Les attachés de presse hissent la grand-voile
Vivifiés par plusieurs rencontres et un état des lieux sans détour de leur métier, les professionnels des relations presse du secteur local dressent leur feuille de route vers de nouveaux horizons. Face à la nécessité de réinventer leur métier, ils réaffirment leur positionnement et leurs valeurs qui rendent l’attaché de presse d’aujourd’hui et de demain indispensables.
Face aux défis qui attendent leur profession, les responsables et attachés de presse des collectivités territoriales misent sur l’intelligence collective. La réflexion commune a été portée au sein du Comité de pilotage de Cap'Com et impulsée par le service presse de l’Eurométropole de Strasbourg lors d’une journée réunissant une trentaine de professionnels de départements, régions, ou métropoles le 1er octobre 2019. Le fruit de cette journée a été partagé avec les participants du Forum Cap’Com de Bordeaux et complété par les expériences de Rennes ville et métropole et du département de la Gironde. Retour sur ces temps d'échanges qui permettent d'analyser la nouvelle donne des relations presse et d'inviter les attachés de presse à regarder quelles cartes maîtresses ils peuvent jouer.
La révolution numérique en toile de fond
Les attachés de presse font un état des lieux sans concession de leur métier autour de trois thèmes stratégiques :
- la révolution numérique du monde de l’information
- la mutation des compétences
- la transformation de l’écosystème attachés de presse - élus - médias
La transformation numérique d'abord. En rendant possible la diffusion de messages partout et tout le temps, elle a modifié le paysage et les pratiques des relations presse. Profusion, rapidité et immédiateté des sources d'informations qui concurrencent les médias classiques. Un mouvement incessant que les attachés de presse doivent accompagner plutôt que subir. Pour ce faire, ils doivent opérer leur propre révolution numérique.
Les journalistes sont multicartes, surtout dans le local. Si eux se transforment, il faut que nous, collectivités, nous sachions nous transformer.
Cela passe par une mutation nécessaire des compétences. La généralisation des outils connectés générés par la transformation numérique a modifié la manière de fabriquer l’information et de la diffuser. Savoir bien écrire ne suffit plus : le journaliste doit savoir aussi rédiger pour le web, les réseaux sociaux, décliner son information sous forme d’infographie, de vidéos animées, de podcasts, etc. Il doit connaître les codes propres aux médias numériques - notamment en matière de référencement - pour pouvoir émerger et gagner la bataille de l’attention et de l’immédiateté. Sur ce terrain, l’attaché de presse doit rester son meilleur allié. « Les journalistes sont multicartes, surtout dans le local. Si eux se transforment, il faut que nous, collectivités, nous sachions nous transformer », a souligné Frédéric Duprat, directeur de la communication du département de la Gironde lors de son intervention au Forum. Comment ? En se formant pour connaître l’environnement du journaliste et acquérir les compétences sur les outils et les supports. Un prérequis nécessaire pour rester compétitif sur le terrain de l’information et conserver sa place d'interlocuteur privilégié face à la multiplication des émetteurs.
Pour rester ce maillon central dans l’écosystème attachés de presse - élus - médias, les professionnels vont devoir rappeler utilement que dans relations presse, il y a « relation ».
Car l’accès par tous aux moyens de diffusion a transformé la relation au temps et aux personnes et fragilisé le maillon que représentait l’attaché de presse entre journaliste et collectivité, ou entre journaliste et élu. Il peut arriver qu’un journaliste trouve l’information sur internet avant que la collectivité ne l’ait diffusée, ou qu’il s’adresse directement à un élu pour gagner du temps. À l’inverse, les élus ont les moyens aujourd’hui de diffuser facilement une information par eux-mêmes sur les réseaux. Pour rester ce maillon central dans l’écosystème attachés de presse - élus - médias, les professionnels vont devoir réaffirmer leur expertise dans la médiation et rappeler utilement que dans relations presse, il y a « relation ».
