« Oui pub », la presse territoriale doit-elle s’en inquiéter ?
C’est un sujet qui s’impose depuis peu. La généralisation du « Oui pub » destiné à être affiché sur des boîtes aux lettres pourrait bouleverser le secteur de la distribution des imprimés. Cela ne va pas sans interpeller les communicants publics, notamment au regard de la diffusion de la presse territoriale. Réponses à toutes vos interrogations en 15 questions.
Le dispositif « Oui pub » vise à interdire la distribution d’imprimés publicitaires non adressés (IPSA), sauf lorsque l’autorisation de les recevoir est indiquée de manière visible sur la boîte aux lettres.
Il donne la possibilité aux habitants d’apposer un autocollant « Oui pub » s’ils veulent toujours recevoir des prospectus publicitaires dans leur boîte aux lettres.
C’est l’inverse du dispositif « Stop pub », qui existe depuis 2004, où les habitants doivent indiquer sur leur boîte aux lettres qu’ils ne souhaitent pas recevoir de publicités.
Le « Oui pub » conduit à la fin de la distribution toutes boîtes, pour aller de la publicité « subie » vers la publicité « choisie » réservée aux seuls foyers ayant rendu visible leur souhait de recevoir des publicités dans leur boîte aux lettres.
L’objectif du « Oui pub » est de lutter contre le gaspillage des imprimés publicitaires distribués dans les boîtes aux lettres. Une enquête menée par l’Ademe en 2020 a révélé que 44 % des Français jettent des publicités à la poubelle sans y avoir prêté attention.
Or, ces imprimés représentent près de 900 000 tonnes de papier, soit 30 kg par foyer et par an, dont pas loin de la moitié est donc jetée sans avoir été lue.
Le dispositif devrait réduire les impacts environnementaux liés à la production, au transport et au traitement des déchets d’imprimés publicitaires non lus.
À noter que, depuis l’existance du « Stop pub », le nombre de boîtes aux lettres à distribuer est resté constant et la quantité d’imprimés publicitaires distribués a même augmenté. Selon l’Ademe, 60 % des foyers équipés d'un « Stop pub » continuent à recevoir des imprimés, ce qui est contraire à la loi.
Le coût investi par les industriels ou les enseignes dans l’imprimé publicitaire a été de 2,9 milliards d’euros en 2017 selon l'UFC-Que Choisir. À cela s’ajoutent les 200 millions d’euros du coût de collecte et de traitement de ces déchets. Cela reviendrait à près de 50 euros par personne chaque année.
Le « Oui pub » concerne l'ensemble des imprimés en plastique, papier ou cartonnés à visée commerciale non adressés, à l'exception :
- des journaux et magazines d'information municipale, communautaire, départementale et régionale ;
- des documents de communications politiques et électorales ;
- des supports à caractère cultuel ;
- des échantillons presse, souvent distribués sous forme d'encart jeté sous film ou collé à une page de publicité. L'échantillonnage presse est surtout utilisé dans le domaine des parfums et produits de beauté.
Le dispositif « Oui pub » va d’abord être expérimenté sur 15 territoires. Dans un premier temps, 2 millions d’habitants seulement vont être concernés par cette expérimentation.
Ce n’est pas avant 2025 que le « Oui pub » pourra peut-être être généralisé sur tout le territoire.
Le « Oui pub » reprend, partiellement, une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, qui avait préconisé d’interdire totalement la distribution de publicités dans les boîtes aux lettres. Son expérimentation a été prévue par l'article 21 de la loi Climat et Résilience.
Un comité de pilotage associant l’ensemble des collectivités et entreprises concernées, mis en place sous la présidence de l‘Ademe, va conduire l’expérimentation, et un comité d’évaluation sera également institué.
