Brocéliande : quand le marketing territorial est plus qu’une légende !
Ici, en Bretagne intérieure, on peut trouver l’inspiration. Avec une coopération au-delà des limites administratives, l’élaboration d’un récit symbolique ou l’intégration des enjeux de l’attractivité durable. Brocéliande est un tronc commun qui cache la forêt des initiatives ! Interview chorale avec les hôtes de la visite pro 3 du prochain Forum de Rennes.
Brocéliande Communauté représente près de 19 000 habitants et trouve sa place au sud-ouest de Rennes, à mi-chemin entre la Manche et l’océan Atlantique. Une situation en hinterland (arrière-pays) qui pourrait décourager le territoire dans ses vocations touristiques si… Merlin ne l’avait enchanté ! Les 12 000 hectares (et plus si l'on compte les bois attenants) de cette ancienne forêt constituent « un patrimoine naturel, certes, mais il a beaucoup d’autres facettes : humaine (contes, traditions, danses), légendaire et historique », précise Fabienne Savatier, vice-présidente tourisme de la communauté de communes, adjointe à Paimpont et vice-présidente de Brocéliande Communauté. Brocéliande est un territoire de passage qui concentre 2 % des nuits et 2 % du chiffre d’affaires tourisme de la Bretagne. Mais le prophète magicien de la légende arthurienne n’a pas fait que cela, il a également disséminé chausse-trappes et mauvais sorts, afin de pimenter le jeu.
Un patrimoine à cheval sur deux territoires
Deux territoires et plus, si l’on considère la question du point de vue communal ou même… patrimonial – dans le sens « patrimoine privé ». Car cette forêt, comme beaucoup d’autres en France, est une juxtaposition de parcelles d’exploitation forestière. Des domaines qui répondent à des logiques sylvicoles, mais aussi territoires de chasse, voire de chasse à courre (et à cheval !). Et une des premières spécificités de cette destination, pour les communicants qui œuvrent à sa prospérité, se trouve dans la gestion des relations de presse, puisque les tournages et reportages sont soumis à une série d’autorisations, y compris de la part de propriétaires. Mais les surprises ne s’arrêtent pas là. Voici d’autres facéties de l’enchanteur :
- la forêt est partagée entre deux départements (Ille-et-vilaine et Morbihan) ;
- Brocéliande Communauté est la plus petite communauté de communes du département ;
- d’autres territoires bretons (et au-delà) utilisent le nom Brocéliande ;
- le tourisme est d’abord concentré sur le littoral breton ;
- mais des visiteurs arrivent à Brocéliande de partout, au hasard et sans repères !
Pour ceux qui gèrent l’attractivité de Brocéliande, la prise de conscience est relativement récente, mais intégrative et collégiale. Comme le rappelle Fabienne Savatier (qui a réussi à convaincre le maire de Paimpont de créer sa délégation tourisme) : « Nous avons identifié plusieurs niveaux. Il y en a un premier, en hyper local, à la commune de Paimpont. » Pour beaucoup d’habitants, on parle d’ailleurs de « la forêt de Paimpont », ce qui créait un fossé avec l’appellation légendaire et distante de « forêt de Brocéliande », jusqu’à laisser planer l’image de ce décor mythique dans une couche imaginaire et désincarnée.
« Mais depuis trente ans, poursuit l’élue, la dimension touristique a évolué en s’élargissant de différentes manières. Nous avons créé un office de tourisme, puis, à l’échelle de cinq communautés de communes, nous avons construit Destination Brocéliande. En 2012 la création de la Porte des Secrets (point d’accueil et parcours aménagé dans les anciennes dépendances de l'abbaye de Paimpont), après huit ans de concertation, est devenue la partie publique de cette structure de portage intercommunale (société publique locale) ; un outil qui résonne et qui fait résonner Brocéliande. »
Petits poucets mais grands pouvoirs !
Il faut dire qu’ils partaient de loin, les responsables de l’attractivité et de sa communication, avec des cartographies distribuées aux visiteurs qui, selon le département où ils se trouvaient, occultaient l’une ou l’autre partie de la forêt ! Il n’y avait, c’est vrai, pas encore d’échelon régional à l’époque. Pour Anaïs Ballanger, responsable communication de Destination Brocéliande : « En 2013, la région Bretagne, pour promouvoir le tourisme, a créé dix destinations. Et cela a permis d’accélérer le processus. Ici il y avait une problématique qui allait au-delà d’un simple déficit de moyens. Il fallait dépasser les territoires administratifs, pouvoir s’entendre, gommer ces frontières. Car les touristes vont d’un côté comme de l’autre. »
Les freins étaient également de nature culturelle. Ce que décrit l’élue, qui, forte de son expérience en pays de Loire (où la notoriété n’était pas si importante), a noté une certaine indifférence initiale. Pour elle, « on ne connaissait pas la richesse qu’on avait. J’ai observé que les habitants eux-mêmes n’étaient pas des visiteurs de cette destination, en proximité ». Et pourtant ! Ils en voyaient, des touristes perdus, leur demandant leur chemin.
