Le combo gagnant de Lille pour inciter à l'inscription sur les listes électorales
Comment inciter efficacement les habitants à s’inscrire sur les listes électorales ? Comment attirer leur attention sur ce sujet très administratif pour leur rappeler qu’ils peuvent s’inscrire jusqu'au 4 mars, et faciliter leur démarche ? La ville de Lille a misé sur une communication pétillante piochant dans les codes culturels du web et un dispositif de proximité : un véhicule circulant dans les quartiers pour amener le service d’inscription au plus près des habitants. Retour sur la réalisation de la campagne avec Baptiste Monnot, directeur de la communication de la ville de Lille.
« Je vois des gens… qui ne sont pas encore inscrits sur les listes électorales », « Quand t’as eu la flemme de t’inscrire sur les listes électorales… et que tu ne peux pas aller voter »… Pendant les quinze premiers jours de janvier, les Lillois ont pu lire ces messages à la tonalité étonnante accompagnés de visuels de personnages de films ou de séries connus, sur les panneaux d’affichage. Ils ont aussi pu croiser au détour de leur quartier un bus floqué d’un personnage hystérique et du message « Quand tu réalises qu’ici tu peux t’inscrire sur les listes électorales ».
Le « mème », un code de la culture web qui parle aux jeunes
Ces affiches et ce véhicule, qui transporte des agents du service état civil de Lille, composent la campagne de communication de la ville pour faciliter l'inscription des habitants sur les listes électorales. Un dispositif complet qui reprend le principe des mèmes. Sur les réseaux, ces images décalées d’habitudes, de comportements et de situations universels, accompagnées d’un texte court écrit en gras ou en capitales, sont largement utilisées par les internautes pour s’exprimer avec humour et parfois une pointe de sarcasme. L'assemblage d’un texte court et humoristique et d'une image univoque immédiatement compréhensible, souvent basée sur des références héritées de la culture populaire (film, série, etc.), permet de faire circuler auprès d’un public large et de manière légère les messages.
« Mème » pas peur de renouveler un marronnier
Le service communication de la ville de Lille s’est ainsi inspiré des codes de la culture populaire du web pour sortir de la communication purement institutionnelle sur un des sujets administratifs récurrents des collectivités. L’information sur l’inscription sur les listes électorales fait partie de ces marronniers de la communication publique que les communicants cherchent à renouveler. D’autant plus qu’après avoir communiqué pendant de nombreuses années autour de la date butoir du 31 décembre, les collectivités doivent maintenant informer les citoyens des nouveaux délais qui leur permettent depuis 2019 de s’inscrire jusqu’à six semaines avant le scrutin. Une opportunité de communication élargie que les communicants publics sont invités à saisir pour informer et faciliter l’inscription des citoyens dans le cadre de la lutte contre l’abstention étudiée dans un récent rapport parlementaire.
À Lille comme ailleurs, les derniers scrutins montrent une participation en berne, la mairie s’attaque donc à l’un des freins à l’expression du plus grand nombre dans les urnes : la non-inscription sur les listes électorales. « Mme le maire est très sensible à ce que la population participe aux élections et nous avons constaté qu’un certain nombre d’habitants ne sont pas inscrits et parfois même mal inscrits », explique Baptiste Monnot. « Une personne habitant toujours Lille mais qui a par exemple déménagé dans un autre quartier, et n’a pas effectué les démarches, ne se déplacera pas forcément à l’autre bout de la ville le jour du vote. »
Pour concevoir une campagne qui réussisse à toucher sa cible principale, les jeunes, le service communication a associé le conseil lillois de la jeunesse en amont de la conception. « Nous leur avons soumis plusieurs propositions. Ils nous ont poussés à choisir le concept des mèmes, qui, pour eux, parlait aux jeunes », explique Baptiste Monnot. Les communicants s’orientent principalement vers des images tirées de films ou séries souvent utilisés pour créer des mèmes sur les réseaux tout en s’assurant que le visuel soit compréhensible par le plus grand nombre. « Plus que des références culturelles, nous avons cherché des postures, des expressions qui parlent à toutes les générations. »
Sur une trentaine de visuels, cinq seront retenus. Trois accompagnent les messages en affichage qui rappellent la démarche, et les effets de son absence ou de sa réussite : un LOL cat, Cole, le petit garçon du film Sixième Sens, un Pablo Escobar à la mine morose issu de la série Narcos.