Questionner sa place dans la fabrique de l’information
Si l’attaché de presse ne veut pas rester à quai, il lui faut prendre le bon départ, en faisant le tri dans ses bagages pour garder le nécessaire et les compléter avec de nouveaux éléments. Ainsi outillé, à bord de quel bateau doit-il monter ? Celui de la direction de cabinet, du service com, du service relation presse ? De plus en plus de collectivités réorganisent effectivement leur convoi pour qu’il circule correctement dans un paysage médiatique caractérisé par une nouvelle temporalité, une surabondance de sources et d’informations, et une défiance à la fois vis-à-vis des élus et des médias. « Nous sommes face à un public qui va chercher l’information un peu partout, et toujours avec une méfiance par rapport à ce qu’il lit. Il la trouve sur les médias sociaux, et elle a selon lui la même valeur que celle des journaux, qui eux ont sourcé cette information dont nous sommes nous-mêmes à l’origine », rappelle Frédéric Duprat.
C’est dans ce contexte de nouvelle fabrique de l’information que sa collectivité a mené une réflexion sur la refonte de sa direction communication. Une réorganisation qui a fait disparaître le service relation presse en tant que tel et amené la création d’ un pôle « information ». Dans un cadre budgétaire contraint, le département a fait le pari de l’intelligence collective en repensant le mode d’organisation de ce service alors composé de 36 personnes. « Nous avons travaillé pendant une bonne année en équipe pour organiser une direction fondée sur un principe de transversalité, et trois missions : communiquer, informer et identifier », explique le dircom. « Les multiples compétences des collectivités nous poussent à être dans la verticalité, surtout avec des services qui souhaitent, à bon escient, valoriser ce qu’ils font. Notre rôle est de les ramener d’abord à la cible à qui on s’adresse, puis d'arriver à pouvoir intéresser de manière plus globale. »
Nous sommes passés d’une logique d’outil à une logique de contenu.
« Nous avions une mission presse (trois personnes), des publications et des réseaux sociaux. Nous avons voulu passer d’une logique d’outil à une logique de contenu. L'idée est de se poser d'abord la question du traitement de telle ou telle information, de la manière de créer des complémentarités, parfois même d'éviter des doublons voire des compréhensions différentes. » Dans ce nouveau pôle information composé de dix personnes, une conférence de rédaction bimensuelle permet à chacun de se saisir des informations par rapport aux supports qu’il gère.
Cette nouvelle organisation s'appuie sur le mélange des compétences : celle de la connaissance de la cible, détenue par les relations presse, avec par exemple celle de la maîtrise des réseaux sociaux. Des interactions qui portent déjà leurs fruits quelques mois après la mise en place de cette nouvelle organisation.
Le temps et les gens : l'expertise de l’attaché de presse d’aujourd'hui, et de demain
Quels que soient les changements organisationnels à venir, impulsés par le nouveau contexte informationnel mais fortement dépendants de l’état de l’art dans les services com des collectivités (effectif, budget, compétence et appétence), les professionnels les abordent en remettant au centre de leur réflexion les valeurs d’experts de la profession : celle de la gestion du temps, celle de la gestion du relationnel. Deux compétences distinctes qui constituent le socle de l’attaché de presse d’aujourd’hui comme de demain, pour peu qu’elles passent au tamis du tryptique personnalisation / diversification / acculturation.
Faire du cousu main
Pour marquer le pas avec des relations presse de masse de plus en plus inefficaces, l’attaché de presse a tout intérêt à personnaliser ses actions. En s’appuyant sur son expertise de la relation d'abord : « Il nous faut travailler à un niveau relationnel, très individualisé. Avec les élus, pour, par exemple, discuter avec eux de leur rapport aux réseaux sociaux. Avec les journalistes, pour savoir quel type de contenu les intéresse, et quelles sont leurs pratiques. Et même avec nos collègues des services avec qui il faut aussi nouer et entretenir des liens de confiance », a expliqué Mathilde Legeais, responsable du service de presse de Rennes Ville et Métropole lors de son intervention au Forum. « Certains ne répondent jamais au téléphone et sont plus sensibles à un sms, d’autres à des éléments de langage sous forme de communiqué, d’autres encore à des “prêts-à-twitter". Il faut faire du sur mesure. Ça ne demande pas forcément plus de temps que de rédiger un communiqué, de le faire relire, de le diffuser et de faire de la relance derrière. »
Le temps, c’est déjà notre cœur de métier : il faut faire respecter toutes les temporalités.
