Avec les collectivités, les agences de communication publique affrontent la crise
Les agences de communication publique traversent la crise sanitaire aux côtés des collectivités. Si les outils numériques permettent de garder les liens, tant en interne qu’avec leurs clients, l’impact économique inquiète. Mais le premier constat que dressent les 15 responsables d’agences interviewés, c’est que la relation avec les communicants publics se redéfinit pour affronter ensemble le « monde d’après ».
Ils témoignent
Merci aux responsables d’agences qui nous ont très librement expliqué leur traversée de cette crise sanitaire aux côtés des communicants publics : Xavier Cazard, Entrecom – Véronique Coste, Inexine – Carole Dany, Signe des Temps – Marie Derollez, Bien fait pour ta Com' – Philippe Dole, Long.island – Xavier de Fouchécour, Bastille – Anne-Sophie Giraud, Alambret Communication – Philippe Gaudin, Editic Public – Bruno Lafosse, Boréal – Christian de La Guéronnière, Epiceum – Laurent Marie, After be fort – Bérangère Mazuy, CoSpirit MediaTrack – Françoise Montabric, Citizen Press – Marc Moser, Scoop communication – Barbara Wülfken, Les Giboulées.
Dès le début du confinement, les agences ont su rapidement s’adapter à la situation. « Cette crise nous interpelle par son ampleur inédite et par les questions de fond qu’elle pose sur le sens de notre métier. Mais elle ne nous a pas déstabilisés dans notre fonctionnement », relève Christian de La Guéronnière. La plupart des agences avaient déjà développé le télétravail au sein de leur équipe. Si des outils de travail collaboratif à distance (Slack, Houseparty, WhatsApp, Teams, Google Drive…) étaient déjà bien ancrés, « le face-à-face, les échanges spontanés et informels nous manquent beaucoup ! », avoue Marie Derollez.
Pour Bruno Lafosse, « il faut faire preuve d’humilité, en cherchant ce qu’on peut tirer de bon de ce ralentissement du temps : moins de transports, moins de stress, la possibilité de prendre du recul… Cette période d’introspection nous permet aussi de nous occuper de nous : changer de logo, repenser nos outils par exemple ». Marie Derollez avoue : « Ce temps de “pause” nous permet de trouver enfin le temps de communiquer sur nous-mêmes : de mettre à jour notre site, de valoriser nos références, de lancer bientôt une newsletter… » Les agences en profitent aussi pour être plus attentives aux enjeux de management pour maintenir la cohésion de l’équipe et la force d'un collectif.
« Ce temps en suspension nous amène à réfléchir sur le sens de notre métier et la manière dont nous allons pouvoir être encore plus pertinents dans notre contribution auprès des collectivités, résume Xavier de Fouchécour, pour les accompagner dans cette période de transition vers, nous l’espérons mais sans être trop naïfs, un nouveau modèle de société. »
Une relation réciproque pleine de confiance
En attendant ce nouveau modèle, les agences répondent présentes en proposant conseils et outils pratico-pratiques aux collectivités. « La période est affolante, ultra-stressante, mais l’enjeu citoyen est énorme, on est tous mobilisés et ils le savent », déclare Carole Dany.
Dans un premier temps, proposer des solutions pragmatiques
Certaines mettent à leur disposition des outils en ligne gratuits, comme Laurent Marie qui a décidé d’aider les communicants, au même titre que la presse locale ou spécialisée, en mettant à disposition une solution éditoriale multicanal dans une version allégée pour permettre le travail collaboratif. D’autres répondent à des attentes très précises des collectivités et organismes publics. « Nous avons très vite proposé des supports et approches tactiques », déclare Xavier Cazard. « Par exemple, une grande école nous consulte pour concevoir un événement virtuel de remise des diplômes fin juin. Pour une autre institution, nous profitons de la disponibilité de ses publics pour administrer des études quali conversationnelles sur WhatsApp. Nous proposons aussi des "strategic papers" pour éclairer les équipes de direction d'une collectivité sur la sortie de crise. » Pour Anne-Sophie Giraud, « travaillant dans le milieu culturel, du patrimoine et du tourisme, nous avons mis en place dès la première semaine une newsletter pour valoriser les initiatives et projets virtuels de nos clients en lien avec #culturechezvous ». Philippe Dole, quant à lui, explique que « pour une collectivité ont été développés des posts sonores de paroles d’agents qui ont l’avantage de pouvoir être produits sans sortir en extérieur faire de la captation vidéo ».
