Crise sanitaire : « Pensons déjà à commémorer et raconter »
Pendant les premières semaines de confinement, les communicants se sont attelés à relayer les consignes gouvernementales sur le coronavirus, à informer sur la continuité de service public. Avec une crise qui s'installe, ils doivent dès maintenant réinvestir leur communication institutionnelle et de proximité. Jean-Jacques Richard, spécialisé en sûreté et en gestion de crise, identifie les actions prioritaires de communication des collectivités locales.
Jean-Jacques Richard est ingénieur en sûreté et intelligence économique. Pendant trente ans, il a acquis son expérience au sein de grands groupes et sur le terrain d’opérations sensibles. Il est également conférencier et blogueur sur toutes les thématiques liées à la sûreté. Il est auteur de L’Art de la sûreté, éditions Haxx.
Où en est-on dans la crise du coronavirus et quelle phase de communication entamons-nous ?
Jean-Jacques Richard : Dans les dix premiers jours de confinement, les acteurs publics et privés ont mis en place leurs premières communications. Ils ont eu à se poser ces quelques questions : faut-il communiquer, ou pas ? Pour qui ? Et pour dire quoi ? Ces premiers bons réflexes de communication ont pour la plupart été rapidement mis en œuvre. De manière d’autant plus évidente que les collectivités et acteurs publics locaux sont un maillon essentiel dans la gestion de la crise. Les mieux préparés à la crise ont pu dégainer les premiers, mais globalement les réponses ont été trouvées pour tous. Aujourd’hui, on sent bien qu’on est dans un temps un peu plus latent de la crise : la continuité de service public est à l’œuvre ; pour certains, l’activité économique est complètement arrêtée, les ménages vivent au ralenti.
Les efforts de communication se tournent désormais vers l’entretien du lien social : auprès des plus faibles ou vulnérables, évidemment, pour leur apporter l’aide dont ils ont besoin pour vivre au quotidien. Mais aussi auprès des collaborateurs, agents publics, salariés en télétravail ou sur le terrain : la communication interne est fondamentale dans cette période de « distanciation sociale ». Il faut à tout prix rester en contact, entretenir le lien social.
Au gouvernement le visage froid de la cellule de crise qui égrène les mesures impératives, aux acteurs locaux la réalité du quotidien, la proximité avec les habitants, les usagers, et le maintien du lien social.
Et puis c’est aussi le temps absolument nécessaire de la pédagogie. Les acteurs publics locaux doivent expliquer pourquoi les marchés ont fermé, faire connaître les services de portage de repas, informer sur la réorganisation des services de collecte des déchets, les aménagements des horaires de services publics, faire respecter les règles de sortie quotidienne… Autrement dit : au gouvernement le visage froid de la cellule de crise qui égrène les mesures impératives, aux acteurs locaux la réalité du quotidien, la proximité avec les habitants, les usagers, et le maintien du lien social. Dans cette phase délicate et fondamentale, il est important de porter une parole rare et utile. Une ou deux personnes désignées doivent incarner la parole publique.
Quelle est l’étape d’après, que les communicants doivent déjà anticiper ?
J.-J. R. : On imagine que l’étape d’après, celle tant attendue, c’est la fin du confinement. À tort. D’abord parce que la sortie du confinement se fera certainement progressivement, certaines régions avant d’autres. Ensuite parce que ces semaines de confinement auront accumulé des tensions qu’il faudra rapidement désamorcer : dans les couples et les familles, dans les quartiers, dans les communautés. Enfin, parce que le confinement fait désormais partie des « possibles », nous pourrions être contraints à renouveler l’expérience, au moins sur un plan régional.
Raconter les initiatives de solidarité, car les citoyens n'oublieront pas.
Il ne faudra donc pas sortir trop brutalement. Les communicants doivent dès maintenant raconter. Raconter la crise. Se faire porte-parole des histoires locales, des initiatives solidaires. Décrire le soutien que les collectivités apportent aux soignants, aux commerçants, aux acteurs locaux, aux agriculteurs… Rapporter les initiatives de solidarité menées par les associations, les individus volontaires, les entreprises et les acteurs locaux. Ces belles histoires sont nécessaires pour reprendre confiance. Car les concitoyens n’oublieront pas.
Il faudra aussi raconter ceux qui sont partis dans le silence du confinement. Les Italiens l’ont compris et célèbrent aujourd’hui leurs morts. Car nos victimes du coronavirus ne sont pas n’importe qui. Ce sont nos frères d’armes. Qui sait : un jour peut-être on verra dans nos villes des mémoriaux du coronavirus.
L’Italie commémore ses morts du coronavirus
En Italie, mardi 31 mars à midi, les communes italiennes ont observé à travers toute la péninsule une minute de silence et mis le drapeau tricolore en berne en « souvenir des victimes du coronavirus » et en hommage aux professionnels de santé. Cette initiative est partie de Gianfranco Gafforelli, président du département de Bergame, l'un des plus touchés par la pandémie de coronavirus.
De nouveaux élus issus des municipales vont arriver dans les mairies et les intercommunalités. Quels conseils pouvez-vous leur apporter ?
J.-J. R. : Le premier, c’est qu’il est essentiel de se préparer à la crise. Désormais on sait que tout est possible et qu’il y aura d’autres crises : sanitaires, terroristes, économiques, écologiques. Les nouvelles équipes devront écrire leur plan de crise. Il faut tester des exercices de crise, définir sa cellule de crise, s’exercer à l’expression face aux médias. Et surtout expérimenter intimement ce que l’on ressent pendant la crise.
Ensuite, les nouveaux mandats coïncideront avec la nécessité pour les communicants d’écrire ce qu’on appelle dans le privé « un PRA ou Plan de reprise d’activité ». Ils devront en particulier :
- identifier ce que les citoyens seront en capacité d’entendre et de comprendre ;
- montrer que la crise a été correctement gérée localement ou qu’on a appris pour l’avenir ;
- organiser localement l’aide et la solidarité ;
- et animer le lien dans les communes, répondre au besoin des citoyens de partager des lieux et des moments en commun.
Il faudra que les élus soient présents sur le terrain, lors des événementiels de proximité, pour incarner cette reprise d'activité autant que pour renouer le lien.
Cette crise nous engage tous aujourd'hui autant que pour les années à venir. Les élus, les agents publics, les entreprises, les associations, les citoyens doivent dès maintenant réfélchir à un projet commun.