Télétravail : pourquoi on n’en veut plus… comme ça
Avec une marraine aussi puissante que la pandémie de covid-19, on pensait que le télétravail avait trouvé avec le confinement de mars 2020 un tremplin historique pour accélérer son développement. Un an plus tard, la dynamique est enrayée. Cet épisode historique, au-delà de la réduction des déplacements, a montré les limites du travail à distance et cette organisation nouvelle va devoir être repensée pour convaincre agents et managers.
Par Yann-Yves Biffe.
Le gouvernement met la pression pour faire télétravailler au maximum les salariés et les préfectures sont invitées à faire adhérer les collectivités locales. Pourtant, la consigne peine à trouver de l’écho. Ces dernières arguent que la continuité du service public impose une présence face au public et des services supports pour assurer cette présence. D’autres font état que les consignes nationales, visant à éviter les regroupements dans les transports en commun, ne sont pas justifiées pour des agents qui se déplacent en voiture personnelle et travaillent en bureau individuel.
Au-delà de ces explications conjoncturelles, alors qu’on pensait que le premier confinement allait faire basculer les organisations vers un télétravail renforcé, il s’avère que l’organisation du travail à distance perd plutôt du terrain en ce début d’année 2021.
Ça donne à constater que le télétravail est en recul depuis le premier confinement
Ainsi, selon l’étude Malakoff Humanis, 61 % des salariés déclaraient en décembre 2020 travailler à temps complet sur site alors qu’ils étaient 51 % en juin, et moins d’un tiers entre avril et mai 2020 pendant le premier confinement.
Le télétravail à 100 % a également perdu du terrain : il concernait 45 % des télétravailleurs fin 2020 contre 52 % en mai.
Les perspectives futures vont dans le même sens : l’idée que le télétravail puisse devenir obligatoire quelques jours par semaine en 2021, hypothèse qui avait été avancée par les partenaires sociaux au moment du lancement de la concertation sur le télétravail qui a abouti, le 26 novembre, à la conclusion d’un Accord national interprofessionnel sur le télétravail (ANI), inquiète un tiers des salariés interrogés (30 %) et 35 % des managers.
Et 25 % des managers déclarent aujourd’hui être défavorables au télétravail, opinion en forte progression avec un taux de 18 % en 2019.
Il apparaît donc que ni les agents ni le management n’aspirent franchement à renforcer le travail à distance.
Ça donne à évaluer que les salariés sont attachés aux échanges sur site
Si le fait de travailler de chez soi recèle des avantages intéressants, en particulier relatifs aux déplacements, être au bureau en même temps que ses collègues semble plus séduisant.
56 % des télétravailleurs se sentent plus engagés lorsqu’ils travaillent sur site, et 61 % ont le sentiment d’être plus efficaces dans leur travail d’équipe.
L’entreprise est vécue comme un lieu d’échange, d’apprentissage et de développement. 59 % des salariés (77 % pour les 18-24 ans) disent aller au bureau d’abord pour partager un moment de convivialité avec leurs collègues et rencontrer les membres de leur équipe (44 %).
C’est notamment ce lien social qui a manqué aux 26 % de télétravailleurs qui estiment que le télétravail a eu un impact sur leur santé psychologique (vs 12 % en 2019).
Salariés et dirigeants (64 % et 54 %) s’accordent également à dire que le télétravail risque de créer de nouvelles fractures au sein d’une entreprise entre ceux qui peuvent télétravailler et ceux dont les fonctions ne le permettent pas.
Ça donne à valider que les managers sont usés par le télétravail forcé
La part des managers favorables au télétravail a baissé : 50 % fin 2020, contre 55 % fin 2018. Ils sont également plus nombreux à déclarer rencontrer des difficultés lors de la mise en place du télétravail, passant de 18 % fin 2018 à 40 % fin 2020 (+ 22 points). L’expérience de la mise en place forcée du télétravail en mode confinement a laissé des séquelles.