Alors il a fallu, poursuit-elle, « lancer une sensibilisation des habitants à ces sujets ». Un travail toujours en cours puisqu’« un nouvel article se prépare dans la revue de la communauté de communes pour expliquer ces enjeux aux habitants », ajoute Gaud Menguy, chargée de la communication de Brocéliande Communauté. Pour David Steck, le directeur de l’office de tourisme, « la prise de conscience de nos capacités touristiques est assez récente ».
Il poursuit en revenant sur certaines actions de communication fondatrices : « Ces dix ou vingt dernières années, on a communiqué uniquement à l’externe. Je me souviens par exemple du comité départemental du tourisme du Morbihan qui avait financé une campagne d’affiches, sur Paris, présentant Brocéliande. Ici, nous avons vu soudainement augmenter la fréquentation. » Mais, semble-t-il, sans réellement savoir pourquoi. Gaud Menguy enchaîne pour évoquer un autre moment important : « Les incendies de 1990 ont fait qu’on a beaucoup parlé de notre forêt. Elle avait alors subi de grands dommages et cela avait provoqué un sentiment de solidarité. Les gens, ici, ont vu arriver des touristes. Il y a eu une rupture. » Et au niveau régional, on a commencé à se dire qu’on n'allait pas seulement communiquer sur la côte. Comme l’explique Anaïs Ballanger : « On a énormément de gens, sur le littoral, qui viennent pour passer une journée à Brocéliande. L’objectif de notre communication est d’inciter à allonger ce séjour. »
Le résultat ne s’est pas fait attendre, car on mesure aujourd’hui (en 2019) 219 000 visiteurs à l’office de tourisme. Au point, comme le souligne David Steck, « que d’autres territoires ont réclamé la même exposition… mais tous les territoires bretons n’ont pas la même notoriété au départ ». Et le directeur de l’office de tourisme d'esquisser alors un sourire : « Nous avons dû alors commencer à œuvrer pour nous-mêmes, car on a une structure qui intègre plusieurs sites, métiers et compétences (avec boutique et visites), et donc une identité d’ensemble à formuler ! Ce travail d’affirmation et de communication, pour appuyer notre stratégie, n’a pas nécessairement pour objectif de faire venir plus de monde mais plutôt d’avoir un meilleur tourisme. » Et, sur certains sites, c’est compliqué, car la surfréquentation guette.
Un intense travail de coordination
Les enjeux ont fait apparaître très tôt, non seulement un besoin de synchronisation, mais aussi une nécessité d’information, voire de communication sur les enjeux. Fabienne Savatier l'avoue : « On avait besoin de travailler ensemble. » Elle entendait, pendant ses contacts d’élue : « Il faut arrêter de faire de la pub. Parce qu’il y a trop de monde. » Ce à quoi elle ajoute immédiatement : « Mais le souci, ce n'est pas le monde, ce sont les infrastructures et l’aménagement. Il faut que l’on fasse attention en forêt, car c’est un milieu fragile. Tous les ans, Brocéliande Communauté doit financer l’entretien des sites, qui entre dans sa compétence tourisme. » Mais la coordination est délicate car il faut marier des intérêts, des sensibilités différentes. Et il faudra tous les talents de magiciens des responsables de la destination pour trouver « le bon équilibre entre : faire venir les visiteurs, les besoins des propriétaires forestiers, les professionnels du tourisme et… la nature », insiste Anaïs Ballanger. Pour œuvrer à une bonne acceptation de ces contraintes, Brocéliande Communauté s’est penchée sur des arguments socio-économiques, car, à l’échelle de la commune de Paimpont (1 750 habitants) par exemple, cette filière représente 25 commerces.
« Pourtant, peu de gens avaient conscience de l’apport économique du tourisme, du trafic généré, comme de l’emploi de 55 saisonniers », précise Fabienne Savatier. David Steck poursuit : « Il nous a fallu créer davantage de liens avec les professionnels du territoire. Et pour créer du lien localement, des communicants ont été recrutés dans chacune des structures, pour pouvoir relayer les offres auprès des usagers, donner un sens commun aux initiatives, faire circuler les infos. »
Retrouvez nos interlocuteurs lors de la visite pro du 7 décembre !
