trouvé leur public. Nous ne pourrons tous les citer. On parla de lutte contre la désinformation, d’agents ambassadeurs, de la langue française, de sobriété… Les présents pourront témoigner tout au long de l’année de la richesse des échanges. Mais pour illustrer cette richesse, prenons l’exemple des deux sessions consacrées à l’intelligence artificielle.
De l’IA à mouliner, et à emporter
Véritable sujet d’actualité, qui vient interroger le métier et en bouleverser les pratiques, l’intelligence artificielle n’a cessé de questionner tout au long du Forum. Et pour cause, elle a été abordée sous deux angles, certes différents mais indispensables et complémentaires. C’est tout d’abord la question des conséquences de l’intelligence artificielle sur la société et sur le métier des communicants publics qui a été posée en Grand angle par Yann Ferguson – sociologue à l’Inria –, Anne-Claire Dubreuil – directrice de projets transformation numérique du Sicoval – et Olivier Auradou – directeur d’Etikia (conférence pilotée et animée par Noémie Buffault de Leksi et Marc Cervennansky de Bordeaux métropole).
Dans un débat de qualité, ils ont proposé aux participants de prendre de la hauteur sur le sujet. En partageant leurs visions rigoureuses, ils ont appelé les communicants à prendre en compte l’éthique et la transparence dans leurs usages de l’intelligence artificielle. Et ils ont donné des conseils clairs sur la posture à adopter en tant que collectivité locale ou organisme public. Une conceptualisation nécessaire à la réinterrogation du métier compte tenu de la révolution que représente l’intelligence artificielle. Pour Yann Ferguson, spécialiste de l’intelligence artificielle et de ses effets sociétaux : « Il y a une proposition de réglementation européenne : l’IA Act. De ce point de vue, il est important que les communicants d’intérêt général travaillent dès aujourd’hui avec des IA souveraines. C’est très important parce que – si l’IA devient la technologie clé du monde digital – il sera très grave de ne pas avoir notre propre technologie : si nous ne sommes pas souverains, nous allons donner les données de nos citoyens au monde entier. »
Des illustrations concrètes et des solutions pratiques à emporter : l’IA est à la porte de nos bureaux, il est intéressant de voir quelles applications nous pouvons en faire.
Un participant
Après cette réflexion et ce cadrage quant aux limites et aux précautions à prendre avec l’intelligence artificielle, c’est la question des usages concrets de l’IA qui a été abordée en atelier avec Éric Legale – directeur d’Issy Média –, Annabelle Bendel – de l’agence Pan – et Pierre Bergmiller – de l’Eurométropole de Strasbourg. Un temps de mise en pratique pour tirer judicieusement parti de l’IA en communication publique. Community management, création d’images et de vidéos, rédaction, etc. Autant d’exemples concrets qui ont été partagés pour envisager d’utiliser l’IA dans le quotidien des communicants.
Un soutien aux communicants publics
Difficile de savoir pourquoi cette édition eut ce succès. L'ambiance traduisait une envie de se retrouver avec joie. La fréquentation (occasionnant des trop-plein ponctuels) sera peut-être à mettre sur le compte du besoin de faire groupe, comme si c’était un remède contre la lassitude. Comme si la lourdeur des enjeux nécessitait de se rapprocher. En tout cas, les intervenantes de la plénière de clôture se sont relayées pour apporter des regards experts et éclairants, mais aussi pour soutenir la profession. Comme Nathalie Mader, élue de la région Occitanie et universitaire toulousaine, qui s’interrogea sur la place de la communication politique, notant des « fractures entre l'action politique qui est valorisée et la parole politique qui, elle, semble démonétisée, souvent assimilée à des promesses ». Elle souligna alors, de son point de vue d’élue, l’importance « pendant le mandat, de mener nos politiques publiques, d'être dans l'action politique avec une communication publique forte ».
Si la communication publique permet de valoriser l'action publique, elle permet également de conscientiser.