Écouter, conseiller, tout simplement aider les collectivités locales
Mais au-delà de l’apport de solutions pragmatiques, la puissance d’écoute et de conseil des agences illustre leur envie profonde d’aider tout simplement les collectivités dans leur traversée de cette crise. « Comme les aidants ont besoin de souffler et de se ressourcer, les communicants publics aussi ! » relève Bruno Lafosse. L'échange avec une agence peut être précieux pour mutualiser les expériences, apporter de la méthode. Et Anne-Sophie Giraud ajoute : « Notre principale mission actuellement est de redessiner avec chacun stratégies et scénarios avec l’idée de les accompagner pour leur permettre de continuer à exister. » « Il faut revenir à l’essentiel, à la valeur d'usage, à l’opérationnel. Quelques solutions résident dans la capacité à trouver les bons sujets, les bons formats, à innover, à être en mesure d’accompagner les clients avec des solutions nouvelles, appropriées en termes de budget », déclare Françoise Montabric.
Pour Philippe Dole : « Nous restons à leur écoute et leur recommandons de ne pas être dans une surcommunication qui pourrait être ressentie comme opportuniste. Cette situation est l’occasion pour les collectivités de rappeler aux usagers leurs missions de proximité en valorisant les “actions de crise” qu’elles mettent en place. » Une écoute que confirme Barbara Wülfken : « Nous avons beaucoup échangé avec nos clients, notamment pour la partie événementielle, pour les aider à réorganiser et définir de nouvelles priorités. » Un point de vue partagé par Xavier de Fouchécour, qui profite de cette période pour prendre le temps d’échanger avec ses clients de manière informelle, « sur ce que nous vivons, la manière dont nous le vivons, l’après, etc. ».
Les collectivités savent aussi soutenir leurs agences
Le temps de crise semble conduire à une relation renforcée entre les communicants publics et leurs agences. « Je trouve nos clients très motivés et impliqués. Ils m'impressionnent ! » avoue Xavier Cazard. En cette période de crise, les collectivités savent aussi soutenir les agences avec lesquelles elles travaillent. Philippe Dole tient à le faire savoir, « économiquement, il est à noter que deux de nos clients nous ont contactés afin de s’assurer s'il n’y avait pas de retard dans le paiement de nos factures en cours. C’est une attention qui mérite d’être soulignée ». « Sur le plan économique, nos clients ont tous été formidables en payant les travaux engagés et en faisant en sorte que les règlements ne tardent pas », relève Françoise Montabric. Et Christian de La Guéronnière salue l’initiative d’un de ses clients : « Il a de lui-même proposé de prolonger notre marché-cadre d’un an pour que nous ne perdions pas le bénéfice des commandes qui auraient pu être passées sur la période actuelle et qui, de fait, seront reportées. Un immense merci à cette collectivité ! »
Une situation économique contrastée selon les agences
Un collectif d’agences de communication publique a lancé un appel pour une relance rapide des projets de communication des collectivités et organismes publics. « La baisse de notre activité est d’ores et déjà très significative, estiment-elles dans un communiqué, elle serait de 50 % à 90 % selon les domaines de spécialisation des agences. » En effet, certaines agences sont en mode survie, ne produisant et facturant quasiment rien depuis un mois. « Il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps », reconnaissent bon nombre de responsables.
Pour d’autres agences, mais plus rarement, il n’y a pas vraiment de crainte. « Nous étions en belle croissance et notre plan de charge est assuré », reconnaît le directeur d’une grande agence. Celles qui travaillent principalement sur le numérique ne sont pas – ou moins – touchées économiquement.
L’inertie des projets de stratégie et de création a permis de ne pas vivre un arrêt net dès le confinement, mais les dossiers ralentissent avec les semaines, s’inquiètent les agences dont le principal souci aujourd’hui est l’absence totale de vision à moyen terme. Le report des élections dans la plupart des métropoles et la tenue début 2021 des élections régionales et départementales n’aident pas à y voir plus clair. La situation se traduit, selon les agences, par des réponses attendues qui semblent bloquées, notamment concernant des appels d’offres. Ce qui est à l’arrêt pendant le confinement, explique une directrice, ce sont les signatures de nouveaux contrats, faute de signature des élus. « Nous attendons patiemment et préparons ce qui peut l’être pour gagner du temps plus tard. »
Les impacts de la crise sanitaire sur la communication publique
Sans tirer des conclusions définitives, les agences entrevoient déjà des changements et quelques enseignements possibles pour les communicants publics.
