Intranets du secteur public : quelles évolutions avant la révolution ?
L’étude 2023 sur l’état des intranets dans le secteur public montre que l’outil est en pleine transformation. Depuis 2017, et après une importante période de refontes, les intranets se sont développés. Pour autant, de grandes marges de progression sont encore possibles. Quelles évolutions majeures révèle cette étude ? Quels sont les leviers d’amélioration à envisager pour renforcer les intranets du secteur public ?
Avec la digitalisation des administrations et la généralisation du télétravail, les modes de gestion, les solutions techniques, les contenus et les usages de l’intranet évoluent. C'est le constat dressé par l'étude 2023 sur l'état des intranets au sein des collectivités locales et des organisations publiques. Les résultats montrent un certain nombre d’évolutions. Mais ils mettent également en lumière les différents points d’attention pour aller plus loin. Où en sont les intranets publics aujourd’hui ? Quelles pistes de travail pour des intranets plus efficients, plus agiles et plus rentables ?
L’étude sur l’état des intranets dans le secteur public a été menée début 2023 par Cap’Com, avec Didier Rigaud-Dubaa – maître de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne – et Franck Confino – consultant numérique pour le secteur public. Près de 300 collectivités territoriales et institutions publiques, représentatives des quelques 1 200 grands organismes de plus de 250 agents, ont répondu au questionnaire. Les résultats ont été présentés et analysés le 7 avril dernier lors des Rencontres nationales de la communication interne. En comparaison avec la même enquête menée en 2017, cette étude mesure les changements et évolutions en cours depuis la crise sanitaire.
Plus de mobilité et de travail collaboratif
La première observation, lorsque l’on compare les résultats des études menées en 2017 et en 2023, est la place de plus en plus importante que prennent les intranets dans les collectivités locales et les organismes publics. Depuis 2017, le nombre de répondants à l’étude ne disposant pas d’intranet a fortement diminué, passant de 25 % en 2017 à 10 % en 2023. Force est de constater que les intranets étudiés en 2023 sont récents. Plus de la moitié d’entre eux ont moins de trois ans, quand, en 2017, 51 % des intranets avaient plus de dix ans. Quelles sont les évolutions majeures opérées dans le cadre de cette importante période de refonte ?
Des intranets de plus en plus accessibles en externe
L’évolution principale des intranets est leur accessibilité en mobilité et le caractère « responsive design » de leur conception. En 2017, seulement un tiers des intranets étudiés étaient accessibles depuis smartphone ou tablette. Ils sont désormais 66 % à être pensés pour un accès externe au lieu de travail.
Cette question du responsive design se pose au moment de la refonte puisqu’elle impose de revoir l’ensemble du socle technique. Aujourd’hui, les intranets ne sont plus pensés pour être utilisés d’abord sur écrans puis adaptés aux mobiles. Ils sont désormais majoritairement conçus pour les smartphones en premier lieu, et pour s’adapter ensuite aux écrans. Penser l’intranet en « responsive design » ou « mobile first », c'est faire un pas vers plus de sobriété numérique puisque s’adapter à une lecture mobile implique d’être plus sobre dans le rédactionnel comme dans l’architecture de l’outil. Cela permet également de réduire la fracture numérique en interne. Selon Franck Confino, « c’est une vraie logique à avoir si on veut attirer des publics qui ne peuvent consulter l’intranet qu’avec leur smartphone personnel ou professionnel. C’est aussi une question à se poser par rapport à la fracture numérique : combien de gens n’ont pas de poste informatique ? ».
Des intranets qui tendent de plus en plus vers le collaboratif et la transversalité
En tant qu’outils de travail, la fonction première des intranets reste le partage d’informations et de données ou de documents. Contrairement au secteur privé, les intranets publics sont loin d’être des réseaux sociaux d’entreprises (ils représentent seulement 13 % des répondants). Mais on observe que les espaces utilisateurs sont de plus en plus ouverts pour tendre vers le collaboratif. 61 % des intranets ont vocation à être un support de travail collaboratif et disposent d’espaces réservés à certains utilisateurs.
Souvent attribués à certains services, aux réseaux de contributeurs, à l’encadrement ou bien à des communautés d’agents, ces espaces dédiés permettent de créer des groupes projets, d’échanger et de diffuser des documents. Ce qui contribue à former des communautés de travail et à renforcer la transversalité.
