De quoi Larsen est-il le nom ?
Parasitée, brouillée… la parole de Jean-Luc Mélenchon au soir des élections européennes a été perturbée par un simple petit Larsen (1). On peut y voir une métaphore des relations complexes entre élus et communication.
Par Youcef Mokhtari.
Ce n’était pas son soir, ni son grand soir. Mais Jean-Luc-Mélenchon n’était pas le seul dans ce cas. Les élections européennes de ce 26 mai 2019 ont laissé sur le tapis de grands partis, des ambitions toutes fraîches, des élans et des illusions. La tension est donc palpable, au siège de la France insoumise. La prise de parole en direct sur les grandes chaînes de télévision doit intervenir, et il a dû falloir, comme pour chaque leader malmené par les urnes, une bonne dose de courage et de sens politique pour se poser face caméra. Car on n’écoute pas, ou plus, les perdants.
Mélenchon s’est donc lancé et est allé chercher au fond de lui cette énergie idéologique et ce talent de tribun que beaucoup lui reconnaissent. Et là – on l’a vu dès la première seconde dans ses yeux – un grain de sable acoustique vient perturber le discours, brouiller le message. Pendant toute la première minute de son intervention, un Larsen, comme toujours agaçant, va ponctuer chaque phrase, chaque mot de ses griffes stridentes. Habitué des micros, Jean-Luc Mélenchon l’est également des turpitudes sonores des systèmes acoustiques défaillants. Il laisse à peine transparaître une gêne, qui aurait pu être identifiée comme l’expression d’un mal-être politique. Il encaisse donc et cherche à raccourcir ses phrases, laisse des « blancs », essaie de dompter l’inconfort pour les auditeurs. The show must go on. L’animal de tribune intériorise et limite les dégâts, le temps que quelqu’un intervienne. Mais c’est trop long !
Solitude de l’émetteur
Derrière lui, la banderole portant les couleurs de sa liste se fait la malle, comme mise en berne par les résultats, autre sujet, étrange coïncidence, acte manqué freudien du décor, intervention de la forme sur le fond, dans son expression la plus triviale. L’effondrement de « l’arrière-banc » de la tribune lors de la présentation de la liste LREM pour ces mêmes élections aurait pu prendre une autre forme de signification en cas de résultats différents. Mais nous sommes là dans l’anecdote.
Il en va tout autrement pour l’irruption de ce Larsen qui, j’en suis certain, rappellera de nombreux souvenirs à mes collègues communicants publics. Et ces regards de tueur de la présidente ou du maire lisant poussivement au micro son texte accompagné de sifflements et de couinements étranges devant une assemblée décontenancée ayant perdu toute forme d’attention et scrutant les installations à la recherche de la source de ses souffrances auditives ! Mais, comme lors de ce dimanche, il n’y a personne. Le gardien des lieux, d’astreinte ce jour-là, n’a jamais reçu de formation de technicien son. Il agite les bras ou court de l’ampli à l’enceinte et offre l’image la plus pure de l’impuissance. Les autres élus et la direction générale froncent les sourcils, sans plus d’efficacité.
Quand le média abîme le message
Pendant ce temps, le message patiemment préparé passe de la bouche de l’orateur à… rien ! Les récepteurs sont hors d’atteinte.
Oui, il s’agit bien d’une métaphore intemporelle de la communication publique. S’adresser à un grand nombre de citoyens en même temps nécessite d’en passer par un média, quel qu’il soit. Là, c’est le micro, l’ampli et l’enceinte. Mais c’est conforme au schéma classique que nous avons tous dessiné sur nos cahiers d’écolier. Le truc amusant, dans ce cas, c’est que le brouillage provient de la récupération et de la mise en boucle d’une partie du message lui-même, créant des pointes sur certaines fréquences. On peut appeler cela une mise en « abîme » ! En l’occurence, le média abîme le message.
Combien d’outils, de formats, de partis pris techniques tranchés par des personnes qui n’ont pas les compétences requises ?
Tout cela relève bien de la fonction communication et de ses braves soldats ! Où étaient-ils quand les choix ont été faits concernant le système de son ? et pour la préparation de la prise de parole ? En général, ils n’étaient pas dans la boucle (la bonne cette fois-ci). Car on oublie souvent de s’appuyer sur eux pour s’outiller pour communiquer. Cela ne vous paraît pas évident ? Regardons du côté d’Internet. Combien de solutions choisies de cette façon ? Combien d’outils, de formats, de partis pris techniques tranchés par des personnes qui n’ont pas les compétences requises ? Car le problème est là. Quand il s’agit de sonoriser la grande salle, la personne qui fait le choix s’estime souvent compétente sans que ce ne soit le cas. « On a mis une sono pour le mariage du cousin, on a l’habitude de faire des photos (c’est si simple !), on a un neveu qui fait des sites web très jolis pour pas cher, on aime bien tel type de journal », etc. À la fin, la collectivité hérite de matériels inadaptés et difficiles à gérer correctement. Si vous ne me croyez pas, allez dans la salle des fêtes la plus proche et vérifiez qui peut manipuler les 36 boutons de la console à droite de la scène ! Demandez à réorienter les projecteurs au plafond ! De la même manière, les communicants sont les experts de la relation et leur métier, parce qu’il recoupe nombre de pratiques amateur, doit faire face à des parasites ou à du Larsen administratif !
Un message à la mer
C’est pourtant simple de gérer, le gain, le volume, l’orientation du micro… C’est également simple de gérer l’écriture, la mise en forme du message, de procéder à sa diffusion. C’est une réalité. Nous ne sommes pas toujours dans des systèmes complexes et des communications de niveau stratosphérique !
Le communicant est comme ce navigateur qui compose avec les éléments, qui règle finement son génois et accompagne la houle à la barre. Il tient le cap sans garantie que le vent soit favorable, mais il ajuste au mieux son allure.
Notre métier, par bien des aspects, consiste en une maîtrise de détails, d’astuces, d’éléments fins. Choisir ce mot plutôt qu’un autre, choisir le bon moment, percevoir les signaux faibles, régler des fonctionnalités digitales, sélectionner des images, modérer habilement des commentaires… ces multiples micro-actions aboutissent à une gestion agile et efficace des flux de communication. Le communicant est comme ce navigateur qui compose avec les éléments, qui règle finement son génois et accompagne la houle à la barre. Il tient le cap sans garantie que le vent soit favorable, mais il ajuste au mieux son allure. Si, sur le bateau, certains interviennent sur les drisses et les écoutes (2), cela va tanguer ! C’est toujours pareil. Là, en l’occurrence, on brouille les écoutes du navire. Pour notre affaire, on brouille l’écoute de Jean-Luc Mélenchon.
Cette communication a échappé au contrôle, symptôme du peu de considération qu’on lui accorde, jusqu’à ce que tout le monde se retourne en disant : « Mais où est la personne qui s’occupe de cela ? » Eh bien, si elle arrive à ce moment-là, elle ne peut que répondre : « C’est trop tard, le mal est fait. » Voici donc pourquoi on reconnaît trop souvent les compétences du communicant en temps de crise, lorsqu’il faut ramer pour ramener le navire sur sa route, lorsque le message est passé de travers, lorsque la communication est la plus dure à rétablir. La communication, pourtant, nécessite une navigation qui s’établit par temps calme, à condition que chacun s’occupe de ses écoutes !
(1) Effet de boucle dans une sonorisation décrite par le physicien danois Søren Larsen.
(2) Une écoute, en langage marin, désigne un cordage servant à régler les voiles.