Collectivités locales : la marque de confiance
En ces temps troublés, où les réseaux sociaux s’avèrent peu sécurisés et les rues de l’internet parfois mal éclairées, face à un État hésitant et à des visées commerciales trop évidentes, les Français sont rassurés quand ils confient leurs données aux collectivités territoriales. Ce contrat de confiance est un socle que les collectivités s’imposent d’honorer et qui donne de la valeur à leur marque.
Par Yann-Yves Biffe.
À intervalles plus ou moins réguliers, les médias dénoncent, s’étonnent ou s’inquiètent de la fuite de données. Dernier cas en date (rendu public) : Facebook aurait laissé fuiter les données personnelles de 533 millions d’utilisateurs.
En février, c’étaient les données de santé de 491 840 Français provenant d’une trentaine de laboratoires de biologie médicale qui ont été retrouvées en libre accès sur internet : numéro de Sécurité sociale, date de naissance, groupe sanguin, numéro de téléphone portable, identité du médecin prescripteur voire commentaires sur l'état de santé du patient (grossesse, séropositif HIV, patiente sourde, prise de Levothyrox, etc.).
Si ce type d’incident est soulevé par les médias, c’est que les Français ont pris conscience de la valeur et du caractère… personnel de leurs données.
Elles sont d’autant plus sensibles, et les incidents moins acceptés, quand ces données portent sur des informations médicales, qui touchent à l’intime, à la vie et au risque de mort. Chacun aura d’autant plus de réserves à les fournir, à l’inverse d’une adresse mail voire d’une date de naissance.
Ça donne à considérer les collectivités comme des interlocuteurs de confiance
Pourtant, pour obtenir un masque en tissu l’année dernière, pour être inscrits sur les listes de personnes qui allaient être vaccinées cette année, quantité de Français ont été prêts à livrer à leur mairie préférée tous leurs antécédents, leurs traitements en cours, leurs maladies guéries ou en devenir, sans même qu’on les leur demande !
Pourquoi ? Parce qu’ils ont peur. Certes. Mais pourquoi donner toutes ces informations sans discuter, sans qu’on les sollicite, histoire vécue et répétée dans tant de standards de mairies depuis treize mois ?
Cette capacité à se livrer repose sur la confiance. Ils considèrent que la collectivité territoriale est digne de confiance, qu’elle a pour finalité de faire le bien de ses habitants, qu’elle n’a pas de but lucratif dans une éventuelle réutilisation de leurs données.
Cette constatation de terrain est corroborée par un sondage réalisé du 11 au 17 septembre 2020 par Ipsos pour l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF).
À la question « De manière générale, à qui faites-vous le plus confiance pour organiser les services publics là où vous habitez ? », les Français ont répondu « Plutôt aux collectivités locales » à 84 % et « Plutôt à l’État » à 16 %.
« Cette enquête d’opinion traduit une nouvelle progression (+ 1 %) de la satisfaction exprimée par la population à l’égard des prestations fournies par le service public local », selon Emmanuelle Quémard pour Maire Info. Une satisfaction qui reste constante (+1 %) dans un contexte perturbé par les élections municipales et la crise sanitaire de la covid-19. « Une large majorité des personnes interrogées (66 %) considère que les collectivités locales sont, après les hôpitaux (85 %), les opérateurs du service public qui ont su réagir le plus efficacement à la pandémie et à ses conséquences sur la vie quotidienne des Français. En revanche, une insatisfaction assez nette se manifeste à l’égard de l’État, puisque l’action des préfectures (21 %) et des ministères (16 %) est loin d’être approuvée par le panel sondé par Ipsos. »
Ça donne à prendre conscience des grandes responsabilités qui en découlent
Si pour Spiderman, c’est « un grand pouvoir (qui) implique de grandes responsabilités », une grande confiance comme celle dont témoignent les habitants envers leurs collectivités engendre elle aussi de grandes responsabilités.
