Ce qui nous lie au 34e président du Grand Prix Cap’Com
C’est un professionnel responsable et investi qui s’attellera cette année à conduire le grand jury du Grand Prix Cap’Com. Jean-François Ebeling vit son métier de journaliste dans un univers binational, ouvert sur le monde et sur les jeunes générations. Il s’interroge sur ses missions, dans un cadre audiovisuel public. Il parle de son équipe et du travail au quotidien en direction des enfants et des jeunes adolescents. Il évoque aussi ce qui nous lie.
Interview de Jean-François Ebeling, coordinateur junior Arte (rédacteur en chef « Arte journal junior » et « Arte junior le mag »), président du 34e Grand Prix Cap’Com.
Point commun : Lorsque l’on vous a parlé du réseau de la compublique et de la présidence de notre Grand Prix, avez-vous été surpris ?
Jean-François Ebeling : Au départ, j’entendais le mot « communication ». Et comme je considère que je fais de l’information, vous comprendrez que je voyais une nuance ! Mais, quand vous m’avez lancé cette invitation, je suis allé voir qui vous étiez (même si une petite voix intérieure me disait « Oh là là, ne t’engage pas là-dedans ! »). Comme tout journaliste, j’ai cherché à cerner le sujet et je me suis aperçu que, finalement, nous avions une sensibilité commune. Ce que vous mettez en avant dans vos Grands Prix touche les mêmes questions que nous : harcèlement, lutte contre les infox, inclusion, changement de modèle… Il s’agit d’une sensibilité commune. Et c’est pour cette raison que j’ai accepté de « franchir le Rubicon », sans hésiter. Nous avons des métiers différents mais des valeurs communes.
Point commun : Peut-on mieux connaître ce commun ?
Jean-François Ebeling : J’ai la chance de travailler pour une chaîne de télévision, Arte, qui a une ligne éditoriale tellement forte qu’elle s’imprime sur tous les programmes. Elle s’impose à tout le monde, y compris Arte journal junior : une volonté, un désir d’Europe. Nos présentateurs sont franco-allemands avec souvent un petit accent à l’antenne. Pour moi, c’est très signifiant – c’est l’avenir des jeunes Européens de s’entendre « avec un petit accent ». D’où cette pédagogie du monde, de la société. D’où ces interrogations sur le commun européen, démocratique, citoyen. Voilà pour ce qui nous rapproche de façon globale.
Et j’ajouterai qu’il y a chez nous, dans cette rédaction, cette volonté d’être à hauteur d’enfant. Dans le journal junior, nous répondons à des questions qu’ils nous envoient. Et dans le mag, cela va plus loin : nous faisons chaque semaine notre dossier « école ». Un journaliste va dans une classe avec caméraman et ingénieur du son. Puis, dès le retour aux studios, on y répond. Avec application. Ce même état d’esprit, je l’ai retrouvé dans certaines actions que vous avez mises en avant, comme le Grand Prix 2021 !
Point commun : Et concernant la transition socio-environnementale et son lot d’actualités frappantes ?
Jean-François Ebeling : Vous savez, comme pour tous les médias d’information, nous sommes conscients qu’il est très facile de faire un journal « des mauvaises nouvelles ». Sur ces sujets également. Mais c’est anxiogène et peu productif. On s’évertue alors à trouver des sujets positifs. Notre ligne rédactionnelle n’est pas engagée comme vous le pensez sur la transition, mais nous en notons les évolutions, suivons les effets du changement climatique, etc. Parmi ces thématiques, il y a effectivement la transition écologique, cela dit, on ne fait pas que cela. C’est une thématique forte, mais pas permanente. C’est plus une résonance.
Nous avons une façon de traiter certaines informations avec le prisme « bonnes nouvelles » sur d’autres sujets, comme la semaine dernière, autour de la crise ukrainienne : on a traité la réouverture à l’exportation du blé en suivant ce cargo arrivé à Djibouti, avec une cargaison à destination de l’Éthiopie.
Ce sont plus les gamins qui nous réveillent que l’inverse.
Point commun : Vos choix rédactionnels traduisent-ils une forme de responsabilité, de morale, vis-à-vis de votre jeune public ?
Jean-François Ebeling : Peut-être qu’on est tous d’une génération « mauvaise conscience » ! Qu'on essaie de « sauver le coup » en disant à la génération qui vient : « Essayez d’être plus malins que nous. » Mais je ne le crois pas, nous concernant. Nous avons plutôt pris le train en marche en nous posant la question : « Qu’est-ce qui parle aux juniors ? » Parmi les réponses les plus évidentes, il y avait le changement climatique. Ce sont plus les gamins qui nous réveillent que l’inverse. En conséquence, nous, on leur donne de l’info compréhensible, on leur apporte des éléments factuels.
Point commun : Depuis combien de temps ?
Jean-François Ebeling : Notre directeur de l’info, Marco Nassivera, avait toujours voulu faire une info pour les juniors, puis, en février 2014, le directeur des programmes lui dit : « OK, on y va. » Nous avons commencé par le magazine junior. Nous sommes allés voir ce qui se faisait ailleurs (voir plus bas – ndlr) ; il y avait souvent le principe d’un rédacteur en chef junior invité. Mais c’était trop lourd à réaliser pour nous. Et c’est là que nous aurons cette idée du portrait d’enfant, chaque semaine. Concrètement, quand les équipes d’Arte parcourent le monde, elles nous rapportent ce genre de portrait (ex. : une petite fille qui fréquente une école clandestine à Kaboul).