L’expérimentation sur 15 territoires, souhaitée par les entreprises du secteur de la distribution, vise à évaluer l’impact du dispositif au regard du nombre de boîtes aux lettres ayant apposé la mention « Oui pub » et du volume de la production et de la diffusion des imprimés publicitaires distribués. Elle vise aussi à mesurer l'impact sur le tonnage de déchets papier traités par la collectivité et l'impact économique pour les entreprises concernées. Les indicateurs permettront aussi d’observer le report éventuel des annonceurs vers d'autres stratégies et supports publicitaires.
Dans le cadre de cette expérimentation, aucune sanction n'est prévue si des prospectus sont déposés dans les boîtes qui ne seront pas équipées d'un autocollant.
Quinze collectivités, qui se sont portées volontaires dans le cadre d’un appel à candidature, vont expérimenter le dispositif « Oui pub ».
Six intercommunalités : le Grand Nancy, Grenoble-Alpes Métropole, l’agglomération d’Agen et la communauté de communes Vallée de l’Ubaye Serre-Ponçon, et à partir de 2023 Dunkerque Grand Littoral et Troyes Champagne Métropole.
Trois villes : Bordeaux, Sartrouville et Ramonville-Saint-Agne (Haute-Garonne).
Six syndicats intercommunaux de collecte et de traitement des déchets : SICTOBA Basse-Ardèche ; SMICTOM Pays de Fougères ; SMICVAL Libournais et Haute-Gironde ; SYTRAD Ardèche-Drôme ; SYVADEC Corse ; UNIVALOM Sophia-Antipolis - Pays de Lérins - Pays de Grasse.
- 1er mai 2022 : lancement de l’expérimentation par une phase de distribution des autocollants et de communication de l’expérimentation aux habitants et aux entreprises du territoire visés par l’expérimentation.
- 1er septembre 2022 : début de l’interdiction de distribution des prospectus sur le territoire des 13 premières collectivités expérimentatrices.
- 1er février 2023 : début de l’interdiction de distribution des prospectus à Dunkerque Grand Littoral et Troyes Champagne Métropole.
- 1er mai 2025 : la phase d’expérimentation prendra fin.
Un rapport devra être remis au Parlement en octobre 2024, six mois avant la fin de la période d’expérimentation. Sur cette base, le gouvernement devra décider si la généralisation du dispositif est souhaitable sur l’ensemble du territoire national.
La décision devra faire l’objet d’une nouvelle loi votée idéalement avant mai 2025. Dans le cadre de ce texte, des sanctions pourront être envisagées si des prospectus publicitaires sont déposés dans les boîtes alors qu’elles ne sont pas équipées d'un autocollant.
Sur tous les territoires non concernés par l'expérimentation « Oui pub », le dispositif « Stop pub » continue à s'appliquer.
D'après les données fournies par La Poste et Médiapost, 6 % des boîtes aux lettres sont actuellement dotées d’un autocollant « Stop pub ».
Sur les territoires expérimentaux, la période d’information des habitants a commencé depuis le 1er mai. Des autocollants sont mis à disposition par les collectivités locales, les annonceurs et les distributeurs.
Il appartiendra aux collectivités territoriales de proposer une communication appropriée relative aux modalités de mise en place du « Oui pub », à destination des habitants, des annonceurs et des distributeurs concernés. Elles doivent expliquer que les imprimés publicitaires ne seront plus reçus dans les boîtes aux lettres si un marquage « Oui pub » n’y figure pas. Elles doivent aussi mettre à la disposition des habitants un dispositif de marquage. Les annonceurs et les distributeurs peuvent aussi en produire et en diffuser à leur initiative.
Les habitants doivent pouvoir se rendre en mairie pour se procurer un autocollant « Oui pub », ou pouvoir le télécharger sur le site de la collectivité, sur le site du gouvernement ou de l’Ademe.
La commission d’évaluation devra mesurer les moyens engagés par les collectivités pour la mise en place du dispositif : montant financier au cours de la période, moyens humains mobilisés, outils de communication.
