Pages de com : « La société du sans contact » par François Saltiel
Avant de nous lancer à nouveau dans un grand bain de prédictions sur l’IA, il est fort opportun de remettre la question de la dématérialisation au cœur du débat. Celle qui provoque de grands changements, notamment dans un éloignement volontaire ou non, un repli sur le confort numérique ou une absence douloureuse de contacts humains. C’est en réalité sur ces sujets que la communication publique achoppe et risque de faillir dans ses missions. Le journaliste d’Arte dresse ici un portrait éclaté d’une foule d’acteurs, presque anonymes ou diablement célèbres, rehaussé d’histoires virtuelles vraies, de façon vertigineuse.
On n’en doute pas, les prochains textes que nous lirons, un peu technos, un peu com et un peu prospectivistes, seront truffés d’IA, comme une tragédie grecque est pleine des interventions des dieux et des demi-dieux. On s’y fait à la longue. Et oui, ça va changer le travail. Voilà. Et non, c’est pas très créatif, comme une sorte de perroquet stochastique (ainsi qu’aime à le dire Jean-Gabriel Ganascia). Mais est-ce que, en dehors de la menace sur les emplois intellectuels et administratifs (l’IA ne menace pas les maçons), on y voit une réelle révolution de nature à modifier nos cultures, nos relations ? Pas sûr. Par contre, dans son livre, François Saltiel dresse un portrait d’un monde qui bascule, fortement, vers un autre versant, profondément différent, et ce livre, qui a été écrit au sortir de la pandémie Covid-19, a non seulement été suivi des faits, mais il contient tous les ferments d’une mutation bien plus engagée aujourd’hui.
C’est suffisamment remarquable pour qu’on vous invite à le prendre en main, à poser les accessoires de votre mobiquité, ceux qui vous envahissent tellement plus depuis cinq ans, ceux qui font écrans, qui sont écrans, écran total qui cache de plus en plus notre soleil, nos visages.
Comme un chroniqueur, l’auteur enchaîne de courts portraits, des histoires, des faits divers, c’est un historien du présent, il éclaire, il est impliqué, il témoigne, il cherche des éléments signifiants, quelquefois excessifs, sur les réseaux sociaux, les systèmes de surveillance, le télétravail, la quête d’immortalité, l’amour virtuel et ce jusqu’aux confins du monde libertarien. On rencontre Donald Trump et son mogul d’alors, Peter Thiel, mais aussi Elon Musk, tiens tiens. En fait Saltiel avait les clés de notre monde cinq ans en avance.
Alors c’est une bonne raison pour le lire avec attention : « Cet ouvrage tente de démontrer que les nouveaux maîtres du monde numérique partagent la même vision et dessinent un avenir inquiétant où le contact physique tend à disparaître et le lien social à s'appauvrir. Il ne tient qu'à nous d'essayer de le préserver coûte que coûte. » Voilà la belle feuille de route.
La société du sans contact
Selfie d'un monde en chute
François Saltiel
Flammarion
Septembre 2020
224 pages