Dépenses publiques : payez plus pour dépenser moins !
Comparer les prix c’est bien. Mais comparer le coût total d’un produit, c’est encore mieux. Car au-delà du coût d’achat, c’est bien la somme de tous les coûts liés à une action, jusqu’à sa suppression, qui doit guider le conseil des managers publics et la décision des élus. Cette nouvelle façon de voir, intégrée dorénavant dans le code des marchés publics, doit permettre au global et sur la durée, de réaliser de belles économies ou, pour le moins, d’engager la collectivité en connaissance de cause.
Par Yann-Yves Biffe
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Un service public doit-il être rentable ? La Gazette des Communes a posé cette question au tout début de l’année, entre le 6 décembre et le 5 janvier, à 318 fonctionnaires territoriaux. Ceux-ci ont répondu, sans surprise, non à 84 %.
Cette question est fondamentalement mal posée, surtout à cette cible-là et la réponse est inutile : la rentabilité n’est pas un objectif en soi, aucun agent ne s’est engagé dans la fonction publique pour générer du bénéfice, c’est même souvent l’inverse. Quiconque a fait passer des entretiens d’embauche à de jeunes cadres a pu constater que de nombreux postulants placent au premier rang de leurs motivations leur lassitude de la course au profit de la sphère commerciale et la recherche d’un autre sens à leur action.
Pour autant, si une action publique ne vise pas à gagner de l’argent, encore faut-il faire en sorte qu’elle en fasse dépenser le moins possible ! Ce n’est pas parce que c’est « public » qu’on ne doit pas s’interroger sur le coût de revient et l’améliorer. C’est même justement pour cela !
L’efficacité de l’utilisation de l’argent public est, elle, une notion émergente qui doit devenir une priorité dans les stratégies des directions générales, et, par cascade, de tous les chefs de services.
L’efficience est en effet la solution la plus pérenne à la réduction des ressources des collectivités.
Quel que soit le résultat des élections présidentielle et législatives, on sait que les collectivités devront continuer à se serrer la ceinture. Elles ont réagi dans un premier temps par des fusions pour geler leur baisse de dotation de fonctionnement et par la vente d’actifs : terrains, bâtiments… Mais ces mesures ne sont que conjoncturelles et leurs effets vont s’atténuer rapidement… même si les fusions vont produire d’autres effets vertueux à terme.
La seule solution pour rendre le même service avec moins de moyens, c’est d’en repenser le coût de revient.
S’agit-il d’acheter moins cher, de pressurer les fournisseurs au risque de les pousser à mettre la clé sous la porte, bref de faire comme la grande distribution ? Non, évidemment.
Il s’agit plutôt de penser différemment, et pas seulement au moment de l’achat, mais dans la conception de la politique publique.
Ça donne à investir selon les coûts de fonctionnement
On veillera ainsi à choisir ses investissements sur la base du... fonctionnement. Ce travail est rendu obligatoire par la loi NOTRE qui prévoit la fourniture à l’occasion du Débat d’Orientations Budgétaires (DOB) d’une analyse préalable des coûts de fonctionnement pour toute opération exceptionnelle d’investissement…
Exceptionnelle ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Il s’agit d’une opération dont le coût est supérieur à 150 % des recettes de fonctionnement pour les collectivités de moins de 5 000 habitants. C’est donc une opération rare, inscrite à l’avance dans le plan pluriannuel d’investissement, voire certainement dans le programme électoral.
Certaines organisations d’élus ont dénoncé cette mesure, perçue comme une contrainte supplémentaire pour les élus, en particulier de petites communes. Sans doute, mais la véritable question est de savoir pourquoi la loi est obligée d’imposer cette mesure de bon sens. En effet, de nombreux conseils municipaux réfléchissent encore seulement en fonction du coût de réalisation d’un projet. Par exemple, le prix du terrain et celui de la construction pour une piscine. Ce n’est que la partie immergée du bassin, car les frais de fonctionnement sont tels qu’on sait avant l’ouverture qu’ils ne seront pas couverts par les recettes. Avant de construire, il faut donc prévoir une subvention d’équilibre sur 25 ans au minimum… Même si le budget de la commune peut supporter cet investissement pour le mandat en cours, peut-il faire face à ses frais de fonctionnement sur le long terme ?
