Les jeunes parlent aux jeunes
Quand de jeunes étudiants en communication publique assistent au grand angle sur les jeunesses au Forum Cap’Com de Strasbourg, ils portent une attention toute particulière aux propos qu’ils entendent. Ils nous livrent ici leur regard sur cette conférence et sur les enjeux qui les concernent. Pour toucher les jeunes, il ne faut pas douter de leur engagement et construire avec eux les actions.
Les étudiants reporters qui ont témoigné pour cet article étaient présents au Forum de Strasbourg. Ils ont rédigé leur synthèse qui a servi à l’écriture de cet article : merci à Corinne Bojados et Chloé Coculet, du master 2 communication et territoires à l'université Toulouse 3 Paul Sabatier, et à Matthis Simon et Alexis Mamis du master science politique parcours communication publique et démocratie participative de l’université de Lille.
Crédit photo : © Philippe Stirnweiss / Cap'Com
De gauche à droite : Jean-Marc Treuil, responsable communication et partenariats de l'Anacej, Guillaume Weixler, membre du conseil jeunes de l'Anacej, Béatrice Dias, directrice de la communication de l'université Lyon 1 Claude Bernard, et Binjamyn Mairesse et Tom Ogier, étudiants et élus centraux à l'université Lyon 1 Claude Bernard. Le grand angle au Forum de Strasbourg était piloté par Sophie Queran, directrice de la communication de la ville de Villejuif
Les jeunes sont 9 millions en France, entre 18 et 29 ans. On sait l’intérêt des communicants sur le sujet : comment communiquer efficacement auprès des jeunes ? Ils sont le sujet de politiques publiques locales ou nationales fondamentales comme l’enseignement supérieur et professionnel, le logement, la lutte contre l’isolement et la précarité. Ils interrogent les pratiques de communication des administrations publiques et des collectivités territoriales : comment les sensibiliser, comment leur faire accéder aux aides auxquelles ils ont droit ? Et en poussant la réflexion plus loin : quels sont leurs engagements et leurs moteurs de mobilisation ? Ces questions ont été soulevées lors du grand angle « Génération engagée ? Les nouvelles mobilisations des jeunes » animé par Sophie Quéran, dircom de Villejuif, au Forum de Strasbourg le 16 novembre dernier et que les étudiants présents à la tribune ou en amphi ont eux-mêmes commenté.
« La jeunesse n’est qu’un mot »
Nos étudiants reporters rappellent cette expression du sociologue Pierre Bourdieu : « La jeunesse n’est qu’un mot. Autrement dit, c'est par un abus de langage formidable que l'on peut subsumer sous le même concept des univers sociaux qui n'ont pratiquement rien de commun. »
Ils complètent : « Parler de jeunes, c’est définir une cible bien trop large car les jeunes sont loin d’avoir le même profil, il y a une très grande diversité de publics. »
Précisons que, lors de cette conférence, il est question d’étudiants, majoritairement âgés de 18 à 25 ans pendant leurs années de fac. Ceux qui témoignent à la tribune sont à l’université de Strasbourg ou à l’université Lyon 1 ou encore au comité jeunes de l’Anacej, l’association des conseils de jeunes.
« Ce qui peut tout changer, c’est inverser les points de vue »
Aujourd’hui, l’université Lyon 1 communique pour être au service des jeunes et accompagner leurs propres projets. C’est même le sens de l’évolution de la place des étudiants dans les universités en France, comme l’explique Béatrice Dias, directrice de la communication de l’université Lyon 1 : « Petit à petit, la parole des étudiants a pris une place très importante dans les politiques des établissements, dans la communication, la gouvernance, pour arriver à co-construire quelque chose qui leur parle. »
Dans un mouvement vertueux, les jeunes engagés au sein de l’université deviennent acteurs et ambassadeurs de leurs projets, au bénéfice de la vie étudiante, comme l’expriment Binjamyn Mairesse et Tom Ogier, étudiants et élus centraux à l’université Lyon 1 Claude Bernard : « Notre idée, c’est vraiment de pouvoir aider les étudiants. »
De ces actions concrètes émerge véritablement l’engagement étudiant, ajoutent-ils : « On commence par être engagé dans une association, on découvre que l’université peut financer nos souhaits, puisqu’il existe un système démocratique où elle écoute les étudiants. » « Ce qui m’a donné envie de m’engager, c’est la semaine d’intégration : sur le village associatif, on voyait les bénévoles élus avec le logo “Lyon 1 orga” sur le tee-shirt. »
Deux rapports pour approfondir le diagnostic des jeunesses en France
En 2021 et 2022, deux rapports importants sur les jeunesses ont été publiés. Ils sont consultables gratuitement en ligne :
Prendre le risque de la communication étudiante ?
