Le sport, un levier d’attachement et d’attractivité pour les territoires
Grands événements, mais aussi filière de développement économique ou encore inclusion sociale au niveau local : l’association du sport au marketing territorial ouvre de nombreux champs professionnels. Quels sont-ils ? Que peut-on en attendre et dans quels secteurs ? Comment s’y prendre ? Tour d’horizon et exemples concrets, tant nationaux qu’internationaux.
Quelques semaines après la clôture des Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024, événement de résonance mondial qui est clairement une véritable réussite française, nous organisions, lors des 11es Rencontres du marketing et de l’identité des territoires, une session dédiée à la place du sport dans l’attractivité des territoires. Nos deux intervenants, Vincent Gollain, économiste-consultant, et Nastassja Korichi, responsable des Rencontres du marketing et de l'identité des territoires, partagent ici les principaux enseignements et retours d'expérience de cette conférence interactive.
Une fonction importante dans la société française
Avec plus de 2,5 millions d’événements sportifs tenus en France tous les ans, plus de 308 000 équipements, des millions de licenciés dont six millions d’e-sportifs amateurs et de loisirs, ou des dizaines de milliers de sites naturels pour pratiquer de nombreux sports… la France et ses territoires, y compris d’outre-mer, ne manquent pas d’atouts pour utiliser le sport afin de séduire mais aussi pour contribuer à ancrer les habitants, visiteurs de passage, et fans de sport bien entendu. Le sport, c’est aussi un formidable vecteur d’inclusion sociale et un levier d’atténuation des différences, comme l’a parfaitement montré la ferveur autour des pratiques de l’handisport. Enfin, le sport est une véritable « machine à émotions » qui rapproche les individus entre eux mais aussi des territoires où elles s’expriment.
Le sport est ainsi un levier d’attachement à un territoire par les émotions qu’il génère, qu’elles naissent dans un cadre individuel (une course à pied, un parcours de forme, etc.) ou collectif (ambiance dans un stade comme le célèbre Bollaert de Lens, un marathon, une course cycliste). À quelques centaines de mètres du stade Bollaert, où se tenait un match le soir de la première journée des Rencontres, les participants ont pu entendre en direct les clameurs des spectateurs installés dans ce lieu mythique.
Intensifier le lien entre sport et identité, l'attractivité territoriale, est une dimension forte des politiques territoriales et des stratégies de marketing territorial. Les participants à la conférence ont d’ailleurs toujours répondu positivement aux questions posées durant la séance portant sur les différentes fonctions du sport dans les stratégies d’attractivité.
Retour sur investissement, impacts sociaux et environnementaux : des objectifs clés
Formidable levier, le sport permet aux territoires de poursuivre trois objectifs importants : forger ou développer une identité locale, intensifier le rayonnement mais aussi renforcer la fierté.
Mais on observe que trois autres objectifs sont désormais clés.
- Intensifier les retombées du sport sur les territoires pour notamment maximiser les frais d’investissement et de fonctionnement, humains et financiers, consacrés au sport. Ce sera d’autant plus important dans les prochaines années du fait des tensions très fortes sur les finances publiques. Cela poussera les marketeurs territoriaux à mieux appréhender les caractéristiques de la demande, des publics ciblés.
- Anticiper pour atténuer les effets négatifs des actions engagées dans le domaine sportif, et notamment les impacts environnementaux et sociaux. Il pourra s’agir de diminuer l’impact environnemental d’un événement, développer les mobilités douces vers les équipements et lieux où se pratique le sport, construire des infrastructures écoresponsables, développer l’utilisation d'énergies renouvelables, etc.
- Enfin, le sport peut contribuer à la régénération de certains territoires. Le sport a des effets positifs sur la santé physique des citadins et permet de réduire les risques de maladies chroniques, par exemple par la promotion d’un mode de vie actif. Grâce aux adeptes de sports libres s’appropriant l’espace public ou à l’installation d’équipements dans des quartiers populaires, le sport agit comme un vecteur de développement urbain.
Inclure toutes les dimensions du sport dans les politiques d’attractivité
Le marketing des territoires par le sport ne concerne pas que les grands événements sportifs. Il est nécessaire de prendre en compte une conception élargie tant en ce qui concerne l’offre proposée (présence d’équipes, équipements, sites naturels, entreprises, etc.) que du côté de la demande, en étudiant toutes les catégories possibles de publics, des plus jeunes aux handicapés, en passant par les professionnels.
