Secret de vieux : savoir rester jeune en com publique !
Si un peu de coquetterie, et un rien d’orgueil, m’interdisent souvent de révéler mon âge, je me suis rendu compte que, au regard de l’idée même de billet, il était impossible de faire l’impasse. Vous allez comprendre.
Par Marc Thébault
Donnant de temps en temps quelques cours, il va de soi que la question des « qualités (professionnelles s’entend) à attendre d’un communicant public » revient en boucle. À partir de là, on y va de la liste habituelle : sens de l’organisation, management, maîtrise des marchés publics, sens politique, écoute, créativité, capacité à créer et animer des réseaux, savoir rester en phase avec les évolutions sociétales, capacité à s’adapter aux évolutions techniques et technologiques du secteur, comprendre les acronymes chers au secteur public, supporter les faux experts, etc.
À chaque fois, in petto, j’y vais de mon auto-analyse et je coche, ou pas, virtuellement des cases. Il est évident qu’après 29 ans de carrière (j’ai démarré dans la com publique en 1990 à Issy-les-Moulineaux) je pense pouvoir dire, sans trop me vanter, que je possède certaines de ses qualités, en dehors sans doute de la totale maîtrise des marchés publics. Je dois bien reconnaître que, une fois de plus malgré mon ancienneté, ce point n’est pas dans mon TOP 5 (ni même mon TOP 10) : cela change tout le temps et, somme toute, j’ai des collègues supercalés au service des marchés publics ! Merci à eux.
Et puis récemment, un article de la presse de ma région a dressé un bilan d’une action menée fin février, sous le titre « Caen cause normand », troisième soirée organisée en présence d’environ 1 000 personnes pour mettre en avant les talents locaux et regonfler légèrement l’égo territorial des habitants. Un peu de « pride building » donc. Le bilan est présenté comme positif, alors tout allait déjà pour le mieux !
Mais ce qui m’a frappé, c’est ce passage : « Organiser une 3e séance de promotion de Caen la mer et de ses talents sans tomber dans la redite, l’autocongratulation ou la distribution soporifique de bons points, le pari n’était pas simple pour Caen la mer […] Sur ces aspects, le contrat a été parfaitement rempli […] L’épisode 3, mardi, a convaincu presque 1 000 personnes. Une belle performance. Surtout, l’ensemble a été grandement dynamisé et raccourci… »
Cela m’a fait apparaître quelque chose que je n’avais pas forcément en conscience : cette soirée ne valait que par une réinvention de son cadre. Avec, détail très important, avoir à renoncer à ce qui avait été réalisé avant, notamment la deuxième édition que j’avais préparée.
Or donc, il ne serait pas idiot de compléter la liste esquissée ci-dessus par « capacité à se réinventer ». Car, oui, bien sûr, c’est à l’évidence dans la routine que réside notre principale menace. Et, pour faire bonne mesure, ajoutons le « copier/coller », soit d’une action menée auparavant, soit d’une action – alors ça, c’est plus grave ! – menée par d’autres. S’il peut-être source d’inspiration en décryptant les mécanismes mis en œuvre, le benchmarking vaut principalement pour éviter de plagier, parfois sans vergogne, les formes utilisées.
Vous risquez de devenir votre pire ennemi si vous ne développez pas cette aptitude à vous réinventer tous les jours.
Il y a quelques années, dans un précédent billet titré « Like a virgin, working for the very first time » (en hommage à Madonna mais aussi à Tarantino et l’intro de son exceptionnel « Reservoir Dogs »), je partageais quelques réflexions sur l’angoisse de la rentrée, et notais : « On me demande parfois ce qui est le plus ardu dans le métier de dircom, dircom public de surcroît. […] de mon point de vue […] il reste éternellement ce questionnement, j’allais dire cette obsession : comment être toujours « à la hauteur » ? Attention ! Cette question ne signifie pas qu’il faut s’interroger pour être « le meilleur », mais bien : comment savoir, encore et toujours, se renouveler ? Et, une précision, il ne s’agit pas de se renouveler comme un vulgaire exercice de style, mais bien pour rester en cohérence avec toutes les évolutions qui nous impactent sans relâche.
On pourrait dire aussi : comment conserver une capacité à poser un regard toujours neuf – j’allais dire « vierge », histoire d’expliciter et de justifier le titre de ce billet – tout en s’appuyant pourtant sur l’expérience acquise ? Comment garder un minimum d’enthousiasme malgré l’aspect répétitif de certains dossiers ? Comment apporter des réponses innovantes à des questions récurrentes ? […]
En somme, sortir avec allégresse de sa zone de confort pour oser, une fois encore, se remettre en danger en repartant d’une feuille blanche et fuir comme la peste le syndrome de Pénélope qui, chaque jour, refaisait ce qui avait pourtant été déjà réalisé la veille. […]
Il s’agirait donc, vous l’aviez compris, non pas de vivre chaque jour comme le dernier, mais bien comme le premier. Et d’avoir envie de recommencer… »
Tout cela pour dire que, et en évitant de me plagier moi-même, ce qui serait le comble vu le sujet, si j’ai un conseil à donner à mes jeunes collègues : sachez rester neufs. Ce sera facile au début, vous entamez votre carrière. Certes, restera la tentation de faire comme tout le monde et de s’inspirer un peu trop des idées des autres. Pire pouvant être la tentation de faire « comme avant », comme s’il était inscrit sur de quelconques tables de loi des règles incontournables ; et là, jeunes collègues, il ne faudra jamais éviter de vous payer les quelques anciennes ou anciens qui voudraient vous contraindre à suivre les sentiers désormais surpeuplés. Mais une fois ces écueils évités, sachez que vous risquez de devenir votre pire ennemi si vous ne développez pas cette aptitude à vous réinventer tous les jours.
J’évoquais mon âge au début de ce billet et je me rends compte que je n’ai pas tenu ma promesse, celui de le dévoiler. OK. J’ai un peu plus de 60 ans. Je pense avoir réussi quelques trucs dans ma vie professionnelle (et côté perso aussi, je vous rassure). Notamment de gagner le plus souvent possible, malgré quelques échecs, certains combats contre moi-même. Et si, pas blasé, je suis toujours comblé devant de la reconnaissance du travail accompli, j’avoue bien volontiers que, me faire crédit de ma capacité à éviter les mauvais remakes, c’est bien cela qui me touche le plus et qui me faire croire que, pour de vrai, je n’ai à peine qu’une petite trentaine d’années. Pourvu que ça dure ! Au moins jusqu’à la retraite. Quitte à refaire des erreurs de… jeunesse !
Illustration : https://fredjourdain.com