Comment gérer les relations usagers à l’heure des réseaux sociaux ?
Accueil physique, téléphone, mail, formulaires en ligne, réseaux sociaux, chatbots… Comment gérer correctement les relations avec les usagers d’une collectivité quand les canaux d’échanges se multiplient ? Des communicants ont partagé leurs questionnements, leurs pratiques et leurs astuces lors du dernier Forum Cap'Com. Marc Cervennansky, responsable du centre web et réseaux sociaux de Bordeaux métropole, et animateur de ces échanges, nous en propose une synthèse.
« Le volume des messages transitant via les réseaux sociaux ne cesse d’augmenter. Est-ce à la com de le gérer ou à l’accueil de la mairie ? » « Sur la page Facebook du CHU sont postés des commentaires sur des situations personnelles de patients qui nous posent question. Doit-on les laisser en ligne ? » « Des usagers ? Des consommateurs paresseux, oui. C’est tout, tout de suite ! » « L’agressivité monte en puissance sur les réseaux sociaux. Il n’existe plus de filtre. Passons sur le langage approximatif de certains messages. Mais quand pleuvent les insultes et le caractère haineux de certains propos, il n’est pas toujours évident de garder son calme et la distance nécessaire. »
Des réseaux sociaux qui interrogent nos pratiques
Réunis pour une “thérapie digitale” au dernier Forum Cap'Com de Lyon, le 6 décembre 2018, des communicants (1) venus de toute la France n’ont pas hésité à témoigner de leurs pratiques au quotidien et des rapports aux habitants qui prennent parfois des tournures inattendues depuis l’avènement des réseaux sociaux.
Si la collectivité ne répond pas assez vite aux courriers, mails ou appels téléphoniques, de nombreux usagers ont bien compris que Facebook ou Twitter et même Instagram étaient des canaux de communication qui permettent souvent d’obtenir des réponses plus rapides.
« Les habitants ont pris l'habitude de contacter les entreprises, les sites de vente en ligne via les réseaux sociaux. Il est logique qu’ils le fassent aussi pour les collectivités, à partir du moment où elles sont présentes sur Facebook et Twitter. Il ne faut pas s’en étonner ni s’en plaindre », prévient un directeur de la communication. Avant d’investir les réseaux sociaux, il convient donc se poser la question de savoir si on est prêt à assumer ce nouveau canal d’entrée et un autre type de contact avec les usagers.
Une chargée de communication constate que les réseaux sociaux incitent à être réactifs et à répondre vite. « Mais-est-ce justifié ? » interroge t-elle. « Il convient de faire la différence entre les commentaires publics, qui selon leur nature nécessitent en effet de répondre rapidement, et les messages privés. Pour ces derniers, nous pouvons nous permettre d’envoyer un accusé de réception et de prendre le temps d’y répondre correctement » , explique t-elle. Sa voisine renchérit sur le droit à la déconnexion pour les agents. Faut-il avoir son smartphone toujours en main pour répondre à toute heure de la nuit aux sollicitations des abonnés ? Une pratique qui a été mise en œuvre dans une grande ville du sud-ouest il y a quelques années avec des astreintes 7j/7 et 24h/24 : « Est-de bien raisonnable pour une collectivité de donner une recette de cuisine à une demande reçue sur Twitter un samedi à 3h du matin ? »
« Nous avons une note de 1 sur 5 parce que la personne trouve le quartier moche »
La relation usager passe également par les systèmes de notation (1 à 5 étoiles) mis en place sur les pages Facebook ou les fiches Google. Le community manager d’une commune précise qu’en modifiant le modèle de sa page Facebook, il a pu désactiver l’affichage des avis sur la page. « Cela évite d’avoir des mauvaises notes injustifiées qui pénalisent la portée des posts de la page », justifie t-il.