Cela impose déjà le devoir moral de protéger les données que confient les usagers. C’est très engageant, car nos collectivités sont particulièrement ciblées par les pirates informatiques et cela demande des dispositifs technologiques importants et forcément plus coûteux que de ne rien prévoir, sans en voir immédiatement les bénéfices. Cela nécessite aussi et surtout de multiples précautions humaines, y compris contraignantes dans l’accès aux logiciels et données transitant par internet, qui compliquent le quotidien et rendent l’accès aux données moins fluide dans le travail courant. Mais si la préservation des données est à ce prix, alors il faut le payer.
Cela impose de connaître et respecter le RGPD (Règlement général sur la protection des données) dans la collecte des données. La demande d’informations personnelles doit répondre à une utilisation avec un but, et celui-ci doit être identifié et explicité d’emblée.
Ainsi, selon la CNIL, pour chaque jeu de données collectées, on vérifiera :
- pourquoi on collecte les données (« la finalité » ; par exemple pour gérer l’achat en ligne du consommateur) ;
- ce qui autorise à traiter ces données (le « fondement juridique » : il peut s’agir du consentement de la personne concernée, de l’exécution d’un contrat, du respect d’une obligation légale qui s’impose, de l’« intérêt légitime » de l’organisation) ;
- qui a accès aux données (les services internes compétents, un prestataire, etc.) ;
- combien de temps on les conservera (par exemple : « cinq ans après la fin de la relation contractuelle »).
Un contrat moral sous-entendu est alors proposé à l’usager : si tu me confies tes données, je les utiliserai pour t’apporter un service que je te désigne clairement.
Utiliser les données collectées pour un autre usage, c’est rompre ce contrat de confiance. On réduira au strict minimum la collecte de données, en éliminant des formulaires de collecte et des bases de données toutes les informations inutiles.
Enfin, au-delà des données en elles-mêmes, cette confiance demande, pour qu’elle soit renouvelée, que les outils internet développés le soient dans l’intérêt de l’usager et non de la seule administration, et que les interfaces respectent cet usager. Il faut qu’elles l’emmènent le plus rapidement possible à la résolution de sa demande, qu’elles ne lui compliquent pas la tâche, qu’elles ne le fassent pas entrer dans une boucle impossible à quitter ou au contraire ne le détournent pas pour aller vers un autre usage.
Ça donne à conférer une grande valeur à la marque-collectivité
Cette confiance repose sur la nature de la collectivité : la recherche du bien public, qui confère un socle de base à toute marque de collectivité.
Si la collectivité l’entretient et se montre à la hauteur des attentes que ses administrés placent en elle, elle donne d’autant plus de valeur à sa marque, ce qui renforce sa réputation, ce qui développe la confiance, et ainsi de suite.
Ça vous paraît accessoire ? C’est primordial ! Comme le dit Assaël Adary, président du cabinet d’études et de conseil en communication Occurrence, et auteur du Communicator, au Cercle des communicants : « La réputation est le principal actif immatériel des marques, qu’elles soient celle d’une entreprise privée ou celle d’une institution. Sans réputation pas de confiance, sans confiance pas d’action ! »
En plaçant son entière confiance dans la collectivité locale, l’habitant atteste que la relation entre lui et la collectivité est la plus forte qui soit. Il place cette relation d’emblée sur le temps long, avec des souvenirs déjà nourris de nombreuses interactions et dans une perspective de liens à prolonger dans l’avenir. Il attribue donc à la marque-collectivité une valeur très forte, un attachement, au-dessus de celle qu’il attribue à la majorité des organisations en particulier privées, ce qui donne à l’exécutif une forte légitimité pour agir !
La confiance que les administrés-citoyens placent dans les collectivités génère une responsabilité majeure dont celles-ci doivent se montrer dignes en prenant les mesures qui s’imposent, en particulier dans leur approche des données informatiques. C’est surtout un atout inestimable que chacune pourra décliner pour poser les ferments d’une relation différente de celles que proposeront les marques commerciales.
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