« Simple » ou « basique » : les élections présidentielles de 2022 et de 2027 sont-elles jouées d’avance ?
De l’avis quasi unanime de nombreux communicants politiques et commentateurs de la vie publique, la prochaine élection présidentielle – dans un mois exactement – ne pourra échapper à Emmanuel Macron. C’est une constante : chaque scrutin présidentiel voit deux tendances prédictives s’affronter. La première consiste à penser que tout est joué avant le vote : simple ! La seconde considère que rien ne se passe jamais comme prévu : basique !
Par Vincent Lalire, responsable de la communication interne du département de la Seine-Maritime.
Dans le premier cas, les rapports de forces politiques, à quelques semaines du scrutin, rendraient le match plié d’avance : simple ! Dans le second cas, le gagnant désigné par les sondages rencontrerait inévitablement, au dernier moment, un obstacle (politique, judiciaire…) de nature à contrecarrer ses ambitions : basique !
Un retour express sur les élections présidentielles de la Ve République entérine chaque doctrine, même si la tendance « waouh » (surprise du résultat final) semble l’emporter. Commençons donc par celle-ci, de façon antéchronologique.
Basique
2017 : François Fillon devait forcément accéder à l’Élysée à l’issue de son triomphe dans la primaire de la droite et du centre. Les révélations du Canard enchaîné sur les « activités » parlementaires de son épouse et l’origine de ses costumes modifièrent aussitôt le destin du prétendant. « Qui imaginerait le général de Gaulle mis en examen ? », avait prédit l’intéressé lui-même. On connaît la suite. « Parce que c’est mon PROJET » permit au jeune Emmanuel Macron de marcher jusqu’au palais de l’Élysée et de remplacer son mentor d’alors, François Hollande, qui ne se représentait pas. Basique.
2012 : Il était écrit que Dominique Strauss-Kahn, éminent patron du FMI, considéré comme l’un des hommes les plus puissants du monde, deviendrait, après le quinquennat Nicolas Sarkozy, le nouveau président de la République. Mais la révélation sur les pulsions sexuelles du candidat socialiste et le scandale planétaire du Sofitel à New York en décidèrent autrement. François Hollande, opportunément autoproclamé « ennemi de la finance », ramassa la mise et gagna l’élection contre le président sortant. Basique.
2002 : Lionel Jospin, conforté par une cohabitation couronnée de succès sur le plan économique et une gauche plurielle de gouvernement (particulièrement) unie (tiens, tiens) devait forcément battre Jacques Chirac, lequel ne s’était jamais remis de la dissolution désastreuse de 1997. Mais ce dernier se succéda finalement à lui-même (avec 82% des voix) en raison de la dispersion des voix de la gauche (Taubira, Chevènement notamment) et le séisme que provoqua la présence inattendue de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. « Face à la haine, il n’y a pas de débat possible », déclara Jacques Chirac. Il rempila. Basique.
1995 : Tous les sondages convergeaient pour dire qu’Édouard Balladur, Premier ministre au sommet de sa gloire et chouchou incontesté des médias, succéderait à François Mitterrand, achevant dans la maladie sa seconde cohabitation. Mais « son ami de trente ans », Jacques Chirac, dopé par une dizaine de poignards dans le dos et un célébrissime « Mangez des pommes » (merci aux Guignols de l’info), renvoya le Premier ministre à ses pénates. « Je vous demande de vous arrêter », admonesta Édouard Balladur à ses troupes à l’issue du premier tour perdu. Jacques Chirac, lui, ne s’arrêta pas, et fut élu au second tour contre Lionel Jospin. Basique.
1981 : Valéry Giscard d’Estaing, candidat à sa succession, se croyait imbattable. Il n’était pas le seul. Certes, les municipales de 1977 avaient vu une flopée de maires de gauche gagner de grandes villes. Mais de là à ce que François Mitterrand, « l’homme du passé », puisse accéder à l’Élysée, il y avait un monde. Qui voudrait voir les chars russes sur les Champs-Élysées, entendait-on alors ? Mais VGE, « l’homme du passif », dut pourtant se résoudre à prononcer son célèbre « Au revoir » alors que François Mitterrand, une rose à la main, franchissait le seuil du Panthéon pour célébrer son apothéose. Basique.
1965 : De Gaulle en ballottage ! Ce n’est certes pas une défaite mais néanmoins une énorme surprise pour la toute première élection du président de la République au suffrage universel direct. Trois ans plus tôt, la très large victoire du oui (62 %) au référendum sur le changement de mode de scrutin ouvrait pourtant un boulevard au Général. C’était ignorer l’impact du marketing politique, dont Jean Lecanuet importa les codes des États-Unis. Son sourire aux dents blanches fit date. Additionné à la pugnacité d’un François Mitterrand, tous deux eurent raison de l’élection au premier tour du père de la Constitution de 58, un comble. Basique.
Simple
Voilà pour la tendance « waouh » de quelques scrutins présidentiels. Passons maintenant au côté moins spectaculaire. Il n’est pas rare que les résultats présumés d’une élection se traduisent effectivement dans les urnes. Mais, rassurez-vous, une série sans rebondissement peut rester une bonne série. Illustrations antéchronologiques.