Deux autres illustrent sur les outils de proximité la joie éprouvée devant la facilité de la démarche : Joey, le célèbre personnage de la série Friends, sur le flyer mentionnant tous les moyens de s’inscrire, et l’acteur Jonah Hill, tiré du film American Trip, floqué sur le bus. « Avec déjà une image et un texte, nous avions au départ misé sur la sobriété d’un fond noir pour conserver la lisibilité des visuels, mais le rendu a renvoyé des impressions plutôt moroses lors de tests. Nous avons donc finalement opté pour les nuances d’Instagram », précise le dircom. Seule la mention « Inscription jusqu’au 4 mars » complète le mème.
L'utilisation de ces images, issues de films ou de séries, sous forme de mème est-elle autorisée ?
C'est LA question qui vient à l'esprit des communicants publics (et qui devrait venir à l'esprit de ceux qui accompagnent la communication de certains politiques...). Pour sécuriser le volet lié au droit à l’image, le service communication s’est assuré de pouvoir librement utiliser les images tirées de films ou de séries. « Les visuels choisis circulent déjà très largement sous forme de mème et de gif sur le web », explique Baptiste Monnot. « Ce type d'utilisation relève du droit à la parodie et ne pose aucun problème dans le cadre d’une campagne d’intérêt général donc à but non lucratif, et, qui plus est, apolitique. »
Recueillir l’avis des cibles pour ciseler en interne une campagne signifiante
Choix de mèmes signifiant, couleur de fond, message, tout au long du processus de création, les communicants ont soumis leur travail au regard des habitants. « Pour certaines de nos actions, notre vidéaste se rend dans le hall de l’hôtel de ville ou dans la rue avec les affiches et demande aux gens ce qui leur vient en les regardant. Il réalise avec les réactions un petit montage que nous visionnons au service communication. Par exemple, pour le choix des mèmes, nous avons vérifié que le message restait compréhensible, même pour les personnes n’ayant pas la référence, avec l’idée de transgénérationnel. Friends par exemple existe depuis très longtemps et parle à plusieurs générations. »
La campagne a été conçue en interne par un chargé de communication et une graphiste sous l’égide de la directrice adjointe de la communication et avec les bonnes idées de l’ensemble du service com, précise Baptiste Monnot. De la première idée à la finalisation complète de la campagne, le processus de conception s’est étalé sur deux mois et a nécessité un budget de 10 000 euros correspondant au flocage du bus et à l’impression des supports.
77 % d'inscription en plus en cinq jours
La campagne a été déployée en affichage sur 150 panneaux de la ville du 3 au 18 janvier, et continue en proximité avec la distribution d’un flyer, et le passage du bus floqué et transportant les agents du service état civil dans les différents quartiers de la ville jusqu’à fin février. La ville a également relayé la campagne sur ses comptes Facebook, Twitter et Instagram. « Nous avions également installé une bâche avec un visuel de la campagne sur la façade de l’hôtel de ville en travaux, ce qui a occasionné des selfies sur les réseaux », ajoute le dircom.
Sur le web comme dans les médias, la campagne a été largement partagée et commentée. Un écho médiatique qui permet de mettre le sujet de l’inscription sur la table et d’amener le grand public à se poser la question. L'intérêt des médias était visible dès la conférence de presse de lancement. Organisée autour du véhicule floqué, elle a attiré des médias régionaux et nationaux qui ne répondent pas forcément présents à chaque sollicitation presse. « La couverture qu'ils ont faite de la campagne a bien traduit l’ensemble de la démarche, c’est-à-dire pas juste une communication marrante mais un dispositif complet qui donne les moyens concrets aux gens de s’inscrire », souligne Baptiste Monnot.
Et qui fonctionne : « Au cours des cinq premiers jours de la campagne, nous avons enregistré une hausse de 77 % des inscriptions. La campagne d’affichage se terminant, nous allons dresser un bilan plus complet et voir si la dynamique du début s’est maintenue ou si les chiffres montrent un essoufflement. Et nous allons réfléchir à relancer une nouvelle vague de communication avec peut-être de nouveaux mèmes et en imaginant une manière de faire participer les habitants. »