L’application généralisée du « Oui pub » bouleversera certainement l’équilibre du secteur du prospectus et de la distribution.
Cette mesure entraînera pour les distributeurs une « non-distribution » de la publicité sur la plus grande part des boîtes aux lettres, ce qui aura pour conséquence une perte d’activité.
Cela s'ajoutera à une situation déjà tendue pour ce secteur d’activité qui, avec l’avènement du numérique, rencontre depuis plusieurs années des difficultés.
Salariés et directions, notamment chez Adrexo et Médiapost, les deux entreprises majoritaires dans le secteur, s’inquiètent de la baisse prévisible des effectifs.
Le « Oui pub » va se traduire par une baisse significative des volumes, et certains collaborateurs se retrouveront sans activité, annonce Médiapost. Pour la CGT d’Adrexo, « il existe une véritable menace sur les emplois car, avec ce dispositif, c’est la mort de l’imprimé publicitaire qui est programmée ».
« Oui à l’imprimé publicitaire mais non au Oui pub ! », affiche le syndicat CFTC de la distribution.
Les entreprises du secteur comptent bien, pendant les années de l’expérimentation, en profiter pour défendre le prospectus publicitaire qui serait le meilleur allié du pouvoir d’achat, première préoccupation des Français en plein contexte inflationniste. 67 % des Français considéreraient l’imprimé publicitaire comme le meilleur support pour être informés des promotions.
Les entreprises rappellent aussi que l’activité de l’imprimé publicitaire et de sa distribution représente 60 000 emplois, en grande partie non délocalisables.
Plus de 95 % des communes de plus de 5 000 habitants éditent un journal régulier destiné à l’ensemble des habitants, selon une étude de Cap’Com, qui évalue le tirage global de la presse territoriale à 150 millions d’exemplaires par an.
Cette presse des collectivités, lorsqu’elle est diffusée dans les boîtes aux lettres, ne représente que 2 % des imprimés ainsi reçus par les habitants. Mais, lorsqu’une collectivité fait diffuser son magazine par une entreprises spécialisée, elle profite d’une organisation qui repose sur une diffusion importante et régulière de publicités commerciales.
Il est concevable que la réduction de l’activité des distributeurs et leur redimensionnement conduisent à renchérir fortement le coût des rares distributions toutes boîtes qui subsisteront. De plus, certaines entreprises se retireront certainement de ce marché, et la concurrence risque de s’amoindrir.
La distribution des journaux des collectivités dans les boîtes aux lettres des foyers est encore aujourd’hui le mode de diffusion le plus important. Elle concerne trois quarts de la presse territoriale. Dans les grandes collectivités, cette distribution est faite presque exclusivement par des entreprises spécialisées. Dans les petites communes, les journaux sont souvent distribués par le personnel municipal ou les élus. Mais d’autres formes de diffusion se sont développées ces dernières années.
Les journaux des collectivités sont presque systématiquement mis en libre-service dans tous les équipements publics et parfois même dans les commerces. Cette forme de distribution représente environ 10 % du volume total.
De même, de plus en plus de collectivités, notamment les grandes intercommunalités, les départements et les régions, ont mis en place des formules d’abonnement gratuit qui permettent d’adresser les magazines par courrier nominatif.
Enfin, le « street marketing » est une formule qui attire certaines collectivités. La diffusion de chaque numéro devient un événement mis en scène dans la ville. Avec des équipes d’agents ou de personnes mobilisées, la sortie du numéro donne lieu à des distributions systématiques dans les espaces publics, les lieux de passage ou de regroupement des habitants comme les stations de transport ou les zones commerciales. L’événement est parfois couplé avec de l’affichage et toujours largement relayé sur les réseaux sociaux.
Une distribution moins systématique et plus diversifiée conduira toutefois à revoir à la baisse les tirages des journaux territoriaux dès lors que la diffusion toutes boîtes sera moins courante.