Le problème se pose également sur Google maps avec des fiches qui ne sont pas toujours créées par les collectivités et qui publient des informations erronées et des avis d’internautes qui laissent perplexe : « Nous avons une note de 1 sur 5 parce que la personne trouve le quartier moche”, explique une personne en charge de l’accueil d’une agglomération. « *Les internautes ne se posent pas la question de savoir s’ils sont sur une page officielle de la collectivité ou non et ne comprennent pas pourquoi on ne leur répond pas », observe-t-elle.
Publier un selfie devant le lit d’un malade avec le commentaire « Va-t-il passer la nuit ? »
Avec ses propres informations publiées en tête des résultats, Google exerce ainsi un véritable chantage pour que les collectivités prennent en charge ces informations en plus de leur propre support.
Autre question qui traverse les préoccupations des communicants présents : la gestion des réponses quand tous les canaux d’entrée ne passent pas par la direction de la communication. Ainsi il n’est pas rare que des services aient leur propre page Facebook, créées de leur propre initiative et sans concertation. De ce fait, la communication n’a aucune visibilité sur les messages ou commentaires postés sur ces pages.
Plus grave, quand des agents postent des publications dans leur cadre professionnel. La responsable communication d’un CHU témoigne ainsi du cas d’une infirmière stagiaire qui publie un selfie devant le lit d’un malade, clairement identifiable, avec le commentaire « Va-t-il passer la nuit ? ». Le malaise est grand quand il s’agit de répondre à l’émotion de la famille qui découvre cette publication. Nous sommes ici clairement face une faute professionnelle.
« Le maire publie des contenus parfois gênants ou en dehors de notre ligne éditoriale »
Malaise encore quand les élus souhaitent prendre la parole sur la page Facebook de la collectivité. « Mon maire m’a demandé les droits d’administration de la page de la ville. Je n’étais pas armée pour le lui refuser », se lamente la chargée de communication d’une petite collectivité. « Depuis il publie des contenus parfois gênants ou qui sont en dehors de notre ligne éditoriale », renchérit-elle. Dans d’autres cas, des élus postent des commentaires sur les publications de la page de la collectivité et ne respectent pas la charte de modération qu’ils ont pourtant théoriquement approuvée.
La posture face aux élus est en effet parfois délicate. Il est nécessaire - dans la mesure du possible - de faire preuve de pédagogie, de clarifier les prérogatives de chacun et de les formaliser dans la stratégie de communication de la collectivité. Les élus ayant toute latitude pour communiquer sur leurs propres comptes.
L’organisation idéale serait le recours à une solution logicielle de gestion des relations usagers (GRU) qui trace tous les échanges entre l’administration et les usagers, quel que soit le canal de communication. Dans l’assistance, une seule collectivité - la métropole de Lyon - l’a depuis peu mise en place. Ce type de solution, coûteuse, longue à mettre en œuvre, nécessite une volonté et un portage au plus haut niveau de la hiérarchie, partagés par l’ensemble des services concernés. Bref, le chemin est encore long pour beaucoup.
« Le téléphone est parfois la solution la plus efficace pour désamorcer les tensions »
Des bonnes pratiques et des astuces sont toutefois possibles pour améliorer les processus de traitement des demandes des usagers.
Ainsi une community manager a établi une base de connaissance des questions reçues les plus courantes avec des réponses types, prêtes à être envoyées. Elle insiste sur une erreur à ne pas commettre : « Ne jamais dire que ça n’est pas de notre faute ou de notre compétence et renvoyer la responsabilité sur une autre institution. L’usager n’en a que faire. Prenez le temps de l’accompagner et de le guider vers le bon interlocuteur. Il vous en sera reconnaissant .»
Face à des interpellations, délicates à traiter sur les réseaux sociaux, le téléphone est parfois la solution la plus efficace pour désamorcer les tensions. Un directeur de cabinet évoque ainsi une photo de voiture incendiée publiée sur Instagram avec l’apostrophe "Qu’allez-vous faire ?". « Dans ce cas, le dialogue direct avec la personne, en dehors des réseaux sociaux, a été plus payante », précise t-il.
