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Marketing territorial : passer de l’attractivité à l’attachement

Publié le : 8 février 2024 à 07:35
Dernière mise à jour : 8 février 2024 à 16:11
Par Marc Thébault

L’attachement plutôt que l’attractivité, voilà par quoi commence la mission du marketeur territorial, propose Marc Thébault. Ce qui revient à changer le paradigme du marketing territorial. Le territoire devra se révéler fidèle aux argumentaires déployés et apte à enraciner les nouveaux arrivants comme les habitants.

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Par Marc Thébault, consultant en attractivité territoriale et communication publique, ancien responsable de la mission attractivité territoriale de Caen-la-Mer.

De la compétitivité au « faire s'attacher » : les changements de paradigme du marketing territorial

Au commencement, au début des années 2000, lorsque le marketing territorial a commencé à s’infiltrer dans les politiques publiques, était la compétitivité. Rappelons-nous, en 2004/2005, l’appel national à projets « pôles de compétitivité » qui a sacrément ancré le vocable dans les habitudes lexicales publiques.

Et puis, au fil du temps, premier changement de paradigme, on est passé de la « compétitivité » à « l’attractivité ». Parmi les effets de ce changement, la notion de concurrence, induite par la sous-jacente « compétition » du premier terme, va laisser sa place à la volonté de séduire non plus en s’opposant, mais bien en se décrivant soi, en se dévoilant. Mieux, c’est aussi l’ère de l’ouverture de partenariats, d’alliances entre certains territoires, pour se fonder sur un bassin de vie pertinent et des arguments et moyens à mutualiser. Le tout, en s’affranchissant des strictes limites administratives avec la conviction que la complémentarité doit l’emporter sur la rivalité.

Durant tout ce temps, un seul objectif, faire venir : attirer des « richesses », matérielles ou immatérielles, dont les territoires estiment avoir besoin et qu’ils souhaitent mettre au service de toutes leurs composantes. Le tout à grand renfort d’actions de communication, d’événementiel, de plans médias et hors médias, de relations presse, de stratégies numériques, etc. Là, on a commencé à percevoir que la promotion n’avait de sens que si des services étaient proposés, ne serait-ce que pour prouver que les promesses territoriales pouvaient être tenues. D’où l’émergence d’un marketing des services, notamment d’accueil ou de « conciergeries territoriales ». Autre constat : la nécessité de faire accepter par l’intra-muros ces démarches, histoire d’éviter les levées de boucliers « anti-nouveaux » et de tenter de réduire des effets néfastes pour les habitants, l’augmentation du prix de l’immobilier par exemple.

Mais certains territoires, de leur côté, ont constaté des départs. Étudiants fraîchement diplômés et avides de nouveaux horizons, familles souhaitant un autre cadre de vie, salariés cherchant une évolution professionnelle qui, à leurs yeux en tous les cas, leur semblait peu probable sur place, etc. Alors ils ont ajouté un deuxième objectif, faire rester. Cette fois, il était surtout question de retenir. Les discours et actions visent alors à renforcer le lien entre territoire et habitants, faire découvrir ou redécouvrir les atouts, les aménités, comme les opportunités professionnelles locales. Surtout, on a expliqué aux habitants que les avantages, les opportunités ou les services, mis en avant dans les argumentaires externes, à l'attention d'urbains d’ailleurs en mal de verdure, étaient aussi à leur disposition.

Pour d’autres encore, une cible déjà existante est apparue – avec peut-être un effet accélérateur des confinements des années 2020-2021 – qui n’avait pas besoin d’être convaincue, en tous les cas moins que d’autres, car connaissant déjà le territoire et ayant des liens souvent affectifs avec lui : les anciens habitants partis faire leur vie ou leur carrière ailleurs, et souhaitant revenir. Enfin, au minimum sous condition d’emploi et de logement, s’entend. Un troisième objectif émerge : faire revenir. Alors, qu’on parle d’ambassadeurs ou de diaspora, on a multiplié les initiatives pour envoyer un signe clair à ces anciens du territoire : « Vous avez envie de vous reconnecter aux terres de votre enfance, retrouver une proximité avec votre famille ou vos amis, profiter de nouveau de la qualité de vie locale ? On va vous aider ! »

Entamer un nouveau changement de paradigme : compléter les faire venir, faire rester et faire revenir par le faire s’attacher.

Mais pour toutes ces cibles, il est sans doute temps de prendre conscience qu’un quatrième objectif doit être dorénavant suivi : faire s’attacher. L’enjeu de la méthode « marketing territorial » s’élargirait donc pour dépasser les seules actions promotionnelles. Désormais la qualité de l’expérience réelle vécue va être décisive pour enraciner durablement habitants, nouveaux venus ou nouveaux revenus. Il ne s'agit donc plus seulement de vanter les mérites et les qualités de la vie dans tel ou tel territoire, mais de prouver qu’au quotidien la réalité valide les kyrielles d’arguments de toutes natures et offre la possibilité de se projeter, ici, dans le temps.

