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Neuf « si » pour mettre le marketing territorial en bouteille

Publié le : 31 octobre 2017 à 10:22
Dernière mise à jour : 19 mars 2018 à 16:07
Par Marc Thébault

Parfois, on pense que son bonheur ne dépend que des autres. On y songe quelquefois pour notre vie de tous les jours. Et on le croit également, j’allais écrire « hélas », en marketing territorial. Ah ! Si les autres pensaient autrement, avaient une meilleure opinion sur nos territoires, connaissaient sur le bout des doigts nos aménités ou nos filières économiques d’excellence et ne s’embarrassaient pas de clichés ou d’idées reçues sur notre région, etc., il faut le reconnaître, la vie serait tellement plus simple !

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Par Marc Thébault

Mais c’est oublier, d’abord, que nous sommes responsables de ce que nous donnons à percevoir de nous-mêmes. Ainsi, si au lieu de persister à vouloir avoir raison contre la Terre entière (et lui en vouloir ou la traiter d’ignare), on comprenait enfin que changer d’abord soi-même peut avoir de nombreuses vertus ? Ne serions-nous pas, alors, un chouia plus adulte dans notre relation à l’Autre ?

Ensuite, c’est oublier que ce premier « si » peut en cacher bien d’autres, qui sont autant d’obstacles à la réussite de votre démarche. En voici neuf et je parie que vous pourrez compléter cette liste :

1 - En général, s’il suffisait de dire pour être entendu, écouté et compris, cela ne ferait pas plusieurs milliers d’années que les humains tentent à tâtons de théoriser la communication (interpersonnelle ou autre), histoire de comprendre une bonne fois pour toute pourquoi parfois ça fonctionne, mais surtout pourquoi, le plus souvent, Nom de Dieu d’un petit bonhomme, cela ne fonctionne pas ! Ainsi, réduire le marketing territorial à une série d’actions exclusivement de communication n’aura qu’un intérêt très limité, en dehors de se faire plaisir et de se faire mousser. Surtout si on se vend comme une lessive …

2 - S’il suffisait de se vendre « territoire où il fait bon vivre » (ou « … bon entreprendre » ou « … bon travailler » ou « … bon passer sa retraite », etc.), cela demanderait, d’une part, qu’aucun autre ne le fasse afin de vous réserver à vous, et à vous seul, ce créneau. Et, d’autre part, cela demanderait qu’on soit tous d’accord, jeunes, moins jeunes, âgés, très âgés, célibataires, en couple, familles, cadres, travailleurs, entrepreneurs, touristes, etc. sur ce que signifie « bon (puis, ici, verbe au choix) ». Détail qui tue : surtout si on ne prend pour preuve qu’un classement de presse, dont les critères, donc les résultats, sont rarement homogènes d’une année à l’autre. A noter : cela fonctionne avec tous les clichés que l’on enfile comme autant de perles : « Ville à vivre » (vous en connaissez qui seraient « à mourir » ?), « Ville à taille humaine … » (c’est sûr que si on a une taille « inhumaine », on ne va pas s’en vanter !), « Terre d’innovation », « Ville de culture pour tous », « Ville verte », etc …).

3 - S’il suffisait de dessiner un logo, avec un jeu de mot franglais, pour se démarquer et se faire remarquer, on remplacerait aisément les onéreuses et longues études de positionnement ou les complexes « portraits identitaires » pour organiser, avec des étudiants.es en Beaux-Arts (dont quelques anglophones), des soirées créatives, suffisamment alcoolisées et fournies en psychotropes divers pour que l’imagination, et l’humour, soient enfin au pouvoir. Soirées à suivre en LT avec les hashtags : #ImaginationPower #HowDoYouDoYauDePoele #AllezFaisMoiLoL !. En profiter pour relire cela.