En renforçant sa maîtrise du temps des uns et des autres ensuite. « Nous courons après les journalistes et leurs contraintes de bouclage, après les interlocuteurs en interne entre deux réunions. Le temps, c’est déjà notre cœur de métier, il faut faire respecter les temporalités des uns et des autres. Celle des journalistes : en adaptant la diffusion en fonction de chaque rédaction – certaines ont besoin de l’information quinze jours avant pour organiser un reportage par exemple - , en expliquant aux élus que le journaliste ne peut pas attendre qu’il soit disponible pour traiter un sujet d’actualité. Celle de la collectivité, dont le fonctionnement ne permet pas toujours de répondre aux besoins immédiats de la presse : en expliquant aux médias qu'il faut parfois attendre les commissions ou les assemblées pour pouvoir sortir l’information. Voire désormais celle des réseaux sociaux, où des internautes plus ou moins bien attentionnés - plus ou moins intentionnellement - peuvent provoquer des fuites ou des rumeurs immédiatement hors de contrôle. »
« Plus de fond, moins de confettis »
Ce travail en dentelle porte également sur les contenus. « Plus de fond, moins de confettis », a-t-on pu entendre lors du séminaire de Strasbourg de la part des journalistes présents. Noyés dans la masse des mails et communiqués de presse, ils n’arrivent pas toujours à savoir lequel sera le plus pertinent à traiter. Pour leur proposer un service cohérent avec leurs pratiques, il faut mieux cibler et calibrer les actions en fonction de l’information, en renouvelant et diversifiant les relations presse.
Le service presse de Rennes ville et métropole est par exemple parti à la « chasse aux marronniers ». Une masse de communiqués attendus par les services, mais qui n’apportait pas forcément d’information nouvelle sur des sujets que de toute façon les journalistes traitaient déjà. « Il ne s’agit pas de les éliminer mais de trouver une autre façon de les présenter aux journalistes. Ou parfois de constater qu'on reproduisait un schéma devenu obsolète à l'ère des sites internet, comme diffuser les horaires d'ouverture des piscines municipales pour les périodes de vacance scolaire par exemple. Ni les journalistes ni les usagers n'attendaient ce service de notre part à nous, attachés de presse. » La collectivité a ainsi retravaillé l’espace presse en ligne dans le cadre de la refonte du site internet institutionnel. Toutes les collectivités n’en disposent pas forcément. Pourtant, avec un bouton d’accès bien positionné en haut de la page d’accueil et des contenus à jour, cet espace constitue une mine d’informations – communiqués et dossiers de presse, contenus multimédias vidéo, infographies – dans laquelle les journalistes peuvent piocher à tout moment. Cela évite l’envoi de mails avec des pièces jointes volumineuses.
Dans la même logique, l’espace presse de Rennes intègre désormais l’agenda de la presse. Il recense les conférences de presse, certains éléments d’agenda des élus et des rendez-vous de la collectivité. Certains marronniers élagués sous leur forme de communiqué y ont repris racine, dans un format dont la mise à disposition des journalistes est beaucoup plus légère, moins chronophage, sans rien retirer du niveau d'information mis à disposition. Désormais un lien vers cette version en ligne remplace le document pdf de 5 Mo précédemment envoyé par mail chaque vendredi aux journalistes. L’outil permet une actualisation quotidienne de l’information et évite l’envoi de mails « ANNULE ET REMPLACE » en cas de modification.
