Veiller à l’égalité des sexes dans nos médias
Les nombreux débats récents sur l’écriture inclusive remettent en exergue la question plus globale de l’usage du genre dans les supports d'information. Denis Ruellan, professeur au Celsa (Sorbonne Université) dans les départements Ressources humaines et Médias et intervenant des prochaines Rencontres de la presse et des médias territoriaux, nous livre son regard de sociologue sur le traitement des genres dans les médias qu’il considère comme un moyen de réaliser l’égalité.
Image d'illustration tirée de la campagne de communication interne menée par Villeurbanne à l'occasion de la signature en 2015 par la ville de la Charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale. Source : egalitefemmeshommes.villeurbanne.fr
Créer les conditions d’un comportement libre des individus
Pour Denis Ruellan, l'attention au genre dans l'écriture des médias est un moyen de créer les conditions d’un comportement libre des individus. « Lors d’une intervention récente sur France Inter, la comédienne Sylvie Testud a parlé de la liberté de ne pas avoir à se poser la question de savoir si le fait d’être tel ou tel individu, d’être un homme ou une femme, rentre en compte. Il faut construire quotidiennement cette liberté de ne pas se poser la question de la légitimité relative au genre. Les enjeux de la langue sont là. La langue est un des espaces par lequel on peut faire en sorte que l’égalité soit plus réelle demain qu’hier. »
La langue est un des espaces par lequel on peut faire en sorte que l’égalité soit plus réelle demain qu’hier.
Témoigner de l’attention que l’on porte à tous les individus
« Il faut construire quotidiennement cette égalité par l’attention que l’on met dans le fait qu’on prend en compte la diversité dans sa manière de s'exprimer. » Pour le sociologue, les représentations ne sont pas neutres et abîment les autres efforts qui sont fait. «C’est en soi un problème de communication, si on ne considère pas l’ensemble des individus. Cela montre qu’on a clairement envie de signifier qu’on veut exclure une partie des individus. Ça construit l’idée que certains individus sont moins concernés. Faire attention au genre dans la langue, c’est une façon de réaliser l’égalité et de signifier ses intentions politiques, de dire "je suis attentif à ça" ».
L’écriture inclusive : un moyen de réaliser l’égalité
Pour le sociologue, « l'affirmation au fronton de nos institutions n’est pas suffisant. Il faut continuer à débattre sur les moyens. L’écriture inclusive est un moyen par lequel on réalise ce qu’on a la prétention de faire. Elle s’inscrit dans un débat social qui ne fait pas de l’égalité une question mais qui discute des modalités de la réalisation de cette évidence. L’enjeu de l’écriture inclusive : que la question du genre ne soit pas constamment mis sous le nez des individus. »
L'écriture inclusive s’inscrit dans un débat social qui ne fait pas de l’égalité une question mais qui discute des modalités de la réalisation de cette évidence.
L’écriture inclusive peut rentrer simplement dans les usages
Beaucoup reprochent à l’écriture inclusive sa complexité. Pour le sociologue elle est assez simple à mettre en place. « Il y a tout un tas de façon de faire qui peuvent rentrer dans les usages sans que ce soit central. Je prône la simplicité des choses : si le point médian est trop compliqué à utiliser, privilégions les termes épicènes, la féminisation des métiers ou la règle de proximité de l'accord ». Une règle qui existait autrefois et a été abrogée volontairement par les hommes.
Attention au discours autour de l’exceptionnalité
Au-delà de la langue, la manière dont est traitée l’information joue également un rôle fondamental. L’inclusion de tous les individus doit se faire de manière naturelle pour le sociologue. Il souligne l’importance de faire attention à l’usage de l’exemple : « souligner "l’exceptionnalité" de ce que font les femmes, c’est un discours qui a pu permettre de faire reculer l’idée que les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes capacités. Une idée qui n’est plus d’actualité. Ce discours est désormais dangereux car il tend à focaliser sur une personne en faisant croire qu’elle y arrive même si elle est une femme. Une femme mais avec des capacités exceptionnelles, une femme pas comme les autres. C’est un problème parce que ça sous-entend que les femmes « normales » ne peuvent pas faire ça. Malheureusement la presse locale est souvent piégée par la nécessité de valoriser un exemple. Elle produit des stéréotypes de genre défavorables aux femmes en prenant des figures et en les présentant comme des personnes exceptionnelles. »
Souligner "l’exceptionnalité" de ce que font les femme : c’est un discours qui a pu permettre de faire reculer l’idée que les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes capacités. Une idée qui n’est plus d’actualité. Ce discours est désormais dangereux.
Des représentations « monitorées » mais qui ont du mal à évoluer
Si la question du sexisme a été remise à la Une de l’actualité ces derniers mois avec des mouvements comme #metoo, Denis Ruellan rappelle que « les contraintes, à la télévision notamment, existent depuis longtemps ». Mais la question de la représentation des genres dans les médias reste plutôt préoccupante. La troisième édition du rapport du Conseil Supérieur de l’audiovisuel (CSA) relatif à la représentation des femmes dans les programmes des services de télévision et de radio le montre : d’une année sur l’autre, les chiffres n’évoluent guère : la présence des femmes est passée de 38 % à 40 % entre 2016 et 2017. Une évolution de la représentation qui se heurte à une organisation sociale et domestique encore profondément genrée.
Si la volonté de donner la parole aux femmes autant qu’aux hommes est là, il est parfois difficile d’en trouver pour s’exprimer dans certains domaines. «Pour essayer de faire avancer une représentation plus égalitaire, il faut constituer un vivier de ressources (femmes expertes qui prennent la parole, femmes qui disposent de postes à responsabilité) ». Un déficit que révèle le rapport du CSA : les catégories "expert" (30 %) et "invité politique" (32 %) sont les plus concernées par la sous-représentation féminine.
Et même si la représentation évolue sur fond de parité, les stéréotypes féminins sont souvent relocalisés : les femmes élues prennent souvent en charge les dossiers éducation ou santé, dans les séries qui mettent de plus en plus en vedette des femmes, les traits féminins négatifs (hystéries, pleurs faciles) sont souvent exacerbés. « Quand on favorise des figures, il ne faut pas systématiquement leur coller des stéréotypes », explique le sociologue. « C’est un mouvement long et difficile dont fait partie la langue »
Interroger ses propres stéréotypes
« La presse peut aider à faire ce travail de "dénaturalisation" du genre en ne reproduisant pas les stéréotypes. » Pour le sociologue, les rédacteurs ont un rôle à jouer pour faire prendre conscience aux individus que les schémas dans lesquels ils sont, sont révisables. Notamment en réfléchissant d’abord à leur propres stéréotypes, dont certains ont déjà pu être repoussés, et qui ne sont pas forcément ceux de leurs lecteurs. Une prise de recul particulièrement importante quand on s’adresse notamment aux jeunes qui n’ont pas grandi avec les mêmes stéréotypes sur les femmes et les hommes que les générations précédentes.
Focus sur la question des genres dans les supports d'information des collectivités lors des 9e Rencontres nationales de la presse et des médias territoriaux
Comment les médias territoriaux traitent-ils la question des genres ? La conférence de clôture des 9e Rencontres nationales de la presse et des médias territoriaux se penchera sur la question le 26 juin 2018 au Celsa. Un temps d'observation des pratiques dans les publications des collectivités, suivi par un temps de réflexion avec Denis Ruellan, professeur au CELSA (Sorbonne Université) dans les départements Ressources Humaines et Médias, qui apportera son regard de sociologue aux communicants.