Très vite on s’est dit que, pour couvrir réellement l’actualité, un hebdo, ce n’est pas assez. Puis arrive le 7 janvier 2015 : l’attentat contre Charlie Hebdo. Là, on a senti qu’il se passait quelque chose. Nous avons proposé un format quotidien TV qui s’adresse aux juniors. Il y avait un élan général, que ce soit dans les médias, ou à l’Éducation nationale, avec qui nous sommes d’ailleurs en contact, via le Clémi (le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information ). C’était comme une vague, nous étions portés par elle et, en septembre 2015, nous avons lancé ce journal junior, à 7h10. Depuis, il est à l’antenne.
Il serait intéressant que toutes les chaînes du paysage audiovisuel puissent avoir leur journal junior.
Point commun : En plus de sept années, quelles ont été les évolutions ?
Jean-François Ebeling : Nous avons des retours, sur l’adresse mail Arte junior. En général il s’agit de courriels de félicitations et/ou de critiques. Cette boîte sert aussi à recevoir les questions des enfants. Nous avons noté que ces messages arrivaient d’un peu partout : ce journal TV sert donc de support dans de nombreux pays (il y a deux ou trois ans, nous avons même travaillé avec une classe du New Jersey aux États-Unis). En Allemagne et en France, ce journal est souvent utilisé par des enseignants (actualité, économie, sciences, langue, etc.). Voilà une première évolution, qui d’ailleurs s’est également vérifiée dans les familles mêmes. Notre public, ce sont aussi des parents, et ces parents ont validé Arte journal junior pour leurs propres enfants. Il serait intéressant que toutes les chaînes du paysage audiovisuel puissent avoir leur journal junior, de façon à balayer plus largement et éduquer aux médias dans tous les milieux.
Nous avons bien évidemment suivi, en un peu moins d’une décennie, les changements de modes de communication liés aux réseaux sociaux. Est-ce qu’on a essayé de s’adapter ? Au tout début nous avions tenté Snapchat, mais cela n’a pas pris. Maintenant notre choix sera plutôt d’investir Arte Family (chaîne YouTube), elle est gérée par le service réseaux sociaux d’Arte. Nous cherchons avec eux à développer une vraie chaîne famille en ligne.
TikTok : on n’y est pas. Je le regrette. J’aimerais qu’on puisse développer des formats innovants. Mais cela implique des changements structurels. Et nous ne pouvons pas tout investir en même temps. Il faut faire des choix. D’ailleurs nous avons connu deux moments cruciaux où l’on s’est interrogés :
- Je suis allé, avant 2015, voir l’émission pour les jeunes Allemands « Logo » (diffusée sur la chaîne ZDF). Ils m’ont dit : on peut parler de tout. Et nous nous y tenons depuis.
- Nous avons eu des doutes au moment de la parution du livre La Familia grande de Camille Kouchner, qui parlait d’inceste et qui a provoqué un immense débat en France : « Comment fait-on pour en parler ? » Nous avons décidé de ne pas escamoter l’actualité et eu l’idée d’inviter une pédopsychiatre. Nous avons d’ailleurs refait la même chose au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine. On a senti qu’il y avait une vraie peur chez les enfants et nous avons travaillé à nouveau avec une pédopsychiatre, pour trouver les mots.
Il faut que les médias s’ouvrent à leur public et démystifient, combattent les appréhensions.
Il y a une chose que j’aime faire et que nous intensifions, sentant là un besoin de plus en plus marqué : les visites guidées virtuelles, en direct. Le principe est simple : un des présentateurs du journal junior accueille en visio une classe ou un groupe et, ensuite, fait le tour de nos studios avec eux. Cela pourrait relever de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), mais cela va au-delà car il y a une telle défiance en ce moment envers les médias. Il faut que les médias s’ouvrent à leur public et démystifient, combattent les appréhensions et les doutes par la transparence sur la manière dont on élabore l’information. Je pense par exemple à cet outil banal, le prompteur, qui pourtant semble être l’objet d’un grand fantasme : l’image d’un présentateur qui lirait ce qu’il ne voudrait pas dire. Alors que ce n’est qu’un outil pratique qui lui permet de lire tête haute les textes qu’il écrit lui-même !
Ici, nous avons aussi réalisé de nombreux contenus sur « Qu’est-ce que c’est, l’information ? », le travail des journalistes, et pour présenter les journalistes eux-mêmes, pour montrer que notre métier, c’est un métier divers, responsable et utile. Peut-être est-ce là aussi votre quête ?
Les candidatures au Grand Prix #compublique 2022 ouvertes jusqu'au 15 septembre
Communicants de collectivités locales, institutions publiques et associations d'intérêt général, vous pouvez encore participer au Prix des campagnes de communication publique et territoriale. Les inscriptions sont ouvertes jusqu'au 15 septembre. Le dépôt de la candidature est gratuit, ouvert à toute opération de communication menée par une institution publique, et facile : il suffit de cliquer sur le bouton d'inscription, et de vous laisser guider.
Le palmarès du 34e Grand Prix de la communication publique et territoriale sera dévoilé le jeudi 17 novembre 2022, lors du Forum Cap'Com de la communication publique et territoriale de Strasbourg.