30 ans de com publique vus par Jean-Christophe Gallien
À l'occasion des 30 ans du Forum, Jean-Christophe Gallien porte son regard d'expert en communication politique et publique sur trois décennies de com publique.
Docteur en sciences politiques, Jean-Christophe Gallien débute aux côtés de Valéry Giscard d’Estaing, encore président du conseil régional d’Auvergne. Puis il accompagne Jean Arthuis alors président du conseil général de la Mayenne où il affronte la crise de la vache folle. Il se spécialise ensuite dans les campagnes électorales et les affaires européennes : il conseille différents gouvernements nationaux et locaux, des ONG dans leurs stratégies d’opinion et de diplomatie. Membre de plusieurs réseaux de communication publique, Jean-Christophe Gallien enseigne à Paris la Sorbonne et en Cluj en Roumanie. Il commente librement l’actualité internationale dans les médias français et européens.
Cette interview est issue d'une série d'entretiens de communicants publics "30 ans de com publique vus par..." menés à l'occasion de la 30e édition du Forum Cap'Com par Pierre Geistel, ancien chargé de communication, et par Philippe Lancelle, directeur du tourisme de la région Bourgogne Franche-Comté, tous deux membres du comité de pilotage de Cap'Com.
La com publique a beaucoup évolué depuis 30 ans. Quels sont les changements qui ont marqué le métier depuis ces années ?
Le changement principal se situe dans la reconnaissance du métier, de ses responsabilités et compétences spécifiques.
Il n’y a pas si longtemps que l’on reprend la base line de Cap’Com « la communication publique est un service public », sans presque susciter de commentaires plus ou moins dubitatifs : « Oui, la com c’est parfois utile…».
Cette légitimité a été longue à construire et à déployer, tant la dimension communication a souffert pour trouver toute sa place dans le secteur public. Il n’y a pas si longtemps que l’on reprend la base line de Cap’Com « la communication publique est un service public », sans presque susciter de commentaires plus ou moins dubitatifs : « Oui, la com c’est parfois utile… ».
Quels sont les défis que la com publique aura à relever dans les prochaines années ?
Nous serions passés d’un service annexe à une position centrale et stratégique. Enfin, presque… Car en réalité, pour répondre à votre question, les défis demeurent encore presque les mêmes. Cohabite, avec le changement positif que j’ai évoqué plus haut, un autre tendance plus négative et presque contraire. Je veux parler des difficultés persistantes du positionnement réel de la com dans la fonction publique territoriale.
La communication n’est que trop rarement reconnue comme un espace stratégique de la gouvernance politique et administrative.
J’ai le sentiment que, ni l’espace du politique, ni celui de l’administration, n’ont réellement progressé dans leur appréciation de ce positionnement. La communication n’est que trop rarement reconnue comme un espace stratégique de la gouvernance politique et administrative et reste trop souvent prise dans le carcan organisationnel et tutélaire d’une fonction seulement administrative.
Pour moi, depuis toujours, c’est là le défi majeur auxquels les communicants publics sont et restent donc confrontés. A eux de trouver et de forger l’indispensable équilibre entre la nécessaire autonomie, qui ne figure pas dans l’ADN de l’administration territoriale, et l’efficacité collective de l’organisation. Il y a là une indéniable dimension de lutte professionnelle.
Concevoir et installer cette autonomie dans une équidistance raisonnée et créative entre l’administratif et le politique est complexe parce qu’elle relève, très largement, des convictions personnelles des leaders politiques et des responsables administratifs. Encore une fois, il s’agit d’un combat et la tendance à la réduction durable des moyens tend à rendre cette conquête encore un peu plus délicate.
Les progrès technologiques sont-ils un bon moyen de contrer la diminution des moyens ?
