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Littératie : le numérique au prisme des compétences de chacun

Publié le : 16 mai 2024 à 07:40
Dernière mise à jour : 21 mai 2024 à 12:57
Par Dominique Mégard

À l’heure de rapports restrictifs et inquiets sur les accès des enfants aux écrans, à l’heure où le numérique est souvent présenté d’abord comme un danger ou un sombre monde, reparlons ici de ce qui fut en décembre l’objet d’un atelier pro au Forum Cap’Com de Toulouse : « La littératie numérique ». Pourquoi les communicants publics doivent-t-il s'intéresser à ce thème qui, sous un nouveau terme, traite en fait de l’accès de chacun à ce numérique omniprésent qui, tous écrans confondus, tisse notre quotidien ?

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Retour sur l'atelier « J’adopte un langage compréhensible par tous en numérique… » du 35e Forum Cap’Com de la communication publique de Toulouse, avec l'appui des comptes-rendus de Malo Fortier et Mélanie Le Cornec, étudiantes en master de communication publique à l'université Rennes 2.

« La littératie numérique désigne la capacité d'un individu à comprendre et utiliser l'information au moyen des technologies : accéder à des ressources et des informations en ligne, les comprendre et les utiliser, communiquer avec les autres, gérer ses comptes et ses informations personnelles en toute sécurité, etc. », précisent Dorie Bruyas, présidente de la Mednum, directrice de Fréquence écoles, et Louis Salgueiro, chargé de coordination de RhinOcc et responsable du pôle inclusion numérique de l’association La Mêlée, animateurs de l’atelier « J’adopte un langage compréhensible par tous en numérique… ».

Rendre accessibles tous les messages via le numérique comme via les autres supports

Pour le communicant public, considérer le niveau de littératie des individus désigne, en quelque sorte, la préoccupation de rendre accessibles tous les messages via le numérique comme via les autres supports. Et, en matière de technologie, d’être soi-même suffisamment compétent pour produire et utiliser les multiples possibilités offertes par le numérique. « Près d’un quart des Français expriment des difficultés à utiliser des services dématérialisés : un chiffre qui appelle nécessairement les professionnels de l'action publique à entrer en vigilance. Comment la communication publique peut-elle être plus soucieuse des obstacles numériques rencontrés par les habitants des territoires ? Que faut-il questionner voire transformer dans les pratiques des agents chargés des questions de communication ? Que doivent-ils comprendre des enjeux de la littératie numérique et des réalités des pratiques du grand public ? » Telle était l’intention de départ de cet atelier, d’abord fondé sur des échanges d’expériences en petits groupes.

En numérique comme partout, le communicant public doit d’abord se poser la question de la perception, de la compréhension par tous de ce qu’il met en place et en conséquence « raisonner en littératie numérique »… Au cours de l’atelier, les communicants présents ont parlé de difficultés, de problèmes, d’expériences vécues face à des difficultés engendrées par la mise en place de projets numériques incompris ou inaboutis.

Quand la dématérialisation entraîne l'exclusion

Nombreux sont les services à se dématérialiser aujourd’hui. Les impôts par exemple, souvent cités comme une réussite, ou le confort de l’achat de services en ligne, transports en commun ou piscine par exemple… La dématérialisation peut virer à l’échec et provoquer incompréhensions, rejets, retours de bâton. Une grande ville a ainsi dématérialisé les PV de stationnement. Les plaques des véhicules en infraction (mauvais stationnement ou défaut de paiement) sont scannées par les agents de surveillance, un PV avec le montant de l’amende est envoyé au propriétaire du véhicule. Une dématérialisation complète sans alternative, une action efficace et simple. Malheureusement pour la ville, le système de scan mis en place ne peut pas distinguer quels véhicules sont conduits par des personnes handicapées et, à ce titre, exonérées de paiement dans de nombreux cas. Du coup de très nombreuses personnes se sont vu verbaliser alors qu’elles étaient dans leur droit. Il a fallu mettre en place un système d’enregistrement des plaques des véhicules conduits par des handicapés… et surtout expliquer l’erreur, le dispositif initial et le nouveau système en Falc et par tous les moyens. Essayer d’éviter un sentiment d’exclusion supplémentaire provoqué. Une situation de crise communicationnelle, mal vécue et difficile à gérer.

