Un regard réconfortant sur le service public
Remise en question de la dépense publique, du nombre et de l’utilité des fonctionnaires, les communicants publics doivent composer avec ces débats dans leur travail de valorisation du service public et de ses agents. Lors des 11e Rencontres de la communication interne, l’économiste Christophe Ramaux est venu déconstruire quelques idées reçues. Rapide leçon d’économie pour un petit argumentaire utile.
Il y a le débat incessant sur le déficit public dont chaque agent finit par se sentir responsable. Il y a les controverses sur le nombre des fonctionnaires - 500 000 de trop pour certains, 120 000 pour d’autres - les annonces de non-remplacement des départs à la retraite ou de plans de départs volontaires. Il y a les polémiques sur le statut et les avantages de la fonction publique, temps de travail, absences, retraites… Il y a aussi une remise en cause assez générale du service public, de son efficacité, de son utilité. Ces débats, et les réformes auxquels ils conduisent, troublent les agents qui s’interrogent sur le sens, l’utilité et la reconnaissance de leur travail. Des valeurs sur lesquelles travaillent au quotidien les communicants publics, notamment dans leur mission de communication interne. Premiers témoins de cette perte de repères, ils doivent composer avec ce discours largement porté sur le fonctionnaire bashing.
Et dans le même temps, les réformes institutionnelles demandent aux agents un grand effort d’adaptation. Regroupements et mutualisations transforment les organisations et les métiers au sein des collectivités locales : avec l’intercommunalité, mais aussi avec le regroupement des universités, des CCI et actuellement des organismes d’habitat.
Lors des 11e Rencontres de la communication interne, Christophe Ramaux, maître de conférence en économie et chercheur à l'université Paris-Sorbonne, est venu apporter un point de vue plus rassurant sur le service public. Celui d’un économiste, membre du collectif « les économistes atterrés », qui défend une fonction publique génératrice de richesse et indispensable à la cohésion sociale. Il s’attache à déconstruire un discours parfois simpliste sur la dépense publique et les fonctionnaires. Une déconstruction préalable nécessaire à l’amélioration de la qualité du service public. Avec lui, balayons 6 idées reçues autour de la fonction publique et de ses agents.
La place du secteur public serait trop importante
En 2016, la dépense publique représentait 1 257 milliards d’euros, soit l’équivalent de 56 % du PIB. Un pourcentage sans arrêt agité pour fustiger le coût des services publics mais qu’il faut prendre avec précaution, selon Christophe Ramaux : « Même les économistes parfois les plus favorables au service public ont tendance à être gênés sur le chiffre et l’idée qu’il ne reste plus que 44 % pour le privé. Ce n’est pas du tout infondé de rapporter la dépense publique au PIB : cela permet notamment de faire des comparaisons au niveau international. En revanche, ce qui est totalement erroné, c’est de laisser entendre que cette dépense publique est une part du PIB. Ce n’est pas le cas. Si l’on fait le même calcul pour les dépenses du secteur privé - les ménages et les entreprises, sans même prendre en compte les sociétés financières - la dépense privée représente plus de 200 % du PIB ! La dépense publique pourrait dont parfaitement être à 60 ou 70 % du PIB, le montant de la dépense privée n’en serait pas affectée ».
Les services publics coûteraient trop cher
On oublie trop souvent que les services publics ne sont qu’une petite partie de la dépense publique. Celle-ci comporte en effet deux principaux volets. Premier volet : les services publics non marchands. Il s’agit à la fois des services publics consommés individuellement comme l’éducation ou la santé, et les services collectifs (armée, police, justice, équipement collectifs).
Second volet : les prestations sociales. Elles se décomposent en deux parties : les transferts sociaux en nature de produits marchands, c’est à dire des dépenses faites par les ménages mais remboursées comme les médicaments, les consultations libérales ou les allocations logement ; les prestations sociales en espèces comme le RSA, les allocations chômage ou familiales et surtout les retraites.
Or les services publics - le premier volet - ne représentent que 366 milliards d’euros sur les 1 257 milliards d’euros de dépense publique. Conclusion : le coût de fonctionnement des services publics compte pour moins d’un tiers de la dépense publique alors que les prestations sociales (574 milliards) en représentent près de la moitié.
« La plus grande part de la dépense publique, fait remarquer Christophe Ramaux, est donc prélevée pour être immédiatement redistribuée aux ménages sous forme de prestations sociales (retraite, allocation familiale, etc.). Des ménages qui dépensent ensuite ces sommes principalement auprès du privé ».
