« Dans l’information de proximité, la confiance est fondamentale »
Éditorialiste à BFM TV, rédacteur en chef de « Paris Match », Bruno Jeudy, journaliste issu de la presse locale, a présidé le 24e Prix de la presse et de l’information territoriales Cap’Com. « Point commun » en a profité pour le sonder sur son métier, nos métiers et leurs rapports complexes. Une confiance à construire qui n’empêche pas le journaliste de « regarder derrière la porte » !
Diplômé de l'université d'Angers (administration économique et sociale) et de Paris 2 (information et communication), Bruno Jeudy commence sa carrière de journaliste au sein de la rédaction de Ouest-France à la fin des années 1980. En 1989, il intègre la rédaction du journal Le Parisien. Il devient alors chef adjoint du service politique, poste qu'il occupe jusqu’en 2005. C'est ensuite en tant que grand reporter qu'il rejoint le service politique du Figaro. En 2014, il est nommé rédacteur en chef au service politique et économie de Paris Match. Bruno Jeudy est régulièrement invité sur les plateaux de « C dans l’air » sur France 5. En 2012, il est éditorialiste pour ITélé, France 24 et Radio Classique avant de rejoindre l’équipe de BFM TV en 2016.
Point commun : Quelles sont les évolutions récentes de l’exercice de votre métier de journaliste ?
Bruno Jeudy : Notre métier ne subit pas une transformation mais une révolution. Une double révolution, liée à la numérisation qui traverse tous les médias (presse écrite, télé, radio) et à l’émergence des plateformes d’information. Une mutation profonde qui est à l’œuvre depuis une vingtaine d’années. Il se trouve que je suis journaliste depuis le début de cette période et que j’ai eu la chance de l’observer, de la vivre en intégralité. J’ai commencé chez Ouest-France avec un stylo et du papier. Puis toutes ces innovations technologiques sont entrées dans ma pratique quotidienne, strate par strate. Cette émergence a été accompagnée par celle des réseaux sociaux qui doublonne les médias, pour le pire et le meilleur… Nous sommes en concurrence de fait avec les réseaux sociaux. Chaque citoyen peut s’ériger en une sorte d’intermédiaire, de témoin actif, voire de journaliste, mais sans cadre, ni éthique, ni responsabilité. Ce qui n’est pas sans poser problème.
Point commun : Un point de vue que vous partagez avec les nouvelles générations de journalistes ?
Bruno Jeudy : J’interviens régulièrement devant des jeunes et je trouve qu’aujourd’hui cette nouvelle génération semble avoir perdu le fil de ce qu’était ce métier de journaliste. Mais est-ce qu’ils ont eu l’occasion d’en comprendre les règles ? Quand leur explique-t-on ou leur enseigne-t-on cela ?
On voit ici la nécessité vitale d’une forme d’éducation à l’information.
Le monde d’aujourd’hui, en tout cas dans les sociétés occidentales, est un monde surinformé où les citoyens ont du mal à faire le tri entre le vrai et le faux, à départager les informations fiables des autres. Cela peut conduire, dans des cas extrêmes, à des drames. Il y a, par exemple, des esprits qui se laissent manipuler et conduire par des groupes malveillants. Ce sont des mécanismes que l’on retrouve derrière certains attentats, bien évidemment accompagnés d'idées complotistes. On voit ici la nécessité vitale d’une forme d’éducation à l’information. C’est navrant d’en arriver là, mais il faut que les citoyens comprennent que l’info n’est pas gratuite et qu’il faut aller la puiser auprès de sources fiables. Cela ne vient pas tout seul, cela nécessite d’apprendre à s’informer depuis le plus jeune âge.
Point commun : Quelles solutions mettez-vous en place pour combattre la défiance grandissante et la perte de crédit des médias, des scientifiques ou des ONG ?
Bruno Jeudy : Il faut revenir aux sources ! Toujours revenir aux sources de ce métier. Et ne pas déroger au principe des informations doublement vérifiées. Il est nécessaire d’éviter à tout prix l’emballement à partir de phénomènes naissant spontanément sur les réseaux sociaux.