À l’écoute des échanges du grand angle, les étudiants reporters s’interrogent : « Lorsqu’une institution fait appel à un tiers, c’est davantage l’action du tiers qui est mise en lumière, au détriment de la reconnaissance de l’institution par les jeunes. » Le jeu en vaut-il la chandelle pour l’institution ?
Autre écueil souligné par nos jeunes observateurs : face aux difficultés de toucher les jeunes, les institutions publiques n’anticiperaient-elles pas par défaut un échec de la participation des jeunes ? Progressivement, elles investiraient moins de temps et moins d’efforts auprès des jeunes.
Dernier obstacle : « Un frein peut résider dans les moyens financiers à disposition : en déléguant la communication aux étudiants, comment garantir que les projets restent dans des fourchettes de prix raisonnables ? »
La tribune présente à Strasbourg apporte des éléments de réponse : à Lyon 1, la volonté est assumée et ce sont les projets étudiants qui structurent une bonne part du budget de la communication. Béatrice Dias précise : « C'est plus de 1,2 million d’euros qui sont investis chaque année dans les projets à l’initiative des étudiants, soit 4 000 euros en moyenne par projet. »
Comme l’illustre l’action Sors de ta piaule ! portée par Gaelis, la fédération des associations et élus étudiants de Lyon, avec le soutien de l’université : une semaine d’activités gratuites (ou à moindre coût) pour lutter contre l’isolement et la précarité des étudiants. S’y associent d’autres associations en proposant des actions de sensibilisation à la gestion du temps, de son budget, de son alimentation, etc.
D’accord mais comment ? Retours d’expérience
À Strasbourg, le projet Noria propose une approche dynamique et immersive pour l’orientation post-bac des lycéens : Armelle Tanvez, directrice de la communication de l’université de Strasbourg, détaille à la tribune de la conférence : « Le principe est de proposer aux lycéens de découvrir par eux-mêmes la vie étudiante, d’assister à un cours magistral en amphithéâtre, à une séance de travaux dirigés ou de travaux pratiques en salle. Les immersions sont aussi l'occasion de découvrir toutes les facettes de la vie sur les campus, en visitant les différents lieux d'études (facultés, instituts, écoles, bibliothèques, restaurants universitaires, etc.). »
Guillaume Weixler, membre du conseil jeunes de l’Anacej, complète : « Au congrès de l’Anacej, nous démultiplions les formes d’intervention : débats les yeux fermés, danse, fresque du climat. Pour que ça fonctionne, pour réussir à faire participer les jeunes, il faut que l’action apporte quelque chose, une expérience, un apprentissage. »
Béatrice Dias détaille : « À Lyon 1, on a demandé via une plateforme participative ce que les étudiants voulaient pour leur université. »
« C’est la communauté étudiante qui a choisi, en votant les actions qu’ils voulaient voir financer : le local à vélo, des espaces pour étudier, manger, des bornes de recharge, des pistes cyclables, des cantines. » Et de conclure : « La com étudiante ne peut fonctionner qu’avec eux et par eux, pour créer un climat de confiance. »
Une recette qui n’est pas sans rappeler celle menée à Villeurbanne voisine de Lyon lors du festival Réel, où les jeunes ont eu carte blanche pour imaginer un festival à leur image, de la programmation à la logistique concert.
Les bons outils de com selon les jeunes ? « C’est complexe »
Les étudiants lyonnais élus dans les instances de Lyon 1 reconnaissent aisément la complexité du choix des outils de communication auprès des jeunes.
« On est bien obligés de démultiplier les supports : mails, Instagram et Twitter. Et ça peut être compliqué de faire savoir où aller chercher l’information. »
« Mais finalement, ce qui fonctionne encore le mieux, c’est le bouche à oreille, qui part du local des associations. Et le côté festif des associations – on ne va pas se mentir –, organiser des soirées, créer plus d’envies des étudiants que la communication de la fac. Et à partir de ces soirées, on peut faire plein d’autres choses dans des domaines culturels ou sociétaux. »
Tous les étudiants qui ont assisté ou participé au grand angle tombent d’accord : la question va bien au-delà de la communication auprès des jeunes. Il s’agit d’embarquer les jeunes sur des projets, de leur proposer des engagements et de les maintenir sur les chemins qui mènent à la vie citoyenne et professionnelle.