Décentralisation forcée et nombre de fonctionnaires…
La réduction du nombre de fonctionnaires est d’ores et déjà un débat majeur pour les candidats aux présidentielles. Au-delà des annonces, la réduction des effectifs n’est-elle pas plutôt contenue dans le transfert progressif des missions vers les collectivités sans leur en donner les moyens ?
Par Yann-Yves Biffe
Les candidats à la primaire de la droite se sont écharpés à coups de gros chiffres : 300 000, 500 000… Les candidats de gauche ont pris le contre-pied tout en étant conscients (pour certains) de la nécessité de contrôler le déficit public. Macron n’a rien dit mais n’en pense pas moins…
Alors, est-ce possible de réduire le nombre de fonctionnaires ?
Ça donne à reconnaître que les effectifs de l’État sont déjà bien réduits
Indubitablement, du côté de l’État, les effectifs ont déjà été bien entaillés. Quand on s’adresse aux services préfectoraux, nombreux sont les cas où on vous répond qu’il n’y a plus assez d’agents pour assumer des missions réalisées jusqu’alors, un peu dans le contrôle, beaucoup dans le conseil. La réduction des postes s’est accompagnée d’un développement important de la dématérialisation des procédures, souvent avec succès, à l’exemple de la déclaration d’impôts par internet. Dans le même ordre d’idée, cette année, l’INSEE encourage les ménages à faire leur déclaration de situation pour le recensement directement par internet, ce qui évite de re-saisir ensuite les réponses aux questionnaires papier. C’est autant de postes économisés.
Pour autant, peut-on raisonnablement aller plus loin ? Les missions régaliennes demandent de la présence, de l’accompagnement humain. Impossible de remplacer un agent de police en faction par un site internet. Dans le contexte actuel de menace terroriste, peut-on imaginer réduire les effectifs de police, de gendarmerie, de justice, ou ceux de l’armée ?
On sait que les effectifs dans la fonction hospitalière sont aux limites de la tension. Peut-on imaginer les Français mettre leur santé en danger ?
Ça donne à relativiser les possibilités d'augmenter le temps de travail
Il y a bien une solution mathématique pour avoir plus de volume de travail de la fonction publique sans en augmenter le nombre d’agents. Il s’agit d’augmenter le nombre d’heures travaillées, en passant par exemple de 35 h à 39 h hebdomadaires.
À salaire constant, cela apporte globalement plus d’heures travaillées sans augmenter le budget. Mais il va quand même falloir faire avaler la pilule à des agents qui ne se sentent pas particulièrement bien payés et qui vont avoir du mal à comprendre individuellement pourquoi il faudrait travailler plus pour gagner la même chose.
Les agents ne seraient certainement pas contre une augmentation du temps de travail couplée à une augmentation de salaire. Mais cette augmentation de la force de travail systématique va en apporter symétriquement sur des postes où il n’y a pas de besoin et dans le même temps rester insuffisant sur des missions qui demandent plus de renfort. Et surtout ça va coûter très cher !
Alors, si cela doit peser sur le budget, dans ce cas pourquoi ne pas embaucher de nouveaux agents à la place de faire travailler plus ceux déjà là ? Le seul avantage dans ce cas serait le fait qu’augmenter le temps de travail permet de dégager plus de volume travaillé sans augmenter parallèlement les services supports (informatique, ressources humaines…). Mais ça va complètement à l’encontre de la logique actuelle de réduction du déficit national...
Ça donne à se méfier de la tentation de la décentralisation contrôlée
Face à ces impasses, l’État pratique déjà depuis un bon moment une méthode beaucoup plus silencieuse mais terriblement efficace : le passage de patate chaude. En administrativement correct, ça se traduit par « Il ne s’agit en aucun cas d’un transfert de charges de l’État vers les communes, mais d’une répartition de la charge entre les communes ».
Ce n’est pas à proprement parler une nouvelle étape de la décentralisation : l’État garde la direction et la responsabilité des opérations. Mais il fait traiter les opérations chronophages, c’est à dire l’instruction et le contact avec le public, par les collectivités territoriales. Ca lui permet de supprimer de nombreux postes sans faire de bruit : le service public est toujours assuré, éventuellement mieux qu’avant même, et donc les Français ne se plaignent pas alors que les effectifs de la fonction publique d’État sont réduits.
Le processus a été essayé avec les passeports. L’Etat a doté quelques mairies de terminaux de traitement informatique pour accueillir les demandeurs, traiter leur demande, prendre leurs empreintes, et donner au demandeur les passeports envoyés par les service de l’État. Suite au succès de l’opération, ce sont en 2017 les cartes nationales d’identité (CNI) qui sont transférées.
Les communes sont-elles libres de refuser ? Dans le cas des passeports et cartes d’identité, oui. Mais leurs administrés ne manqueraient pas de le leur reprocher : une mairie qui n’instruit plus de demandes de cartes d’identités perd une part symboliquement forte de sa virilité institutionnelle et devient dans l’esprit des habitants une sous-mairie, qui doit renvoyer ses administrés dans la mairie voisine. Le libre choix est donc largement influencé car il y a moins de terminaux de traitements que de mairies… On pourra au passage y voir un signal supplémentaire d’encouragement aux fusions de communes de la part de l’État...
Cela fait suite au transfert total des permis de construire y compris dans les communes rurales, et cela précède fin 2017 le transfert de l’instruction des PACS… à venir, mais également la gestion de tous ceux qui ont été conclus préalablement. Quelles missions nouvelles faudra-t-il prévoir dans les collectivités pour 2018 ?
Au rayon des transfert cachés, on n’oubliera d’ailleurs pas non plus le recul des forces de sécurité de l’État auxquelles doivent pallier les maires en renforçant leurs polices municipales.
Ces transfert sont-ils choquants ?
Pas franchement : que les collectivités soient missionnées pour faire ce qu’elles maîtrisent le mieux, c’est-à-dire la proximité et le contact avec les administrés, cela semble aller de soi.
Sauf que l’État transfère ces missions sans en supporter le coût : l’instruction des cartes d’identité va rapporter aux communes instructrices 3 550 € par poste, quand cela va en coûter au moins trois fois plus en coût de personnel si celles-ci veulent apporter un service satisfaisant à leurs administrés… et aux autres. Parce que, bizarrement, les agents dans les mairies ne se tournent pas les pouces en attendant que l’État veuille bien leur confier une mission nouvelle.
Le plus choquant finalement, c’est que ce transfert de missions s’accompagne de la baisse de la dotation globale de fonctionnement et surtout, d’un discours global disant : les collectivités gèrent mal, elles dépensent trop, il faut réduire leurs moyens pour les obliger à réduire les effectifs.
Plus de missions mais moins de moyens, est-ce bien cohérent ?
Au final, que des fonctionnaires moins nombreux travaillent plus pour gagner autant, c’est loin d’être évident. Mais que les communes travaillent plus pour gagner moins, c’est déjà une réalité !…
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