Pour le dire très simplement, la question est maintenant de savoir comment faire en sorte que l’on se sente bien, que l’on se sente « chez soi ». En somme que l’on soit heureux, ici, et que l’on ait envie de se poser, de rester, de s’attacher. Voire de partager ce bonheur. C’est, à mes yeux, un deuxième changement de paradigme indispensable.

La question est maintenant de savoir comment faire en sorte que l’on se sente bien, « chez soi », que l’on soit heureux et que l’on ait envie de s’attacher durablement.

L’attachement, ou comment renforcer – réellement – la qualité du vécu au quotidien

Mais attention, cela risque d’être un rien plus complexe que la seule attractivité. Parce que, après tout – et toutes proportions gardées –, séduire n’est peut-être pas le plus compliqué dans cette affaire. Osons un parallèle – un peu cavalier – avec la rencontre entre deux êtres humains. La période de séduction n’est peut-être pas la plus risquée car, le plus souvent, on ne va mettre en avant que ses meilleures facettes. Au prix, certes, de quelques efforts. Mais ensuite vient le quotidien, des habitudes, des routines, des vicissitudes, donc la confrontation aux aspects les moins glorieux de chacun. Comme le chantait Nougaro, « seulement il y a le temps, et le moment fatal où le vilain mari tue le Prince charmant ». Si certains pensent que le fait de se mettre en couple, par exemple, est un aboutissement, j’ai plutôt tendance à penser que c’est un début, que c’est après que tout commence, principalement les risques. Je prends le pari qu’il en est de même pour la rencontre avec un territoire : le taf d’un marketeur territorial ne s’achève pas au moment où les nouveaux débarquent à la gare. Bien au contraire, c’est à partir de là que tout va se jouer.

Que mettre en œuvre pour dépasser la seule promotion et faire en sorte que le bonheur de vivre dans tel ou tel territoire se vérifie tous les jours et devienne le plus fort des liens entre territoire et habitants ?

Certes, le savoir-faire, la créativité, l’imagination et la qualité des actions des professionnels du marketing territorial ou de leurs prestataires sont avérés. Mais comment passer des effets d’annonce à la réalité vécue ? Comment viser l’attachement ? Que mettre en œuvre pour aller plus loin que la seule promotion et faire en sorte que le bonheur de vivre dans tel ou tel territoire se vérifie tous les jours et devienne le plus fort des liens entre territoire et habitants, récents ou anciens ? Démontrer qu’un territoire est attractif parce que ses habitants y sont heureux ne serait-il pas le meilleur des arguments ?

Alors, comment proposer des expériences de vie qui vont fidéliser sur le long terme ? Le tout, en ayant bien conscience qu’il est plus que délicat d’imaginer que cette problématique ne va se résoudre que par des moyens voulus comme rationnels, voire présentés comme scientifiques, ou par d’épais rapports d’experts compilant ratios dits objectifs et analyses diverses annoncées comme logiques, factuelles, voire arithmétiques. Si l’on pouvait mettre l’attachement en grille d’analyse cartésienne ou en équation, on le saurait depuis pas mal de temps.

Et s’il fallait regarder à la fois du côté de l’immatériel et à la fois du côté des habitants et de leurs propres initiatives ?

Façonner une expérience de territoire à partir de ses atouts autant immatériels que matériels

En décembre 2023, le collectif La Fabrique Spinoza – association fondée en 2011 « avec pour objet social de replacer le bonheur citoyen au cœur du débat public » – a publié l’étude « Territoires heureux : approches et pratiques pour des territoires et des modes de vie heureux ». L’émission de France Inter du 7 décembre 2023, « Grand bien vous fasse : comment trouver un territoire où je me sens à ma place ? », résume l’esprit des quelque 500 pages de cette étude.

Selon cette étude, « la crise sanitaire a affecté en profondeur les besoins des Français. Elle a renforcé des tendances en cours comme la quête de sens, de nature, de liens, ou de modes de vie réinventés. Les territoires peuvent y répondre de multiples manières, via des atouts autant immatériels que matériels, au point de façonner une Expérience de Territoire ».

« Ils peuvent tout d’abord combler une partie du vide existentiel, en nourrissant un besoin d’appartenance, et d’identité. […] Ensuite, le besoin de liens exacerbé par la crise sanitaire trouve une réponse sur les territoires. Ils foisonnent pour les créer. Ils émanent parfois du folklore [...], d’événements [...], de l’accueil des nouveaux arrivants […] ou résultent de l’histoire […]. Selon l’étude Grant d’Harvard, le lien est à la fois la première clé de l’épanouissement, et le préambule à des projets citoyens vertueux. »

La marque employeur : point de départ d’une réflexion salutaire pour renforcer l’attachement ?

Comment proposer des services publics qui permettront de façonner cette expérience du territoire et de contribuer à l’attachement ? Alors que le secteur public peine lui-même à fidéliser – et parce que « tout commence par l’interne » –, la marque employeur est-elle la solution pour améliorer la qualité du vécu des agents au quotidien et, in fine, renforcer l’attachement des habitants au territoire et à leur administration ? La marque employeur : artifice cosmétique ou point de départ d’une réflexion salutaire ? Le lundi 18 mars à Paris, Marc Thébault et Frédéric Fougerat viendront confronter leurs points de vue lors d'une controverse sur ce sujet en ouverture des Rencontres nationales de la communication interne.