Ils sont un extraordinaire moyen de décupler les espaces, d’accélérer le rythme et d’augmenter les effets de la « conversation » publique qui, elle, a toujours existé sous de multiples formes. Demeure une difficulté, malgré les efforts réalisés par tous : l’émetteur public a beau engager ou prolonger une conversation avec les citoyens, les usagers, les habitants ou les visiteurs, via les réseaux sociaux, il reste peu recherché, encore moins désiré ou aimé du grand public.
L’effort doit porter sur la fabrication de l’offre de contenus, notamment en misant toujours davantage sur l’audiovisuel, dans la démultiplication des flux et des plateformes, dans leur animation en lien avec les autres émetteurs du territoire.
L’effort doit porter sur la fabrication de l’offre de contenus, notamment en misant toujours davantage sur l’audiovisuel, dans la démultiplication des flux et des plateformes, dans leur animation en lien avec les autres émetteurs du territoire. Cette mission s’inscrit dans un contexte, encore une fois, de plus en plus précaire en matière de budget. Même le 2.0 coûte de l’argent ! D’autant qu’il s’agit de faire face à la complexité unique de l’espace public et aux enjeux et responsabilités de la communication publique. Il s’agit aussi de trouver les bons outils.
Toutes les expériences que j’ai menées en France et à l’étranger montrent qu’un débat organisé via ce type de plateformes, crée beaucoup plus de participation, d’engagement, d’échange… Il fait tomber cloisonnements et limites, parfois même la consanguinité des opérations traditionnelles de participation. En soi, c’est formidable, mais cela suscite aussi beaucoup de frictions et de divisions, à travers la multiplication des singularités mises à jour en direct.
Des confrontations et des oppositions, parfois même des sécessions auxquelles il est difficile de répondre pour l’autorité responsable, mais qui élargissent et enrichissent toujours le processus démocratique local et, je le crois sans hésitation aucune, la performance politique. Et ce sont nos deux responsabilités centrales !
Au delà, ces outils permettent d’ouvrir et de confronter au réel les politiques et dispositifs que l’acteur public souhaite mettre en œuvre et d’aller beaucoup plus loin dans la compréhension des besoins des publics. Ils s’intègrent aussi, ce n’est pas négligeable, comme je l’exprimais plus haut, dans un contexte de réduction budgétaire.
Quel souvenir sort du lot dans votre expérience en communication publique ?
Il y en a beaucoup, c’est logique quand on se passionne pour ce métier. Le plus marquant reste sans doute la crise de la vache folle en Mayenne. Pas la crise elle-même bien sûr, qui a transformé, en 24 heures, un territoire paisible en camp retranché et ses habitants ou produits en pestiférés, mais bien toute l’intense stratégie de reconquête d’image que j’ai pu initier et déployer dans la durée.
C’est un très beau souvenir parce que l’initiative fut politique et publique, rapide et ambitieuse budgétairement, mais surtout totalement ouverte et fédératrice des différents acteurs privés, associatifs et professionnels, isolément placés sous les feux de la presse et de l’opinion internationale. Tous les acteurs mayennais et leurs nombreux « amis » s’engagèrent dans le même sens et réussirent à créer une formidable dynamique territoriale, fondatrice d’une victoire collective et durable. Fait important et sans doute décisif, nous disposions d’un vrai budget à la hauteur de l’enjeu territorial.
Y-a-t-il un pire souvenir ?
Pas vraiment. Plutôt une nostalgie qui se rappelle à vous quand vous avez quitté structurellement cet espace d’engagement qui fait sens, l’attachement au territoire, aux hommes et aux femmes, aux leaders politiques… Même quand vous revenez par la voie de collaborations extérieures très prenantes, l’intensité est moins forte.
Que recommander à un étudiant qui se lancerait dans la com publique ?
Vas-y ! C’est une formidable école professionnelle, peut-être la meilleure pour apprendre, se confronter à des situations, des publics, des techniques et des enjeux de communication très variés.
La com publique : une belle école aussi pour chercher et trouver du sens à sa propre destinée.
Une belle école aussi pour chercher et trouver du sens à sa propre destinée.