Lors de la journée du 1er octobre, les attachés de presse ont également évoqué des alternatives pour renouveler la façon de servir l’information aux journalistes, comme la mise en scène des politiques publiques sur le terrain ou le « quick débrief » : un mail synthétique envoyé en fin de journée sur un ton informel avec un mot du président de la collectivité pour susciter le contact du journaliste ou la reprise des propos sur les réseaux sociaux.
La diversification passe aussi par l’abandon de certains automatismes bien ancrés, comme le recours systématique au communiqué ou à la conférence de presse. « Pour beaucoup d’élus et de services, s’il n’y a pas de conférence de presse, cela signifie que la com ne s’intéresse pas à leur sujet et que ça n’aura aucun écho dans les médias. Il faut qu’on leur explique pourquoi la conférence de presse n’est pas le Graal. Pourquoi cela ne sera pas préjudiciable à son traitement par le journaliste. Ce serait même le contraire si on lui épargne un déplacement pour assister à une “présentation PowerPoint” qu’il aurait pu trouver toute faite dans sa boîte mail. »
Faire la communication des RP
Optimiser les relations presse permet de gagner du temps pour mettre en œuvre des actions pédagogiques toujours nécessaires pour les métiers de la com en général, et plus encore pour une fonction qui doit réaffirmer ses valeurs. La pédagogie s’impose en interne pour mettre à mal le cliché de l’attaché de presse qui passe son temps à diffuser des communiqués.
En créant des outils de mesure de leur travail, le service de presse de Rennes s’est rendu compte que les trois quarts du temps de travail - « la partie immergée de l'iceberg, vraiment invisible si nous n'en parlons pas nous-mêmes » - des RP étaient consacrés à répondre aux journalistes . « Contrairement aux élus et aux services, nous sommes disponibles tout le temps pour répondre aux journalistes : c’est ce qui fait notre valeur et notre force. On peut peut-être nous contourner mais on ne peut pas nous remplacer. Le fait d’avoir quantifié ce temps nous a rendus légitimes à montrer toute l’expertise de notre métier et à l’expliquer. » Pour pouvoir faire cette pédagogie en interne, le service a inventé des outils concrets qui valorisent non seulement le travail des RP mais le fait que les services de la collectivité puissent aussi s’en servir pour compléter le bilan de leurs actions.
« En plus de la revue de presse quotidienne, nous avons notamment mis en place des bilans presse thématiques sur certaines de nos actions. » Diffusés sous forme de newsletters, ils donnent à voir l’intégralité d’une action presse, souvent au long court, de la demande initiale (découverte du sujet qu'on aura à traiter) à la fin des retombées, en passant par les actions presse (communiqués, visites, conférences…) et les sollicitations des journalistes. Côté services, ils viennent compléter les éléments compilés sur leurs dossiers respectifs. Côté relations presse, ils permettent de démontrer que le nombre d’actions de relations presse n’est pas nécessairement proportionnel à la qualité des retombées, et valorisent l’importance de bien connaître les journalistes, ou de prendre du recul et remettre en question la stratégie de relations presse pour un prochain sujet similaire.
Aux côtés de ces bilans sur certaines actions presse, les RP ont mis en place des bilans d’activité mensuels. « Nous nous sommes rendu compte que nous avions traité entre 800 et 1 000 demandes presse dans l’année, à côté des actions presse menées au cours de l’année. Pour valoriser utilement ce temps passé auprès des services, nous avons mis en place cet outil qui recense les actions presse initiées, les réponses aux sollicitations des journalistes et les bilans des actions presse construits dans le mois. Cet outil permet au service presse de se rendre réellement compte du temps – par définition imprévisible – passé à répondre aux journalistes. Son analyse par thématique des actions et des sollicitations permet aux élus et aux services de prendre du recul sur les sujets ou les actions qui marchent. »
Favoriser la prise de recul, acculturer à son expertise pour mieux la réaffirmer, l'enjeu est farouchement d'actualité à l'aube d'un nouveau mandat, pour les attachés de presse comme pour l'ensemble des professionnels de la communication publique, tous à la croisée des chemins dans quelques semaines.