4 - S’il suffisait de faire une seule affiche, ou une seule pub, pour que l’ensemble des cibles visées la voient, la lisent, la mémorisent, la comprennent, adhérent au message, soient persuadés de son bien-fondé et, du coup, foncent chez vous chez pour y vivre, travailler ou passer de longues et dépensières vacances, et pour que les territoires n’aient qu’à gérer des listes d’attentes de foules en délire qui se presseraient vers eux en poussant, les larmes aux yeux, des cris de joies, à Poudlard, les formules magiques enseignées se réduiraient à « Yaka » et à « Faukon ».

5 - S’il suffisait, pour les faire changer d’avis, de tirer les oreilles de celles et ceux qui constituent vos cibles mais qui, malheur sur eux les imbéciles, ne perçoivent pas très exactement votre territoire tel que vous-même le voyez, ou plutôt tel que vous le désirez et le vendez, cela reviendrait à croire qu’en lieu et place d’actions de promotion, des châtiments corporels en place publique seraient préférables. Mais, du coup, il faudrait évoquer la qualité de votre accueil (voir point 7, ci-dessous), et le concept « d’expérience client », avec la plus extrême prudence.

6 - S’il suffisait de s’autoproclamer « champion » de ceci ou de cela (ou « territoire leader de … » ou « 1er territoire à … », etc.) pour être cru, du moins pour être crédible, il faudrait alors dessiner un autre monde, une autre planète, où personne n’aurait un avis contraire ou réservé quant à vos affirmations et où la plus grande partie de vos cibles abandonnerait leur esprit critique, leurs antérieures perceptions de votre territoire, la place qu’ils lui ont octroyée dans leur propre échelle de valeur et s’excuseraient, penauds, de ne pas l’avoir su plus tôt et d’avoir, ne serait-ce qu’un instant, douté de votre discours.

7 - S’il suffisait de promouvoir la qualité de votre « accueil », il faudrait poser l’hypothèse que vous-même n’avez jamais tenté d’interpeller, en mode « testing » ou en caméra cachée, votre propre territoire par mails, tweets, messages privés sur réseaux sociaux, téléphones ou via un guichet avec de vrais gens. Sinon, vous seriez un tantinet plus circonspect.

8 - S’il suffisait de faire comme les autres territoires pour réussir, cela supposerait qu’il existe, quelque part, un modèle unique de communication, une et une seule panoplie d’arguments à développer, un et un seul processus méthodologique à suivre et que, c’est simple un enfant de 5 ans pourrait le faire, et bien la meilleure technique en définitive, c’est le mimétisme ! Après tout, si les autres l’ont fait avant, c’est que cela devait être pertinent. Accessoirement, cela supposerait aussi que votre territoire n’ait aucune personnalité propre, puisqu’il apparaitrait comme pouvant enfiler les habits de n’importe quel autre. Tout lui va ! Un sacré petit caméléon celui-là. Et si on reparlait « ipséité » ?

9 - Si on pouvait, enfin, se passer de l’adhésion (au minimum de l’association) des diverses composantes de votre territoire pour le promouvoir (Bordeaux, si tu nous regardes. Voir sous ce lien.), cela voudrait dire que, un dimanche soir en sortant de votre gare vers 22h30 et cherchant un taxi pour rejoindre un hôtel où ils espèrent se restaurer et bénéficier d’un accès WiFi simple et fluide, tous les visiteurs ne vivent exclusivement que l’expérience que vous avez parfaitement décrite dans vos plaquettes (48 pages, quadri, vernis sélectif, dos carré cousu et tag NFC intégré) et vos clips (100 % drone, musique électro et animation 3D du logo) et qu’ils constatent alors avec plaisir et ravissement que (attention, ironie ci-après), de l’habitué noctambule du quartier de la gare, et avisé amateur de bière et de chiens, au chauffeur de taxi, adepte de votre nouveau plan de circulation, en passant par le gardien de nuit de l’hôtel, fidèle abonné à vos publications et à votre compte Twitter, tout le monde ne parle que d’une même voix et récite avec application vos grands chiffres-clefs et vos arguments finement peaufinés puis entonne, la main sur le cœur, le slogan (en franglais, voir point 3) qui symbolise le positionnement si original retenu par votre territoire. Ça y est, j’ai des frissons d’émotion …