12 principes guident la vie, et la transformation d'un territoire

L’étude précise également que « le territoire peut être vu de multiples manières, y compris comme un organisme vivant. Alors 12 grands principes guident sa vie, et sa transformation :

  • vision,
  • appartenance,
  • immatériel,
  • union,
  • raison d’être,
  • équilibre,
  • l’autrement,
  • hybridation,
  • engagement,
  • lien,
  • projet
  • et régénération. »

Revenons sur quelques-uns de ces principes, qui semblent indispensables :

Sur le sentiment d’appartenance, l’étude affirme : « L’identité territoriale répond à un besoin profond de l’être humain [...]. Ce nouveau mal civilisationnel, le vide existentiel, peut être rempli par le territoire. De surcroît, dans une ère de construction de nouvelles formes de spiritualité, le territoire offre l’opportunité de donner un nouveau sens à son existence [...]. In fine, l’identité territoriale peut s’exprimer autrement : “être à sa place”, c’est l’équation épanouissante qui aligne l’intérieur avec l’extérieur […]. »

Quant à la raison d’être, il est écrit : « Un territoire, en tant qu’organisme vivant et en lien, peut dessiner sa raison d’être qui lui permette de mettre en avant son ADN profond. [...] Un territoire peut trouver un alignement entre ses atouts, son utilité, son attrait, ce qui est bon pour lui [...]. En miroir, les habitants du territoire peuvent aussi [...] définir quelle est leur raison d’être locale. L’idée en filigrane étant de permettre à tout un chacun de trouver sa place et aux territoires de développer un écosystème adapté. »

Pour l’hyperlien social, tout peut se résumer par cette phrase : « Le lien humain est le premier pilier de l’épanouissement humain. » Cette partie de l'étude présente de nombreuses initiatives inspirantes.

Terrikigaï

Dans ce chapitre, il est fait souvent référence à la notion japonaise de l’ikigaï, les auteurs de l’étude allant même jusqu’à la transposer aux territoires en proposant le néologisme de « terrikigaï ». Pour les lecteurs qui ne seraient pas allergiques à ce qui pourrait être considéré, mais peut-être à tort, comme un « truc de plus » du « développement personnel à la mode », on rappelle que le concept d'ikigaï est souvent utilisé pour décrire un état de vie équilibré et satisfaisant, où une personne trouve un sens et une direction dans sa vie. À noter que dans certaines définitions ikigaï se traduit aussi par « raison d’être », ou par « joie de vivre ».

Seul l’immatériel d’un territoire permet de dépasser le simple concept « d’identité » pour aller vers celui « d’ipséité ».

Enfin sur l’atout de l’immatériel, notons : « L’immatériel est parfois un oublié de l’attractivité du territoire et de sa capacité à favoriser l’épanouissement des habitants. Il réunit des éléments intangibles comme le sentiment d’appartenance, la proximité à la famille, plus largement l’ensemble des relations, ce qui comprend le ressenti de convivialité, l’équilibre, etc. » Pour ma part, je suis depuis longtemps persuadé que seul l’immatériel d’un territoire (valeurs et culture communes, habitudes, héritage du passé, visions de la vie et du monde, rapport à l’autre, etc.) permet de dépasser le simple concept « d’identité » pour aller vers celui de « singularité » ou « d’ipséité ». Concept supplémentaire indispensable pour révéler ce qu’est fondamentalement un territoire et ce en quoi il est, tout aussi fondamentalement, unique, donc différent des autres. Et si, d’ailleurs, c’était cette différence qui devenait la clé de la séduction et du lien durable ?

Vers une attractivité territoriale qui façonne le vivre-ensemble

Ainsi, l’objectif de l’attractivité des territoires doit donc maintenant s’orienter résolument vers l’attachement et s’appuyer sur ce qui, en fait, est certainement le terreau le plus fertile, les habitants eux-mêmes, les valeurs qu’ils incarnent et leurs multiples initiatives. C’est donc reconnaître que, définitivement, la puissance d’attraction d’un territoire ne doit pas s’estimer seulement par le prisme des discours publics promotionnels, aussi professionnels soient-ils. Elle doit s’estimer aussi à la hauteur des femmes et des hommes qui formeront, peut-être plus qu’ailleurs, une communauté active, ouverte, qui ne considérera pas l’autre comme une menace, mais bien comme une opportunité. Une communauté qui va réellement incarner un « vivre-ensemble », séduisant et attachant, qui va développer l’hospitalité plus que l’accueil, le sentiment d’appartenance, des liens sociaux, et qui favorisera des opportunités, pour chacun, de trouver sur le territoire en question sa raison d’être et le sentiment de se sentir, enfin, à sa place. En somme, comme le précise l’étude, « comme si le “nous” pouvait agrandir le “je”... et réciproquement ».

Illustration : (c) Nicolas Green – Unsplash.

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