Le fonctionnaire ne serait pas productif
Depuis 1968, les règles de comptabilité internationales imposent de prendre en compte dans le calcul du PIB la production de la fonction publique, au même titre que celle du secteur des services et de l’industrie. En 2016, la production générée par la fonction publique a ainsi augmenté le PIB de 366 milliards.
« On est tous dans le même bateau, on produit tous de la valeur monétaire, rappelle Christophe Ramaux, certains produisent des produits marchands qui sont vendus par les entreprises privées ou publiques (Sncf, Edf…), d’autres produisent des services publics non marchands. La différence est dans la manière de payer le service. Lorsque vous entrez dans une boulangerie vous payez votre croissant et vous jugez que c’est normal, vous ne dites pas « heureusement que je suis là pour financer la boulangerie ». Quand vous entrez dans un lycée, un hôpital, quand vous roulez sur une route ou marchez sur un trottoir, vous ne payez pas. C’est payé par l’impôt. C’est simplement un prix socialisé. »
On vivrait dans une économie de marché freinée par la dépense publique
« On vit dans des économies mixtes dans lesquelles il y a du privé et du public. La valeur ajoutée brute du secteur public représente 30 % de celle des entreprises non financières, cela semble peu, mais c’est pourtant loin d’être négligeable », précise Christophe Ramaux. « De plus le secteur public joue aussi un rôle majeur au niveau de la demande ». La moitié de la consommation globale est soutenue indirectement ou indirectement par le service public. L’investissement public joue aussi un rôle fondamental notamment pour la productivité de l’économie.
La dépense publique ne servirait pas vraiment à réduire les inégalités sociales
Les inégalités de revenus entre les 20 % des Français les plus pauvres et les 20 % les plus riches avoisinent 1 à 8. La redistribution par l’impôt et les prestations en espèces réduit ce différentiel à 1 à 5. Mais il faut aussi tenir compte de la consommation de services publics individuels (santé, éducation). Pour les 20 % les plus pauvres, la consommation de ces services publics individuels augmentent leur revenu (salaire et revenu fonciers – impôts + prestations en espèces) de 75 % alors que pour les 20 % les plus riches elle n’augmente leur revenu que de 14 %. La consommation de services publics permet de ramener le différentiel à 1 à 3. « Le rôle des services publics individuels dans la réduction des inégalités est essentiel », constate Christophe Ramaux.
Les fonctionnaires coûteraient cher
Le coût des fonctionnaires est régulièrement vilipendé dans les médias. « Pourtant globalement les fonctionnaires ne sont plutôt pas très bien payés en France. Un professeur des écoles après 10 ans d’ancienneté gagne deux fois plus en Allemagne qu’en France et 70 % de plus aux États-Unis », précise Christophe Ramaux. Les agents de catégorie C, nombreux dans la fonction territoriale, sont très légèrement mieux payés (une dizaine d’euros par mois) que les ouvriers et employés de même niveau dans le privé. Par contre les cadres sont beaucoup moins bien payés que dans le privé (environ 1000 euros par mois). Globalement le coût salarial est moins élevé dans le public que dans le privé.
« Et quand on transfère au privé des services publics, ça coûte généralement plus cher. Le Royaume-Uni l’a constaté pour avoir multiplié les partenariats Public-Privé afin de limiter la dette publique. Car le privé s’endette à 3% ou 5 %, là où le public peut le faire à moins de 2 %. Ensuite la société privée doit payer ses actionnaires. Et pour finir la complexité des montages, qui nécessitent de faire appel à des experts, est à prendre en compte. Résultat : le Royaume-Uni vient de décider d’arrêter les partenariats Public-Privé ».
Poser les conditions propices à l’amélioration du service public
Loin de se voiler la face sur les difficultés propres au service public, regarder ainsi les choses sous un angle différent, c’est poser les conditions de l’amélioration du service public. « Bien sûr, le public peut parfois être synonyme de dysfonctionnements, avec des agents qui manquent de motivation. Mais on ne peut pas remobiliser les agents et améliorer les services publics, ce qui est bien entendu nécessaire pour tout le monde, en stigmatisant les fonctionnaires, en les pointant du doigt. Il faut d’abord leur dire ‘’vous êtes très utile à la société’’ ». En somme, la feuille de route quotidienne des communicants publics auxquels un tel regard devrait redonner de l’ardeur !
Illustration principale : Flickr Jeanne Menjoulet