En matière d’offre, les politiques mises en œuvre se polarisent sur la performance sportive. À l’instar des grandes équipes internationales et du sport business à l’américaine, la tentation est forte de miser des montants importants sur la performance d’une équipe. Il faut dire que les exemples des Dallas Cowboys, du Real Madrid ou de l’OM font rêver de nombreux décideurs publics. Mais cette stratégie est fragile et peut se révéler risquée à moyen/long terme. Marc Thébault, expert et consultant en marketing territorial, souligne d'ailleurs la nécessité de ne pas miser uniquement sur la performance pour éviter de prendre le risque d’une trop forte dépendance du territoire aux résultats de l’équipe ou des champions locaux et donc créer une fragilisation. Il est donc important de diversifier ses actions en matière de sport pour faciliter l’atteinte des objectifs fixés et toucher le plus grand nombre.
Les 6 leviers pour développer son marketing territorial par le sport
Six leviers ont ainsi été proposés pour intensifier son attractivité et marketing territorial par le sport.
- Construire/approfondir l’identité d’un territoire (ce que vous êtes) en s’appuyant sur des valeurs véhiculées par le sport et les pratiques sportives : sens de l’effort, respect de soi et des autres, santé, esprit d’équipe ou solidarité. Bonne pratique : « Le manifeste de Savoie Mont Blanc », qui comprend plusieurs valeurs issues du sport.
- Renforcer l’image et le capital marque (ce que vous souhaitez exprimer) de son territoire par le sport. Bonnes pratiques : Rouen (campagne décalée 2022-2024 d’Invest in Rouen où le sport tient un rôle important) et le Marathon du Médoc, qui permet de découvrir différemment cette destination œnologique.
- Rapprocher stratégie d’investissement et de rénovation d’équipements sportifs avec l’approche marketing pour mieux connaître et agir sur les publics existants et potentiels. Il s’agit ici d’améliorer le retour sur investissement des dépenses d’investissement et de fonctionnement. Vichy, grâce à une stratégie qui associe la rénovation du plateau sportif à une stratégie marketing positionnée sur le double axe « sport-thermalisme » et « performance sportive », est une bonne pratique reconnue.
- S’appuyer sur le marketing territorial pour attirer des ressources extérieures de toutes natures (financements, visiteurs, sportifs, équipes et joueurs professionnels, entreprises) permettant de développer son écosystème local. Bonnes pratiques : l’accueil et l’appui au développement d’entreprises de la filière nautique en Vendée ou à Vannes.
- Construire une filière sport ou e-sport avec le soutien à des projets de création et développement d’entreprises dans le domaine. Bonnes pratiques : EuroSIMA, cluster des entreprises de la glisse d’Hossegor, et Grand Paris Sud, première collectivité territoriale à rejoindre France Esports en lien avec sa stratégie de développement de la filière sur son territoire. Ce territoire a noué avec la Karmine Corp, équipe française d’e-sport créée en 2020 à la renommée internationale, un partenariat inédit en France, en faisant des Arènes leur lieu de résidence pour leurs compétitions et événements.
- Utiliser le marketing territorial pour mieux impliquer les parties prenantes dans la dynamique sportive d’un territoire (ex. : club d’ambassadeurs), mais aussi pour agir en faveur du développement de comportements écoresponsables.
Le Bassin minier, une destination sportive émergente
Si le Louvre-Lens est devenu un emblème international du territoire, accompagné par la démarche « Autour du Louvre-Lens » en matière de marketing territorial, la dimension sportive du territoire est souvent méconnue. Pourtant, grâce à la stratégie définie et aux interventions de la Mission Bassin minier, cette destination développe également sa dimension sportive, comme l’a présenté Gilles Briand, directeur d’études « développement opérationnel » de cette structure publique.
La concentration de terrils et les anciennes friches sont au cœur du projet de création de l’aménagement d’un grand espace paysager connecté par des routes et surtout voies vertes. Grâce à son absence de relief, ce plat pays est particulièrement favorable aux pratiques pédestres et cyclables. Il est désormais possible de visiter des terrils en partant, à pied ou à vélo, du Louvre-Lens. Cela peut changer complètement le regard sur le territoire et étendre le temps de séjour.
