Une plus grande coopération entre communicants européens
Les relations entre les institutions et tous les émetteurs publics de communication, pour lutter contre des infox, étaient au centre des débats lors de la réunion plénière du Club de Venise, regroupant les communicants des gouvernements européens, les 5 et 6 décembre 2024, en Italie. À cette occasion, Cap’Com, membre associé du Club, a posé quelques questions au secrétaire général de cette organisation, Vincenzo Le Voci.
Point commun : Lors de cette plénière au Palazzo Franchetti à Venise, il y a eu deux grands thèmes. En premier lieu, on a entendu parler de la lutte contre les infox. Ou préférez-vous parler de manipulations ?
Vincenzo Le Voci : De manipulations, mais également de mésinformation et désinformation. Mais fondamentalement, ce sont les menaces qui sont en train de se développer toujours plus et toujours plus rapidement dans la société d'aujourd'hui, vers les jeunes générations, vers les administrations, vers la vie quotidienne des citoyens. Parce que l'on triche avec les informations. Avec l’objectif de donner l'impression de vivre dans un monde qui n'est pas celui que l’on croyait. Il y a des acteurs, de mauvais acteurs je dirais, qui sont en train de décrire un monde qui est complètement différent de la réalité pour obtenir, en réaction, de la défiance, des mouvements d’opinion négatifs, du chaos et de la perte de repères collectifs.
Point commun : Ce monde différent, c'est aussi celui de l'intelligence artificielle, et c’est le second sujet dont vous avez parlé ce matin.
Vincenzo Le Voci : Tout à fait, l'intelligence artificielle est perçue de plus en plus de façon ambivalente, c'est-à-dire :
- d'un côté comme une perspective énorme, surtout pour les gens qu'on appelle des « Millenium Digitals », pour développer vraiment certaines compétences, certaines capacités que les anciennes générations n'ont pas eu le temps d’intégrer ;
- mais de l'autre côté, il y a des craintes énormes parce que l'intelligence artificielle est déjà en train d'être mal exploitée par ce que l'on appelle des « acteurs malicieux » pour créer des désastres dans la société.
Point commun : Et là on rejoint le thème d'hier, celui des intoxications de masse.
Vincenzo Le Voci : Tout à fait, et de façon très pratique, nous nous sommes focalisés sur deux thèmes essentiels, les applications vis-à-vis de la santé publique et les craintes au niveau du changement climatique. Parce que la désinformation, avec toujours en corollaire les effets de mésinformation, peut avoir dans ces domaines des effets catastrophiques. Donc, là, il faut faire vraiment un effort de coopération pour mettre ensemble les plateformes de façon qu’elles puissent être dotées d'une certaine confiance générale. Ça, c'était le thème de plusieurs présentations, justement. On ne peut pas y revenir dans le détail, elles ont été nombreuses et très fournies.
Point commun : Qui sont les gens qui interviennent lors de cette plénière ?
Vincenzo Le Voci : Nous appelons toujours majoritairement deux sortes de profils. D'un côté, les gouvernants, les gens qui sont responsables de la communication, donc à l'intérieur des gouvernements centraux et des ministères des Affaires étrangères et européennes, parce que l'agenda européen est toujours prédominant.
Les scientifiques ont besoin des communicants pour mieux canaliser le message et, de l'autre côté, les communicants ont besoin d'acquérir cette confiance.
Mais d'un autre côté, il y a un rapprochement continu, accru, avec la communauté scientifique. C’est une nécessité, avec un bénéfice potentiel mutuel, parce que les scientifiques ont besoin des communicants pour mieux canaliser le message et, de l'autre côté, les communicants ont besoin d'acquérir cette confiance et ils peuvent l'acquérir uniquement quand ils fondent leurs messages sur des faits concrets et qui ne puissent pas être mis en discussion.
Point commun : Vous étiez très nombreux pour cette plénière, plus que d'habitude ?
Vincenzo Le Voci : Oui, en effet, nous avons peut-être atteint le record de présence, près de 110 participants, de certainement plus de 22 ou 23 pays différents, et en plus avec toutes les institutions européennes, avec même le Comité des régions qui est venu nous parler d'une conférence, Europcom, qui a eu lieu un jour avant.
Donc il y a vraiment un effort conjoint, une mobilisation, et en plus avec une belle présence aussi des collègues des pays qui négocient leur entrée dans l'Union européenne. Ce fut une édition réussie du point de vue des profils présents (et on avait une quinzaine de personnes qui étaient connectées en ligne) avec un haut pourcentage de pays et d'acteurs représentés.
Point commun : Ce fut effectivement très intéressant, mais malheureusement nous ne publierons pas ces contenus parce que vous travaillez selon les règles de « Chatham House ». Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus et pourquoi vous les utilisez ?
Vincenzo Le Voci : Nous parlons ici dans le cadre d'un réseau informel, ce qui permet un échange de vues, avec des points de vue plus personnels. Donc, on entre dans un côté concret, avec des débats, des échanges professionnels entre individus, alors qu'en fait, ces personnes représentent par ailleurs les positions de leur gouvernement. S'il s'agissait uniquement de partager ces positions officielles, alors on pourrait répercuter cela hors les murs de la plénière, dans les médias, sur les réseaux. Mais lorsqu'on exprime des positions personnelles, il faut faire attention. Si l'on ne parle pas au nom d'une organisation, il faut assumer sa propre responsabilité, et nos participants ne peuvent le faire que dans une certaine confidentialité. Alors, les « Chatham's Rules » protègent ce mécanisme et permettent un travail d’intelligence collective sans mettre en mauvaise posture les participants. Il faut surtout veiller au résultat de cet échange, de cette interaction, ici à Venise. On peut rentrer demain dans nos organisations respectives et essayer de mettre en œuvre certains principes et certaines propositions qui ont été partagées et discutées ici, mais, naturellement, en prenant ses propres responsabilités.
Une vision large au service de la communication publique
Le Club de Venise se réunit en plénière à Venise, depuis trente-huit ans, car il a le même âge que Cap’Com. Son objectif est de regrouper des communicants des gouvernements européens. Mais depuis le conseil de Nice en 2000 (qui planifiait la future intégration de nouveaux pays dans l'Union européenne), le Club a commencé à accueillir les pays qui négociaient leur entrée dans l'Union européenne. Et en plus, malgré le Brexit du Royaume-Uni en 2016, ce pays est encore « à bord » parce que le Club agit dans un cadre informel. Cela lui permet de voir plus large, avec d'autres acteurs. Sans oublier que les institutions sont avec le Club : les institutions européennes et les organes européens.