Nathalie Mader, élue de la région Occitanie et universitaire toulousaine
Revenant un peu en arrière, sur la période Covid, Nathalie Mader expliqua qu’il leur « a fallu inventer, innover, trouver de nouvelles approches, exploiter de nouveaux flux d'informations pour lutter contre les fractures territoriales et fractures sociales, pour lutter contre l'assignation à résidence et là, pour le coup, ce n'est pas une formule de style. Donc il a fallu agir, un exercice qui a demandé du savoir-faire, et c'est pour cette raison que les professionnels de la communication qui nous ont accompagnés ont contribué, avec les élus à leurs côtés, au maintien du service public » (voir l’exemple de « Dans ma zone »). Elle a conclu en affirmant que si « la communication publique permet de valoriser l'action publique, elle permet également, si je puis dire, de conscientiser ».
Des mots forts qui furent salués par la salle alors que montait sur scène Mercedes Erra, présidente de la Filière communication et fondatrice de l’agence BETC. Elle parla elle aussi de son point de vue, de celui de l’écosystème de la communication et de la publicité, des petites agences, très majoritaires, et des difficultés à vivre dans un espace de mise en concurrence pas toujours soutenable : « Il y a quelque chose de grave qui se passe autour des compétitions. Parce qu’elles ruinent nos agences. Cela ne concerne pas seulement les marchés publics car il y a aussi les compétitions de nos clients privés. Concrètement, on confond le fait de choisir un partenaire et de choisir une campagne. » Ayant lancé une médiation du ministère de l’Économie impliquant largement la Filière (dont Cap’Com), elle put retracer l’histoire de cette démarche et les lignes de conduite qui en sont issues : « Ces règles qu'on pouvait mettre en œuvre ensemble, parce qu'en fait elles vous protègent, vous aussi, et nous aussi. »
Vous avez un rôle incroyable, on se doit de ramener un peu d'énergie positive dans cette histoire. Et de croire en nous, croire aux gens.
Mercedes Erra, présidente de la Filière communication et fondatrice de l’agence BETC
Elle souhaita, en fin d’intervention, parler de la relation humaine : « Et je voudrais revenir à ce concept de sobriété de la communication. Ces derniers temps, on en a trop fait. Ce qu'on nous demande de faire dans le digital, parfois, c'est stupide. On interrompt les gens, on les gêne, on les embête, mais ça ne marche pas. On n'est pas là pour embêter les gens. Il faut retrouver un moyen, par la qualité, par l'intelligence, par la créativité, de faire que, quand les gens nous voient, ça aille. » Ce qu’elle compléta ainsi : « Vous avez un rôle incroyable, on se doit de ramener un peu d'énergie positive dans cette histoire. Et de croire en nous, croire aux gens. » Une prise de parole forte et saluée par un public là encore plus nombreux que d’habitude, regroupé pour suivre la cérémonie du Grand Prix Cap’Com 2023. Une cérémonie qui fut ouverte de façon élégante et sereine par une spécialiste grecque de la lutte contre la désinformation, autrice d’un ouvrage sur le sujet et fonctionnaire européenne : la présidente du jury 2023, Klimentini Diakomanoli. Ses mots méritent d’illustrer cette édition, une édition tournée vers l’humain, vers l’affirmation d’un métier et la valorisation de ceux qui le font. Elle est revenue sur son rôle au sein du grand jury et remarquait qu’il y avait « une ressemblance entre les défis que ces campagnes traitaient, et ceux qui sont traités, au niveau européen, à Bruxelles. Ce sont les mêmes préoccupations. Je ne m'attendais pas à ce que la France possède des communicants tels que vous ; vous êtes la force de Cap’Com. Je comprends mieux maintenant que je suis là. Vous êtes des communicants de qualité et je l’ai noté en mesurant la profondeur de vos débats (parce que j'étais parmi vous ces deux derniers jours). J’ai été impressionnée de voir comment ces sujets ont été traités. Comme au sujet de l'intelligence artificielle. On a exactement les mêmes soucis au niveau européen : pouvoir utiliser l'intelligence artificielle d'une façon vertueuse au profit des citoyens, en protégeant nos droits en tant que citoyens aussi, nos droits démocratiques, mais aussi en tenant compte des questions éthiques. Voilà un mot qui vient du grec ethos, justement ! ».
De quoi ressortir requinqués... jusqu'à l'année prochaine où nous serons requinquin ! Rendez-vous à Lille, les 10, 11 et 12 décembre 2024 pour le 36e Forum de la communication publique !