Lors de votre inscription en ligne au Forum, choisissez la VP3 – Paimpont (13h-19h30).
Forêt de Brocéliande : contes et légendes, vecteurs d’attractivité territoriale ? (Rendez-vous à 13h à Rennes. Visite en car et à pied. Fin de la visite vers 19h30. Pot de clôture à l’hôtel du département.)
Mais, attention, les visites se remplissent très vite et il n’y aura pas de place pour tout le monde. Dépêchez-vous de choisir entre les dix destinations proposées. N’hésitez pas à vous inscrire pour les visites à Morlaix ou à Brest, car les déplacements sont encadrés et intégrés aux parcours. La Bretagne va réenchanter vos parcours de communication publique !
Pour un enchantement durable !
Éco-tourisme, label produits locaux, circuits courts, faible impact… Brocéliande est par définition une destination nature et durable. Comme le précise Anaïs Ballanger, « les gens s’attendent à un tourisme vert, slow tourisme, éco-responsable. Même si aujourd’hui ce n’est pas toujours le cas, notre stratégie est en train de s’affiner ». « Là aussi, on est jeunes », s’exclame Fabienne Savatier.
Anaïs Ballanger continue : « Nous avons un travail, commun à cinq intercos, sur la mutualisation des outils de communication, autour d’une offre touristique variable. Il nous fallait utiliser la marque Brocéliande comme une ombrelle ; puis parler des autres offres : château de Josselin, La Gacilly (village natal d’Yves Rocher), canal de Nantes à Brest… Depuis 2016 on s’est attachés à ne plus travailler uniquement sur la com mais aussi à une stratégie de développement partagée. Chacune des communautés de communes s’intègre dans cette stratégie et nous, Destination Brocéliande, nous nous intégrons dans la stratégie de la région. »
La symbolique, aux fondements de l’attraction
La nouvelle orientation durable implique à tous les niveaux un travail sur les circuits courts, l’itinérance ou les mobilités douces. Mais l’importance de ces enjeux ne gomme pas pour autant un axe fondamental, voire primaire, essentiel, de la stratégie de communication et du positionnement de Destination Brocéliande : les univers imaginaires ! Ces quatre univers imaginaires couvrent quatre thématiques : bain de nature, esprit créatif, voyage dans le temps, légendes et contes. Anaïs Ballanger évoque un important travail de « recensement des offres, au regard des univers imaginaires, avant d’en faire des parcours cohérents ».
« Ensuite nous avons prévu des déclinaisons opérationnelles de ces thématiques sur le territoire. Une manière de répondre à la question : comment cela se voit ? » Cette signalétique, ce marquage permet d’identifier le cheminement, le parcours, et offre aux visiteurs la possibilité de se mouvoir dans l'un de ces univers en faisant le lien avec les autres maillons de la chaîne. Pour entamer ce travail, Destination Brocéliande a désigné cinq sites pilotes, dont le tombeau de Merlin. Un site exemplaire de cette nécessité de « se mettre dans l’ambiance » qui n’est situé qu’à... dix mètres de la route. La pire des situations. Désenchantement assuré ; avec, de surcroit, papiers gras et bousculade. Le réaménagement du site, à lui seul, symbolise la nouvelle démarche brécilienne (encore du symbole). David Steck le résume par cette phrase : « Il nous a fallu réenchanter le tombeau de Merlin ! » Lui redonner sa part de mystère, dans une ambiance apaisée et symbiotique, à la hauteur du mythe, à la hauteur des attentes des visiteurs et à l’échelle d’une nature sans doute magique, mais aussi organique et périssable ! Le merveilleux est là, parce qu’on peut le ressentir, parce que l’on veut le ressentir. Comme le conclut l’élue : « Il faut que l’on s’efforce de s’émerveiller tous les jours, pour ne pas perdre de vue notre position privilégiée. »
Photo d'ouverture : l'Arbre d'Or du « Val sans retour » est une œuvre d'art créée par François Davin en 1991.
La table ronde des dircoms
Elles et ils sont quinze preux communicants, qui se réunissent chaque trimestre, issus des territoires ruraux d’Ille-et-Vilaine et ce depuis trois ans. Une initiative qui n’est pas pour rien dans la plus grande sensibilité du réseau au sort des « petits poucets ». Car ces quinze-là sont représentés par Gaud Menguy au Comité de pilotage de Cap’Com. Cette dynamique locale n’est sans doute pas née par hasard au cœur de la Bretagne, territoire fractionné et solidaire s’il en est.