Si la loi ne l’impose pas, cette logique a toute sa pertinence également sur les plus petits investissements. Cela paraît évident dit comme cela… et pourtant, de nombreuses communes se lancent dans des achats en particulier informatiques, dont le coût de maintenance est plus cher, cumulé sur plusieurs années, que le coût d’acquisition.
Sans doute faut-il penser différemment, quitte à augmenter le coût initial si cela permet de réduire le coût de fonctionnement pendant de longues années…
Par exemple, pour assurer la fermeture d’un bâtiment, d’un parc, d’un cimetière, il vaut certainement mieux acheter un système de contrôle d’accès électronique plutôt que de rémunérer, charges comprises, un gardien pendant des années...
Ça donne à considérer le coût complet sur les marchés publics
Pour saisir la pleine portée des coûts de fonctionnement, il faut les intégrer sur la durée de vie entière de l’investissement. On peut dorénavant appliquer cette philosophie du coût global, ou coût complet, dans le cadre des marchés publics.
Préalablement, on calculait le coût d’un marché sur la base de l’achat du produit et de son contrat de maintenance. Soit 3 à 5 ans, souvent. Ce qui avait pour effet de favoriser le candidat proposant un produit peu cher à l’achat, même si son coût de fonctionnement était important, le fournisseur se rattrapant sur la durée.
Bonne nouvelle, le code des marchés publics permet d’éviter cet effet pervers en s’intéressant dorénavant au coût du cycle de vie du produit.
Celui-ci est défini comme comprenant « les coûts relatifs aux étapes successives et interdépendantes d’un produit consommateur d’énergie, depuis l’utilisation des matières premières jusqu’à l’élimination finale, comprenant ainsi, également, la recherche, la consommation, l’entretien, le retrait et l’élimination ».
Voici bien un concept économique mais aussi responsable. Il s’agit de valoriser le produit qui impliquera, dans son déploiement, son utilisation mais aussi sa suppression, le moins de conséquences évaluables financièrement.
En clair, le code des marchés publics consacre les produits durables, qui auront le moins de conséquences sur leur environnement : ceux qui demanderont des travaux particuliers d’aménagement ou d’adaptation pour être utilisables seront dépréciés, alors qu’aujourd’hui, s’ils sont moins chers, ils sont mécaniquement privilégiés.
Ainsi, l’article 63 du décret 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics prévoit que « le coût du cycle de la vie couvre tout ou partie des coûts suivants du cycle de vie d’un produit, d’un service ou d’un ouvrage :
1° Les coûts supportés par l’acheteur ou par d’autres utilisateurs, tels que :
a) les coûts liés à l’acquisition ;
b) les coûts liés à l’utilisation comme la consommation d’énergie et d’autres ressources ;
c) les frais de maintenance ;
d) les coûts liés à la fin de vie comme les coûts de collecte et de recyclage ;
2° Les coûts imputés aux externalités environnementales. »
Cela demande un petit peu plus de réflexion en amont du marché. Il faut définir les coûts cachés, et surtout réfléchir aux questions à poser aux fournisseurs afin d’en déterminer la valeur de façon objective.
Il faut aussi se projeter sur l’usage du produit, sur sa fin de vie. Et plus elle est loin dans le temps, plus le calcul du coût complet est pertinent… mais plus il est difficile à estimer. Tant de choses peuvent changer en quelques années. Des éléments qui génèrent un coût de destruction seront peut-être nuls d’ici quelques années car mieux valorisés dans le recyclage…
Alors le coût du cycle de vie est forcément imparfait, mais c’est quand même le plus juste, toutes choses égales par ailleurs. Une fois que cela est défini, vous pouvez comparer sur la base du coût de revient pour la collectivité sur la durée. C’est forcément plus économique.
Ça vaut donc le coût (global) de prendre le temps de réfléchir sur le cycle de la vie, et pas seulement pour philosopher !