D’autres témoignages abondent dans ce sens : « L’agressivité écrite de certains est souvent un cri pour être entendu, pour qu’on accorde de l’attention à leur colère ». « Pour faire baisser le ton de messages agressifs, reformuler, montrer que l’on a entendu le message reçu, personnaliser la réponse suffit à calmer la colère, même si on n’a pas toujours résolu le problème signalé.* »
Globalement, plusieurs community managers avouent que face à des commentaires "stériles" ou "fumeux", ils préfèrent ne pas répondre pour ne pas alimenter des polémiques inutiles et non constructives. À la question « Doit-on censurer les commentaires agressifs ? » plusieurs moyens sont suggérés : la publication d’une charte de modération, le contact avec l’auteur du commentaire pour lui expliquer pourquoi il ne peut rester en ligne.
Chatbots et applications de messagerie : l’avenir de la relation usager ?
Et les chatbots ? Une mode ou un nouvel outil qui va faciliter la relation usager ? Le représentant d’une grande entreprise publique explique qu’un de leur chatbot permet à l’internaute de publier une photo de matériel en état de dysfonctionnement. Cette photo, géolocalisée, est directement envoyée à une équipe technique avec création d’un ticket d’incident. Dans une métropole du sud-ouest, un chatbot centré uniquement sur les questions de traitement et de recyclage des déchets va être expérimenté à partir de début 2019. L’objectif : réduire les appels téléphoniques et le nombre de formulaires reçus, renseigner plus rapidement les usagers sur des questions très pratiques.
Un directeur de la communication ajoute : « Si nous voulons toucher les jeunes générations, ça n’est plus par des formulaires ou des courriers que ça fonctionne, mais par les réseaux sociaux et les applications de messagerie ». Une chargée de communication d’une agence régionale de santé renchérit : « Je ne connais pas beaucoup de collectivités qui utilisent une application comme WhatsApp. Pourtant c’est un moyen qui peut être pertinent pour toucher des personnes sur des sujets sensibles. Surtout quand on y voit de fausses informations circuler ». WhatsApp une alternative au SMS pour cibler des personnes sur des sujets précis ? Une piste à explorer.
Quelle que soit la solution adoptée, tous insistent sur l’importance de bien préparer l’organisation en interne avant de de proposer un nouveau canal de communication aux usagers. « Si un processus de traitement n’est pas défini avec toutes les parties prenantes en interne, c’est aller au devant d’une catastrophe », est-il conclu.
Enfin, un participant indique l’existence du label "Qualivilles" établi par l’Afnor, qui teste la réactivité des collectivités et la qualité des réponses, y compris sur les réseaux sociaux.
Cadeau bonus : les demandes incongrues
Les participants ont partagé quelques unes des demandes inattendues ou étranges reçues via les réseaux sociaux de leur collectivité :
- « Une fille qui nous contacte car elle a flashé sur un garçon en vacances et elle a vaguement entendu qu'il était grenoblois. Elle nous envoie donc une photo de lui prise à son insu pour savoir si on peut l'aider ».
- « Je me rappelle de ce monsieur qui cherchait absolument à rentrer en contact avec une de nos agents. Sauf que personne dans la mairie, même les plus anciens, ne connaissait cette fameuse agente. Ça a duré plusieurs mois, cette affaire. »
- « Une dame sur Instagram nous a demandé si la mairie pouvait lui prêter une table pour 15 personnes pour son réveillon de Noël. J'ai mis un peu de temps à trouver la bonne formulation pour lui répondre avec diplomatie ! ? »
- « Bise à Sandra et aux jumeaux » (ok...)
(1) Les participants n’ayant pas donné explicitement leur accord pour être nominativement cités dans cet article, leur identité n’est pas révélée pour chacune de leur intervention.