La com de crise n’est plus une fantaisie
« Tout le monde l’a désormais compris : la com de crise n’est plus le truc en plus, la cerise sur le gâteau, mais un enjeu majeur », constate Bruno Lafosse. « Par exemple, si l’on veut que les gens restent confinés, il faut leur donner de l’information fiable et transparente, des conseils, des activités, valoriser les initiatives de solidarité… Tout cela a été fait par les communicants publics : ce savoir-faire doit désormais être intégré dans les circuits de décision et dans les dispositifs généraux de gestion de crise, c’est déterminant. » Marc Moser renchérit, soulignant la nécessité « de mettre en place un vrai canal de communication de crise, avec des supports électroniques, qu’ils soient médias ou réseaux sociaux, plus adaptés et préparés à ce type de situation, prêts à être mis en route immédiatement et plus réactifs ». Il relève un autre levier d’amélioration, le circuit décisionnel : « Le lien entre les élus qui décident et les acteurs opérationnels doit pouvoir être maintenu pendant ces périodes. Aujourd’hui les temps de réponse sont souvent trop longs. »
Plus d’agilité dans les services communication
« La soudaineté et la nouveauté de cette crise font que tout s’invente au fur et à mesure », ajoute Bérangère Mazuy. « La crise va donc permettre aux services communication de devenir encore plus agiles, d’avoir un circuit de décision et de validation plus court pour des mises en place de paroles encore plus rapides. » Pour François Montabric, « cette crise a prouvé la capacité d’adaptation des communicants qui ont dû, du jour au lendemain, traiter de sujets qu’ils n’avaient pour la plupart jamais abordés. Ce qui a/va changer aussi, ce sont les méthodes de travail, que ce soit en termes de validation ou d'outils ».
Les communications publiques externe et interne revalorisées
« La crise va conduire à un rôle plus important pour le secteur public et les missions de la communication en sortiront renforcées », analyse Barbara Wülfken. Un constat partagé par Bérangère Mazuy, pour qui cette crise « permet également de démontrer que le service public a une vraie place dans notre système et qu’il faut le renforcer afin de mailler encore plus étroitement le territoire ». En effet, constate Christian de La Guéronnière, « c’est le moment de “remonétiser” durablement la parole des élus et des institutions ». Mais l’autre grand changement que, comme lui, les agences mesurent bien, « c’est la prise de conscience du caractère vraiment stratégique de la communication interne. Les agents publics sont en première ligne pour assurer la continuité des services publics, mais les canaux de communication pour les informer, les mobiliser et les manager sont notoirement insuffisants. Il va falloir les développer fortement ».
Le citoyen replacé au cœur des dispositifs de communication
« Suite à la crise, la manière de vivre des Français va changer. Leur attitude face au travail, à la santé, à la citoyenneté va être différente. Il va falloir en tenir compte », prévient Philippe Gaudin. « Les citoyens vont sûrement vouloir également que leurs élus et leurs territoires appréhendent ces changements et modifient eux aussi leur façon de faire. La communication des collectivités devra montrer qu’elle a compris que rien ne serait plus comme avant. »
Bruno Lafosse abonde : « La citoyenneté ne doit pas et ne peut plus être mise entre parenthèses ! Je l’avais déjà souligné après la crise de Lubrizol, qui avait touché ma région. La bonne information des citoyens, mais aussi le doute, le principe de précaution doivent être partagés. Le respect des droits à l’expression, à la critique, à l’interpellation des pouvoirs publics est fondamental. » « C'est une magnifique opportunité pour renforcer la confiance – s'il en est besoin – entre collectivités et administrés grâce à un ton et des dispositifs de communication modernisés, laissant davantage place à l'écoute, à l'utile et à l'humain. Le rôle fédérateur et serviciel des collectivités va se renforcer », nous confie Xavier Cazard. « Les co-constructions et autres formes de partage doivent se multiplier avec une vraie conscience de chaque partie prenante de l’importance de la contribution de l’autre », ajoute François Montabric. « Cette épreuve doit être une opportunité pour changer nos façons de communiquer. » La communication publique « doit se mettre au service de ceux qui sont et font la collectivité et leur donner la parole, les faire dialoguer, les faire produire les solutions pour demain : habitants bien sûr, mais aussi tous ceux dont le métier est d’apporter un nouveau regard, de nouvelles manières de faire – sociologues, psychologues, urbanistes, chercheurs, étudiants… », complète Xavier de Fouchécour.
À l'issue de ce tour d'horizon, plein d'incertitudes et d'attentes, on sent poindre une grande interrogation : le communicant public aura-t-il la force de devenir le fédérateur, l’animateur du territoire, de produire un nouveau récit, de nouvelles envies ou d'accompagner de nouveaux services ?