IA : soyons stupides
Petit enfoncement de porte ouverte : elle est là, elle nous envahit, elle nous submerge. Il n'est plus possible de participer à une réunion, à un séminaire, à une discussion autour de la machine à café sans entendre ces deux lettres devenues un graal à posséder : IA.
Par Lauric Didier-Mougin, chargé de communication numérique au département de Meurthe-et-Moselle.
Dans ces pages, beaucoup de choses ont été dites sur l’IA. Les amis Pierre et Marc ont écrit, fort judicieusement, sur les principes, l’avenir éventuel, le probable passé et évidemment sur les potentiels dangers de l’IA. Ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce que l’on lit risque de ne plus être issu du monde réel et, vous me passerez l’expression, mais c’est totalement flippant. Je m’attends toujours, en regardant une affiche ou en écoutant un son, à voir débarquer un type en manteau de cuir pour me proposer une pilule bleue.
Si tant est que cela puisse faire peur dans la sphère privée, cela devient carrément agaçant dans la pratique professionnelle
Message qui s'adresse à tout le monde : quand je demande à un service, à un collègue, à un partenaire extérieur, un texte, des éléments, une image dans le but d'agrémenter une publication ou un article destiné aux usagers, il n'est pas utile de tenter de me fourguer de l'IA, JE PEUX LE FAIRE MOI-MÊME. Moi aussi je peux demander à ChatGPT un texte fourre-tout sans humanité ET moi aussi je peux créer une image d'un type à vélo avec trois genoux.
Quant aux démarcheurs commerciaux... Une foultitude de fournisseurs vous appellent pour vous proposer le produit que vous avez déjà (un chatbot, un logiciel projet, un client pour réseaux sociaux…), mais avec de l’IA ! « Tout ce que vous faisiez avant, c’est l’IA qui va le faire. Bon, OK, c’est un peu plus cher qu’avant, mais imaginez le temps gagné ! »
Une connaissance hors milieu de la communication m’a dit dernièrement : « C’est cool, avec l’IA, tu n’auras plus rien à faire, tu demandes la rédaction d’un post, GPT te l’écrit, et tu publies. Si ça se trouve, bientôt, Facebook écrira automatiquement les posts ! »
Donc voilà. Avant j’étais une feignasse qui était payé à jouer sur les réseaux sociaux, aujourd’hui, je suis une double feignasse qui copie-colle des textes produits par une IA.
Je le dis, l'IA me saoule.
Soyons clair, je ne regrette pas le bon vieux temps du moteur de recherche Altavista (je laisse les jeunes chercher) qui, à chaque demande, renvoyait des réponses… surprenantes. Mon côté geek ne me le permettrait pas.
Mais quand je demande un texte à un être humain, c'est pour retrouver entre les lignes ce qui fait sa compétence, ce qui est issu de son expérience, de son vécu. J'attends d'un visuel une patte, une touche originale, voire une émotion. Peut-être suis-je naïf, mais je continue à penser qu'un.e graphiste issu.e des Beaux-Arts avec vingt-cinq ans de métier aura plus de sensibilité qu'une appli qui va concaténer 10 000 images pour m'en pondre une d'après une description hasardeuse (et je ne suis pas ému par un cycliste à trois genoux).
Cela a déjà été dit à moult reprises : la vraie question n'est pas de savoir si l'IA doit nous remplacer (spoiler : non), mais ce que nous voulons en faire. Considérons-la pour ce qu'elle est : une aide à la production. Notre métier est fondé sur notre capacité à comprendre celui ou celle qui écoute. Et dans « comprendre », il n'y a pas que le mot à mot. Il y a les susceptibilités, les intonations, les sous-entendus. Nous, nous pouvons les percevoir et répondre en fonction de ce que nous avons ressenti. Si nous avons besoin de l'IA pour créer les éléments de compréhension, servons-nous-en comme d'un outil, pas comme d'un remplacement de nous-mêmes.
Albert Einstein aurait dit (mais ça n'est pas certain) : « L'intelligence artificielle ne fait pas le poids face à la stupidité humaine. » Apportons de la stupidité à nos communications, décalons-nous, faisons le pas de côté. Parce que ça, l'IA ne le fera jamais aussi bien que nous.