86 % des managers déclarent que cette pratique leur impose de maintenir les liens collectifs pour éviter l’isolement, et 43 % déclarent avoir eu des difficultés à gérer la fragilité de certains salariés. Seul un tiers (32 %) déclare avoir bénéficié d'un accompagnement dans la mise en œuvre du télétravail. Ils sont également moins nombreux à avoir mis en place des formations pour leurs collaborateurs (28 % vs 37 % en 2019), sans doute freinés par la difficulté de réunir les collègues en groupes. Plus de la moitié (55 %) déclare cependant avoir veillé à ce que les collaborateurs en télétravail soient sensibilisés à l’utilisation et aux bonnes pratiques des outils collaboratifs. Ce que confirment 39 % des télétravailleurs interrogés (formation, sensibilisation aux risques, maîtrise des outils de travail à distance, bonnes pratiques…).
Parmi les nombreuses adaptations qu’impose le télétravail, celles qui leur semblent les plus difficiles à mettre en place sont :
- de faire évoluer les postures managériales dans l’entreprise (33 %) ;
- de repenser le maintien des liens collectifs pour éviter l’isolement et maintenir l’esprit d’équipe (31 %) ;
- de faire évoluer en profondeur les modalités d’organisation du travail dans l’entreprise (30 %).
Malgré ces difficultés, les managers reconnaissent toujours au télétravail les bénéfices suivants : une plus grande autonomie (51 %), une diminution des absences (35 %) et une meilleure satisfaction des salariés (33 %).
Ça donne à penser que le télétravail doit être conjugué avec le présentiel
La satisfaction vis-à-vis du télétravail a baissé, mais demeure élevée. Alors qu’elle affichait une note de 8/10 fin 2019, elle est tombée à 6,9/10 en avril 2020, lors du premier confinement, pour remonter à 7,2/10 en décembre 2020.
Seuls 14 % des télétravailleurs disent ne plus souhaiter télétravailler après la crise sanitaire. Et une grande majorité de dirigeants (67 %) se déclare favorable à la mise en place du télétravail dans leur entreprise. 43 % déclarent par ailleurs le pratiquer de manière régulière ou occasionnelle.
Le télétravail en lui-même ne semble pas devoir être abandonné, mais plutôt aménagé, organisé en amont pour être une expérience positive et pour l’encadrement, et pour l’agent.
La très grande majorité (86 %) des télétravailleurs souhaite ainsi poursuivre le télétravail. Ils déclarent ainsi être moins fatigués (72 %), plus autonomes et davantage responsabilisés (69 %). 75 % des salariés et 66 % des dirigeants pensent ainsi que le télétravail va continuer à se développer. Mais il faudra doser cette forme de travail et l’articuler avec le présentiel. Le 100 % télétravail n’est pas un objectif en soi. Ainsi, pour les salariés, le nombre idéal de jours de télétravail par semaine s’établit à 2 jours, contre 1,4 jour en novembre 2019.
Ces deux jours, pour être optimisés, doivent être consacrés à des tâches spécifiques. Seuls 15 % des salariés estiment pouvoir faire la totalité de leurs tâches à distance. 74 % des télétravailleurs privilégient le travail à distance pour rédiger. Plus de la moitié des télétravailleurs déclare être plus concentrée en télétravail et pouvoir mieux organiser son temps de travail. À l’inverse, ils préfèrent animer une réunion sur site (74 %) ou être au bureau s’ils ont des difficultés à résoudre (73 %). La dimension des échanges physiques est centrale dans l’attrait pour le travail sur le site de l’entreprise, où les salariés veulent retrouver des espaces de convivialité (46 %) et des espaces où l’on sent faire partie d’un collectif (32 %).
En conclusion, précisons que le télétravail reste une valeur d’avenir qu’il faudra décorréler de la situation sanitaire. Il est appelé à progresser mais dans une concertation où agents et managers trouveront leur intérêt dans une alternance entre phases de réflexion et moments d’échanges, les premiers à distance et les seconds dans la même pièce… dans le respect des gestes barrières et si possible sans covid-19 ou 21 !
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