Remonter le fil, comprendre comment une rumeur du web peut enflammer l’opinion.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas les regarder et les prendre en considération, mais qu’il faut les contextualiser, en remonter le fil, comprendre comment une rumeur du web peut enflammer l’opinion et devenir un quasi-débat de société.
Point commun : Serait-ce au fond une question de temporalité ?
Bruno Jeudy : Absolument. On voit bien que nous vivons sous le joug de l’info continue et immédiate. Plus que jamais, il faut hiérarchiser. À Paris Match nous avons la chance de pouvoir revenir sur une information quand elle a quelques jours pour en offrir une mise en perspective. Et faire justement ce travail, notre travail, utile et salutaire.
Point commun : Que pouvez-vous attendre des communicants publics dans le cadre de la lutte contre les infox ou l’accès aux données ?
Bruno Jeudy : La première attente, c’est de devenir une source fiable. De ne pas être dans le déni ou même le mensonge. Un communicant public, ou le représentant d’une commune, nous pouvons comprendre qu’il défende sa collectivité et la majorité qui la gouverne, c’est normal.
Savoir être une source la plus fiable possible pour un journaliste qui cherche à obtenir ou vérifier une information.
En revanche, il doit savoir être une source la plus fiable possible, autant que faire se peut, pour un journaliste qui cherche à obtenir ou vérifier une information. Nous, les journalistes, nous ne mettons pas tout le monde dans le même sac, nous faisons preuve de discernement et devons éviter les amalgames. Et je sais par expérience que cela dépend aussi de l’institution, de la relation qu’on a avec le territoire. Il existe une hyperproximité qui peut échapper à la propagande et qui relève de l’intérêt général.
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Point commun : Y a-t-il des solutions communes pour rétablir la confiance ?
Bruno Jeudy : Les citoyens aujourd’hui ont beaucoup de difficulté à faire le tri entre toutes les infos qui arrivent à eux. Pour ce qui concerne l’information de proximité, la plus importante car c’est leur environnement immédiat, la confiance est fondamentale. On sait que la presse quotidienne régionale a un niveau de confiance supérieur par rapport à la presse nationale. Plus on s’éloigne de la source, moins on a confiance.
Il faut savoir dépasser la défiance naturelle pour étayer les informations.
Mais je comprends votre question sur un autre plan : celui des relations entre journalistes et communicants publics. Là aussi il y a un enjeu, une défiance naturelle qu’il faut savoir dépasser pour étayer les informations. C’est pour cela que les relations, au moins en proximité, dans les territoires, doivent être des relations de confiance, pour faire le tri entre ce qui est vrai et faux, identifier ce qui relève de l’info pratique ou citoyenne. Pour l’avoir expérimenté, ce n’est pas toujours facile. Dans certaines collectivités, cela se passe très mal. Il y a certaines majorités politiques qui n’aident pas les journalistes.
Point commun : Voyez-vous des pratiques vertueuses à mettre en place pour faciliter votre travail, pour améliorer la transparence et ouvrir de nouveaux espaces de consensus ?
Bruno Jeudy : Je me méfie toujours du mot « vertueux ». D’expérience je sais que, par esprit de politesse, il faut essayer d’entretenir des relations cordiales avec les élus. Mais il faut aussi savoir regarder derrière la porte. Il faut évaluer quand on a besoin du concours des collectivités, ou des chambres consulaires, mais ne pas en dépendre. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à l’important dossier « sécheresse ». Nous recherchons naturellement le concours des institutions, qui ont des chiffres, des données, etc., mais on ne peut pas ignorer l’aspect dérangeant et polémique de ces sujets, notamment pour ces organismes. Ce n’est pas notre objectif de mettre tout le monde d’accord. Nous recherchons quelles sont les solutions apportées, lesquelles sont « bonnes », lesquelles sont « mauvaises », afin de donner tous les arguments aux citoyens pour qu’ils comprennent la situation.
À l'issue du travail d'analyse du jury qu'il a présidé, Bruno Jeudy nous parle de son parcours professionnel et de sa pratique du journalisme, et livre son regard sur ce cru 2022 des meilleures publications des collectivités locales.