La vidéo, un support de plus en plus maîtrisé
Si les supports disponibles dans les intranets étudiés restent essentiellement écrits et illustrés, le nombre de vidéos a presque doublé depuis 2017. Montrant ainsi que le support est de plus en plus accessible et maîtrisé par les communicants. La vidéo s’est développée dans les usages depuis la crise sanitaire et le lancement des marques employeur qui impliquent de nombreux portraits d’agents. Pour Franck Confino, « il n’est pas nécessaire d’avoir un prestataire pour faire une bonne vidéo. Mais il y a tout de même un enjeu de sobriété à avoir en tête concernant les contenus. L’idée n’est pas d’écrire plus. Au contraire, c’est d’écrire moins long et plus accessible, y compris pour les vidéos ».
L’évaluation de l’intranet doit être un chantier permanent
Avec 56 % des répondants qui n’ont pas évalué leur intranet depuis les trois dernières années, l’évaluation reste un dispositif mal investi. Or Didier Rigaud-Dubaa et Franck Confino alertent : l’évaluation doit être constante. Surtout sur un outil numérique qui peut devenir obsolète en quelques années. Il faut donc évaluer l’intranet et le faire évoluer par petites touches, au quotidien, pour assurer sa pérennité et ne pas avoir à tout refaire tous les dix ans.
Pour Didier Rigaud-Dubaa, « il faut casser le mythe d’une évaluation très lourde tous les quatre ou cinq ans. Il faut être plus modeste dans les modalités d’évaluation, mais plus fréquent et régulier. Notamment, il faut constamment étudier les statistiques. C’est quelque chose qui doit faire partie du quotidien ».
Pour Franck Confino, ce chantier permanent est également une bonne opportunité pour travailler avec les agents et ainsi mettre en place des panels utilisateurs : « Si vous venez de mettre en ligne un nouvel intranet, faites de l’UX, testez-le avec des agents, il y a toujours quelque chose à améliorer. En éditorial, en rédactionnel, peut-être en fonctionnel. C’est comme ça qu’un intranet ne tombe jamais en désuétude : une fois qu’on le met en ligne, on continue régulièrement à le faire évoluer. D’ailleurs prévoyez toujours un petit budget en numérique pour ajouter une fonctionnalité ou tout simplement pour continuer à le faire vivre dans le temps. »
De grandes marges de progression encore possibles
Rendre son intranet accessible : une obligation légale, un enjeu éthique et moral
Afficher un certificat d’accessibilité, ou être conforme aux critères du Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA), est une obligation légale depuis 2019. Ce point est donc une nouveauté et n’apparaissait pas dans l’étude de 2017. Aujourd’hui, seuls 42 % des intranets étudiés sont conformes à ce cadre réglementaire. Didier Rigaud-Dubaa attire l’attention sur le fait que ce chiffre est à prendre avec des pincettes : « En réalité, le nombre d’intranets conformes au RGAA doit être bien moindre puisque la majeure partie des collectivités qui ont répondu à l’étude 2023 ont refondu leur intranet il y a moins de trois ans. » Les intranets du secteur public ont donc une large marge d’évolution pour respecter ces critères.
Et l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de rendre l’information accessible aux 20 % de la population qui rencontrent une forme de handicap, quelle qu’elle soit (cognitive, visuelle, etc.) et doivent utiliser des logiciels spécifiques pour lire ou écouter les contenus de l’intranet. Travailler l’accessibilité n’est donc pas superfétatoire. C’est un investissement financier et humain – certes –, mais c’est un devoir pour les communicants. Franck Confino rassure sur ce sujet : « Il faut démystifier le côté technique de l’accessibilité. Un intranet affiche un certificat à partir de 51 % des contenus accessibles. Pour les communicants, il s’agit dans un premier temps d’inclure un paragraphe dans le cahier des charges afin d’exprimer le niveau d’accessibilité attendu. C’est ensuite l’agence qui s’attache à ce que l’intranet ait un code source aux normes. Ce paragraphe du cahier des charges peut également demander que les agents soient formés. » Au-delà de l’aspect technique, le travail rédactionnel et de remplissage n’est pas à négliger. Les communicants doivent en effet remplir des légendes, des balises ou encore rédiger des versions textes des vidéos par exemple. Mais il faut aussi que le niveau de langage soit adapté à tout le monde. Et le Facile à lire et à comprendre (FALC) fait partie des cordes à l’arc des communicants, qui peuvent intégrer cet aspect dans leurs écrits. Franck Confino résume : « Il faut avoir conscience que oui, ça a un coût et c’est du travail en plus pour les communicants internes qui doivent écrire et remplir ou baliser différemment. Ce n’est pas anodin, ça peut augmenter de 20 à 30 % le coût de l’intranet. Mais c’est la loi, et il y a un enjeu moral derrière ça. »
