Pages de com : « Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie », sous la direction de L. Lardeux et V. Tiberj
Cet ouvrage pose la question des distorsions entre gouvernants et gouvernés, avec une attention particulière pour les nouvelles générations, alors que la crise actuelle semble avoir renforcé des défiances déjà observées.
En travaillant sur l’enquête européenne Valeurs qui a été réalisée pour la première fois en 1981, puis renouvelée tous les neuf ou dix ans, les auteurs ont passé ces résultats au filtre des questionnements les plus courants, des formules souvent entendues, des idées reçues sur les jeunes. Qu’en est-il des radicalisations ? de la méfiance envers les responsables politiques ? de la désaffection de la démocratie représentative ? avec en toile de fond l’augmentation de l’abstention comme signe d’un ressenti qui toucherait d’abord des jeunes générations désenchantées. Chapitre après chapitre, ce livre – publié par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports) – déconstruit les clichés et dépeint une jeunesse certes en voie de transformation, mais également « plus agissante, par la construction d’une citoyenneté à la fois plus autonome et plus personnelle ».
La démonstration commence avec une analyse des classes d’âge qui « tendent à se rapprocher, voire à se ressembler, par la convergence de leurs valeurs socio-économiques » (p. 60). Les tendances repérées sont plus imputables à des effets de période qu’à des effets d’âge ou de génération. Phénomène à nouveau pointé (p. 142) : « Nos résultats ne singularisent finalement pas tant que cela les jeunes. Plus précisément, ces phénomènes semblent dépasser largement les frontières de la jeunesse. » Les schémas mis en lumière (selon le niveau d’étude, le positionnement, etc.) montrent plutôt un « renouvellement générationnel » qui risque donc « de perdurer, voire de s’amplifier », c’est-à-dire l’inverse d’un basculement du fait de l’âge, mais plutôt une reproduction des postures et des opinions.
Tout au plus peut-on lire dans ces analyses une propension à voter qui faiblit, avec un vote plus intermittent. « Considérer la montée de l’abstention comme un retrait de la politique est donc impropre. Pour ces [jeunes] citoyens, voter ne suffit plus et sans doute préfèrent-ils utiliser d’autres moyens d’action pour se faire entendre » (p. 163). L’enquête Valeurs confirme une crise du lien politique que les auteurs imputent plutôt à l’offre politique. En ce qui concerne la jeunesse, « il est difficile de les considérer comme désinvestis : ils et elles ont des valeurs, encore faut-il qu’ils et elles puissent avoir les organisations politiques pour les défendre » (p. 187).
La nature européenne de l’enquête Valeurs permet aux auteurs une longue étude du positionnement des jeunes dans leur territoire. Sur un fond commun très intéressant pour les communicants des territoires, l’ouvrage révèle le positionnement sur la question de l’attachement : « Pour l’ensemble des Français, il ressort en premier lieu que l’ordre des préférences est resté en 2018 similaire à celui des précédentes vagues de l’enquête puisque le sentiment d’attachement reste plus affirmé pour l’échelon national (92 % des Français se déclarent très ou assez attachés à la France), leur région (80 %), leur ville ou village (77 %), le monde (71 %) et enfin l’Europe (63 %). » Mais il révèle aussi que les jeunes générations se distinguent par une plus forte adhésion à des identifications postnationales, « définies par le dépassement de l’allégeance exclusive à la nation et l’adoption de nouvelles appartenances hybrides entre le local et le global » (p. 198), ce qui n’implique pas nécessairement un attachement fort à l’échelon européen. Certes, les jeunes Français ont plus confiance dans l’UE que leurs aînés, mais ils semblent se sentir « davantage attachés au monde et concernés par l’humanité » (p. 225). Une soif d’universalisme ?
Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie
Sous la direction de Laurent Lardeux et Vincent Tiberj
La Documentation française
22 mars 2021
235 pages