2007 : À en croire tous les instituts de sondage de l’époque, cette élection présidentielle ne pouvait échapper à Nicolas Sarkozy. Force est de constater que l’omniprésent ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac et si médiatique « premier flic de France » fut largement élu contre une Ségolène Royal certes combative mais dont la « bravitude » à gravir la grande muraille de l’Élysée ne fut pas suffisante. « Travailler plus pour gagner plus », ça paye ! Simple.
1988 : François Mitterrand, bien que gravement malade mais revigoré par une cohabitation dont il tira habilement toutes les ficelles, devait être réélu selon les sondages. La « génération Mitterrand » imaginée par le publicitaire Jacques Séguéla fit son office. À l’issue d’un débat mémorable l’opposant « les yeux dans les yeux » à son Premier ministre Jacques Chirac, il emporta effectivement l’élection haut la main. Il restera, pour l’histoire, le seul président à réaliser deux septennats consécutifs. Sacré Tonton. Simple.
1974 : L’arrivée du fringant Valéry Giscard d’Estaing – élégant skieur, tennisman émérite, et accordéoniste patenté – marque clairement une rupture de style dans le pouvoir gaulliste tel qu’on le connaissait. Son élection n’était certes pas acquise. Dans son propre camp, l’inventeur de « la nouvelle société » Jacques Chaban-Delmas nourrissait aussi de sérieuses ambitions. Mais rapidement la communication moderne du futur locataire de l’Élysée ringardise ses concurrents à droite comme à gauche, et notamment François Mitterrand, qui apprit à ses dépens « qu’il n’avait pas le monopole du cœur » lors d’un débat télévisé d'anthologie. « Giscard à la barre », disait le slogan. Il le fut ! Simple.
1969 : Dauphin désigné du général de Gaulle, Georges Pompidou ambitionnait de succéder au créateur de la Ve République. Mais pas si tôt ! Élu trois ans plus tôt, le général fut contraint à la démission (de son propre chef) suite à l’échec de son référendum sur les régions et la réforme du Sénat. La France à gauche ? Pas encore… Si les événements de 68 ont singulièrement bousculé la société française – « Sous les pavés la plage » –, l’électorat reste majoritairement du côté de son chef historique – « La réforme, oui, la chienlit, non ! ». Pompidou est élu. Simple.
Basique ou simple ?
Voilà pour le bilan historique ! Mais dans quelle catégorie ranger les présidentielles de 2022 et 2027 ? Simple : tout est joué d’avance ? Ou basique : rien ne se passera comme prévu ? S’il est aisé de revisiter l’histoire, le terrain devient beaucoup plus glissant lorsqu’il s’agit d’évoquer le futur. Mais ne dit-on pas que « celui qui ne risque rien ne perd ni ne gagne » ?
2022 : À quatre semaines du scrutin, peu d’observateurs avisés ne se risqueraient à parier sur une défaite d’Emmanuel Macron, n’en déplaise à ses opposants. La division de l’extrême droite, les ambiguïtés de la droite républicaine, l’atomisation de la gauche, la guerre en Ukraine (le fameux effet drapeau), la crise sanitaire et le socle resté haut de ses fidèles rendent la réélection du président sortant plus que probable. SIMPLE, donc. Le suspens reste entier en revanche sur celui ou celle qui l’affrontera au second tour. Et si, par un incroyable retournement de situation, l’un d’entre eux devait finalement l’emporter, nous pourrions dire, à l’instar d’Oscar Wilde, que « l’incertitude est l’essence même de la vie amoureuse ». Cela vaut aussi pour la relation entre le chef de l’État et les Français.
2027 : Rarement un ex-Premier ministre fut donné, si longtemps à l’avance, grand favori d’une élection suprême par les commentateurs politiques. Il faut dire qu’Édouard Philippe caracole en tête de tous les baromètres d’opinion depuis son départ de Matignon en 2020. Personnalité politique préférée des Français, le maire du Havre récolte notamment les fruits de sa loyauté envers celui qui l’a nommé (ce n’est pas si fréquent) et de sa bonne gestion de la crise sanitaire et de celle des gilets jaunes. Édouard Philippe (ex-LR) présume que « la République en marche » ne survivra sûrement pas à son inventeur et compte bien opérer une OPA sur son électorat. Mais cinq ans, c’est long ! La gauche peut se reconstruire et les Français aspirer à une véritable alternance après dix ans de macronisme. Le président d'Horizon – son nouveau parti – est suffisamment fin politique et habile stratège pour savoir que la ligne du même nom ne cesse de s’éloigner plus on s’en approche ! BASIQUE. Rendez-vous donc en 2027…
Aux lecteurs et lectrices qui seraient en profond désaccord avec cette longue analyse rétrospective et prédictive, je dis : Il est une chose simple ET basique pour la contredire et faire vivre encore longtemps notre précieuse démocratie : Aller voter !