S'intéresser aux solutions open source
Tout comme en 2017, l’écrasante majorité des intranets reste développée sur une solution propriétaire. Dans la majeure partie des cas, la solution choisie – ou subie, car souvent plébiscitées par les DSI – est Sharepoint de Microsoft. Sans remettre en cause cette solution, il s'agit d’élargir le champ de vision et de se poser la question des avantages de l’open source. Pour Franck Confino, il y a tout d’abord une vraie économie d’échelle à faire en développant son intranet sur une solution open source : « Un système de gestion de contenu (ou CMS) développé sur Sharepoint va coûter forcément plus cher que le même outil développé sur un open source. Tout simplement parce qu’avec Sharepoint il y a des licences utilisateurs payantes. Et parce que les prestataires qui développent sous ce système ont un niveau de prix plus élevé. »
S'interroger sur la pertinence de mettre en place un logiciel open source, c'est aussi reposer la question d’associer la communication interne aux choix techniques. « Il faut mettre sur la table les avantages et inconvénients de Sharepoint, discuter. Il faut savoir que les CMS open source intègrent aujourd’hui pleinement les outils de Microsoft et permettent donc de faire arriver vos messages, vos mails, vos agendas dans l’intranet avec des notifications. » Le choix de l’outil doit donc découler d’une réflexion sur les fonctionnalités, les besoins et les usages. En ce sens, la communication a une expertise à apporter.
Tendre vers une gouvernance numérique pour définir les fonctionnalités socles
Nous l’avons vu, les fonctionnalités collaboratives des intranets se développent depuis 2017. On observe une nette évolution pour les espaces de travail partagés comme pour les outils collaboratifs tels que les visioconférences, les wiki, etc. « Ces évolutions sont certainement la résultante des confinements. Pour autant, la vraie question à se poser est “Quelles fonctionnalités voulez-vous mettre dans votre intranet ?” D'où l'importance d'un recueil des besoins auprès de tous les services pour que l'intranet réponde aux besoins de l'ensemble des agents, voire les anticipe. Ensuite, il est important de bien décrire le mécanisme attendu pour chaque fonctionnalité. C’est le cœur du réacteur de votre cahier des charges », assure Franck Confino. Ces fonctionnalités peuvent d’ailleurs être déjà existantes et être intégrées à l’intranet. La difficulté est ici de travailler avec les autres directions pour s’assurer de l’interopérabilité des outils : « Ce qui compte, c’est que votre intranet soit relié à vos outils internes pour pouvoir y accéder avec une authentification unique et afficher des alertes/notifications. Cela vous permettra par exemple de voir que vous avez des mails à lire, des réunions dans votre agenda ou encore des congés à poser. L'interopérabilité devrait être la condition sine qua non de tout achat d'outil interne : d'où l'importance d'une gouvernance numérique en tryptique (DGS/DSI/DICOM) pour ne pas laisser des services choisir des outils "fermés" à toute intégration future. Parmi eux, le système d’information RH est très important. Il faut idéalement relier l’intranet – pour pouvoir poser ses congés, avoir le solde de jours restants, etc. – à ce système d’information. Mais encore faut-il que ces outils, la plupart du temps vieillissants ou fermés, soient interopérables. »
Cette question du choix des fonctionnalités et de l’interopérabilité des outils représente le principal enjeu des projets d'intranet : la gouvernance numérique. Pour Franck Confino et Didier Rigaud-Dubaa, cette gouvernance doit donc être une entité supra, une collaboration tripartite entre la DSI – pour la sécurité, les aspects techniques et fonctionnels –, la DGS et la DRH – pour le budget, le déploiement et l’interopérabilité des outils –, et la communication interne pour les besoins, les usages et les contenus. Un réel chantier organisationnel à mettre en place pour améliorer l’efficacité des intranets dans le secteur public.
Pour contribuer à la définition des usages, des choix techniques, des fonctionnalités et des contenus, la communication interne doit prendre sa part dans la conception et l'animation de cet outil central et stratégique qu'est l'intranet. Mais l’étude le montre : trop peu de ressources humaines sont allouées à sa gestion et à son alimentation en contenus. Or la communication interne ne peut pas tout produire seule et a besoin de contributeurs. Pour fournir une information accessible et qualifiée, cette question de la production de contenus et des réseaux de contributeurs est un autre enjeu majeur de l’intranet. Elle sera analysée et détaillée dans un article à venir de l’infolettre Cap’Com.