En poursuivant ses efforts, par exemple par la mise en place d’une signalétique adaptée, le Bassin minier peut devenir une nouvelle destination culturelle et sportive, selon Gilles Briand : « On a développé le Trail des pyramides noires pour permettre aux participants d'explorer le Bassin minier Nord-Pas-de-Calais et de découvrir son patrimoine culturel, paysager et naturel unique, inscrit au Patrimoine mondial de l'Unesco. Il ne s’agit pas de devenir un méga-événement mais d’attirer de nouveaux publics et de renforcer la fierté des habitants. L’événement monte en puissance et est désormais dans la liste des trails à faire dans plusieurs revues spécialisées dans cette discipline. »
L’enjeu des équipements sportifs dans l’espace public
Le développement des équipements sportifs dans l’espace public génère un véritable engouement et les mises en œuvre se multiplient. Ces installations permettent de travailler l’attractivité d’un territoire auprès de publics précis, comme les étudiants dans plusieurs villes universitaires, mais aussi plus globalement de contribuer à l’attachement des habitants, visiteurs ou salariés. L’exemple de Lyon, qui a réaménagé un linéaire de 5 km en centre-ville et en bordure de Rhône, est particulièrement emblématique. La mutation de cet espace – initialement dédié au stationnement de voitures – en aménités consacrées aux sports et loisirs montre bien que, lorsque la collectivité met des équipements à disposition, les habitants se les approprient. En attestent les rendez-vous quotidiens et très fréquentés autour des zones de musculation ou encore le compteur vélo placé sur la voie cyclable des berges du Rhône à Lyon, qui comptabilise environ 15 000 passages par jour (plus de deux millions entre janvier et septembre 2024), plaçant ainsi la voie dans le top 5 des axes cyclables les plus fréquentés d’Europe.
Les échanges avec les participants ont confirmé cette dynamique mais ont aussi soulevé plusieurs enjeux, notamment car le constat a été fait à de nombreux endroits d’une appropriation très forte par les hommes. Des femmes ont aussi témoigné de leurs réticences à se montrer en tenue de sport dans certains espaces publics. Ces constats sont exacts mais depuis plusieurs années les urbanistes se sont penchés sur le sujet pour concevoir des espaces publics nettement plus « invitants » pour les femmes.
De nombreuses initiatives à l’image des territoires
Preuves de l’implication des participants dans la dynamisation de leurs territoires par le sport, voici ci-après un ensemble d’exemples cités en fin de conférence. Le temps a manqué pour relever tous les témoignages possibles, aussi n’hésitez pas à partager vos propres expériences en commentaires.
Julien Lepont-Jubin, responsable attractivité et marketing territorial du département de la Côte-d’Or, a ainsi montré que l’accueil du Tour de France dans son département pendant trois jours cet été a été très bénéfique. En plus des effets positifs en matière d’image, cette exposition médiatique internationale a dopé le tourisme, et notamment les fréquentations d’hôtels qui ont progressé de 4 à 5 % en comparaison avec l’été 2023. Il a souligné deux dimensions importantes à l’accueil d’un tel événement : la convivialité et la dimension de fête populaire.
Delphine Moisan, DGA des services à la population de la communauté de communes du Val d’Essonne, a indiqué qu’ils ont accueilli l’équipe de natation synchronisée du Japon à l’aquastade de Mennecy pendant les JOP Paris 2024. Malgré une candidature très tardive, la venue de cette équipe a suscité beaucoup d’engouement de la population locale. Les élèves des écoles ont pu assister à des entraînements et même à des répétitions. Cette mise en visibilité du territoire a suscité par la suite des demandes de sportifs intéressés à venir s’entraîner.
Alexandra Fauconnet, chargée de marketing territorial pour la ville et la métropole du Mans, a présenté les retombées des 24 heures du Mans qui sont un marqueur très fort à l’international et en France. Pour autant, il reste encore parfois difficile d’inciter les nombreux visiteurs à étendre leur séjour pour visiter le territoire et plus globalement la Sarthe. Le potentiel de cet événement a incité la métropole à développer des initiatives en faveur de l’industrie automobile, notamment pour développer l’innovation des entreprises et inciter à de nouveaux projets de carburant vert.
Ella Toudji, chargée de mission à la communauté de communes du Pays d’Ancenis, a quant à elle témoigné de la ferveur populaire des événements sportifs en évoquant le relais de la flamme qui a concerné trois des 20 communes de l’intercommunalité (de 60 000 habitants). La mobilisation des scolaires et des habitants a été extraordinaire. Une petite fille, en affichant une pancarte « Vive les JO et les Pokémons », a même fait le buzz. Les entreprises se sont également mobilisées ainsi que les Ehpad. 14 000 spectateurs ont été comptabilisés au cours de la journée, soit presque un habitant sur quatre !
Cette session des Rencontres n’a pas épuisé toutes les dimensions des liens entre le sport et l’engagement des individus à un territoire ou son attractivité. Il apparaît clairement que le sport est un vecteur d’émotions et de liens sociaux dont se saisissent les territoires à bon escient. Au regard des réflexions qui ont émergé lors de cette conférence très interactive, il apparaît important de se doter d’une stratégie pour définir les meilleures options à prendre en fonction de la situation locale, des capacités d’investissement et des opportunités. Il est dans de nombreux territoires possible d’aller plus loin pour intensifier les retombées économiques et sociales, ou encore renforcer l’attachement local et l’attractivité exogène. Les exemples fournis illustrent l’éventail des pistes possibles.