Les services communication ont, face à la dématérialisation tous azimuts, un rôle essentiel à jouer.

Questionner en amont la pertinence du 100 % numérique et les enjeux de communication de telles transformations est donc primordial. Les services communication ont, face à la dématérialisation tous azimuts, un rôle essentiel à jouer : faire prendre en compte, avant la mise en place de services en ligne, les citoyens, leur capacité, leur niveau de compétences, l’acceptabilité de la mesure et, pour cela, habituer les décideurs à raisonner en tenant compte de la littératie des usagers dans leurs raisonnements, et réfléchir pour ne pas exclure et rompre les liens.

Littératie et illectronisme

Se pencher sur la littératie numérique conduit à requestionner des notions et des réalités, comme celle de l’illectronisme et de la fracture numérique. Une réalité à laquelle tout communicant est forcément confronté. En France, on estime à quelque 14 millions le nombre de personnes qui souffrent d’illectronisme. Soit près d’un quart de la population en difficulté pour utiliser un ordinateur, une tablette, naviguer sur internet, et faire valoir ses droits à l’heure où la dématérialisation s’accélère.

Pour lutter contre l’illectronisme, des dispositifs ont été mis en place.

  • Dans les collectivités, y compris dans les quartiers politiques de la ville et en milieu rural par les communautés de communes.
  • Pour connaître et augmenter ses propres compétences numériques, une plate-forme utile pour chacun d’entre nous… y compris pour les professionnels de la communication… :
    • PIX propose de tester son propre niveau de compétence numérique de novice à expert, avec une version « spéciale collectivités » pour les agents des collectivités qui doivent aider des usagers dans leurs recherches de services ou dans leurs démarches ;
    • en complément de PIX, la plate-forme Aidants connect permet de se former à l’accompagnement.

Plusieurs témoignages ont fait état de la difficulté des demandes de subventions ou d’aides que l’on ne peut effectuer qu’en ligne sans alternative. Habitants ou associations voient leurs demandes rejetées pour défaut de remplissage, les consignes données en ligne n’étant pas comprises voire compréhensibles. Source de mécontentement, de désarroi et d’erreur de la part de demandeurs habitués à faire autrement, cela représente aussi une difficulté organisationnelle de traitement pour les agents. In fine, il y a un risque de retard ou d’erreur dans la répartition des subventions, qui peut entraîner un rétropédalage sur la dématérialisation comme solution unique. La communication est rompue, et le lien entre institutions et citoyens distendu, les services communication appelés à la rescousse.

Raisonner « littératie » dans ses actions de communication

Raisonner « littératie » concerne au premier chef les communicants eux-mêmes dans leurs actions. S’adresser à tous implique de ne pas faire sans consulter, expérimenter avant d’innover. Et pour connaître les limites des usages et des compétences des récepteurs, avant la mise en place de dispositifs de communication, cela implique de tester, en petits groupes ou avec ses voisins et sa grand-mère, les vecteurs envisagés, numérique compris… Ainsi une collectivité, dans le cadre d’un jeu concours lancé sur un réseau social, faisait désigner un candidat avec des émoticônes reliées à chaque candidat. Personne n’a compris le jeu ni les consignes, ce fut un « méli-mélo » terrible : tout le monde n’est, en effet, pas capable de lire des images, des schémas ou des cartes. Un essai aurait peut-être évité l’échec… Comme le soulignaient les animateurs de l’atelier devant les exemples donnés, « que faire pour que cette situation ne se reproduise pas ? ».

Des ressources pour travailler sa communication en littératie numérique

Parmi les ressources disponibles pour travailler « en littératie numérique » en se préoccupant d’inclusion numérique dans ses actions de communication, chaque région dispose de ce qu’on appelle des « hubs territoriaux » pour un numérique inclusif, comme Hinaura en Rhône-Alpes-Auvergne, ou des associations comme La Mêlée en Occitanie. Ce sont des lieux ressources pour concevoir sa communication en envisageant systématiquement actions et supports qui prennent en compte fracture numérique et illectronisme.
Les agences de lutte contre l’illettrisme peuvent également être des partenaires dans certains cas, tout comme l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

À voir aussi : le document de présentation de l'atelier « Je communique et j'agis pour être accessible à tous : les enjeux de la littératie » du Forum Cap'Com 2022 de Strasbourg.

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